Migrants subsahariens en Israël : comprendre la volte-face de Netanyahou en quatre questions

En l’espace de 24 heures, Israël a signé, suspendu et annulé un accord censé mettre fin à la question des expulsions. Le Premier ministre Benyamin Netanyahou a changé d’idée avec une volte-face quelque peu théâtrale. Décryptage en quatre questions.

Des migrants africains détenus dans le centre de détention de Holot dans le désert, en Israël, en février 2014. © Oded Balilty/AP/SIPA

Des migrants africains détenus dans le centre de détention de Holot dans le désert, en Israël, en février 2014. © Oded Balilty/AP/SIPA

Arianna Poletti

Publié le 5 avril 2018 Lecture : 6 minutes.

Le 1er janvier 2018, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou annonçait la mise en œuvre d’un plan d’expulsion massif des migrants érythréens et soudanais. 20 000 hommes seuls étaient concernés. Le gouvernement leur imposait un choix douloureux : aller en prison pour une durée indéfinie, ou accepter 3 500 dollars et être expulsé vers un « pays tiers sûr », dont il n’a jamais dévoilé le nom. Les ONG et les migrants pointaient du doigt le Rwanda et l’Ouganda en tant que signataires d’un accord secret avec Israël. Les gouvernements des deux pays africains démentent depuis avec force toute implication.

La problématique n’est pas nouvelle. 40 000 migrants africains se sont installés en Israël entre 2007 et 2013, après avoir traversé l’Égypte et le désert du Sinaï. En 2013, Israël a érigé un mur anti-migrants à la frontière et a ouvert le centre de rétention de Holot pour les pousser à quitter le pays. Les demandeurs d’asile sont publiquement appelés « infiltrés ». En 2012, Miri Regev, membre du parti Likoud et du Parlement israélien, a défini ces potentiels réfugiés comme « un cancer dans le corps du pays ». Seulement 10 personnes sur 16 000 demandes ont obtenu l’asile, soit un taux de reconnaissance de 1 %.

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La société civile, les survivants de la Shoah, les pilotes de la compagnie israélienne El Al et de nombreux intellectuels israéliens ont fait entendre leur réprobation face au plan proposé par le gouvernement. Les expulsions étaient censées commencer le 1er avril, mais la Cour suprême a retardé l’application du dessein de Netanyahou. Dans les derniers jours, la situation a subi de nombreux chamboulements. Décryptage en quatre points.

1. Quel est l’accord entre Israël et l’ONU ?

Lundi 2 avril, le gouvernement israélien et l’Agence pour les réfugiés de l’ONU (UNHCR) annoncent la signature d’un accord sur la relocalisation des demandeurs d’asile érythréens et soudanais. Ce pacte remplaçait un accord d’expulsion toujours contesté par les gouvernements du Rwanda et de l’Ouganda.

Benyamin Netanyahou l’annonce lui-même avec une vidéo sur sa page Facebook. L’accord avec l’UNHCR prévoyait le transfert de 16 250 demandeurs d’asile vers des « pays occidentaux développés » d’ici cinq ans et la régularisation dans l’État hébreu d’un nombre similaire de migrants avec des permis de résidence temporaire.

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Le budget pour le plan antérieur visant à expulser les migrants au Rwanda et en Ouganda aurait été utilisé pour développer les quartiers défavorisés du sud de Tel-Aviv, là où la majorité des migrants habitent. De plus, l’UNHCR et Israël s’étaient engagés à relocaliser les migrants concentrés à Tel-Aviv dans des Kibboutzim (communautés agricoles éparpillées sur le territoire), ou de les aider à trouver du travail dans les secteurs de l’agriculture et de l’énergie.

« L’accord permet le départ des migrants d’Israël vers des pays développés comme le Canada, l’Allemagne ou l’Italie », a déclaré Netanyahou lundi 2 avril, lors d’une conférence de presse avec le ministre de l’Intérieur Aryeh Deri.

Muller, un migrant érythréen arrivé dans le centre de Holot il y a onze mois. © Stefano Lorusso Salvatore

Muller, un migrant érythréen arrivé dans le centre de Holot il y a onze mois. © Stefano Lorusso Salvatore

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Comme le Rwanda et l’Ouganda, les pays cités par le Premier ministre ont démenti toute implication avec l’État hébreu. « Il n’existe aucun accord avec l’Italie pour le transfert des migrants qu’Israël s’est engagé à ne pas refouler », confie une source au ministère italien des Affaires étrangères.

Même réaction d’étonnement à Berlin : « Nous n’avons pas la connaissance d’une demande de la part d’Israël sur l’accueil des migrants subsahariens. L’Allemagne a déjà rempli ses obligations humanitaires », déclare-t-on au ministère de l’Intérieur allemand.

2. Pourquoi a-t-il été annulé ?

Ce même lundi 2 avril, quelques heures après la signature de l’accord avec l’ONU, Netanyahou se livre à une volte-face spectaculaire. Par le biais de sa page Facebook, il suspend d’abord l’accord, puis il l’annule : « Après des consultations avec le ministre de l’Intérieur et les représentants des comités citoyens de Tel-Aviv sud, j’ai décidé d’annuler l’accord. » Pourquoi un revirement si inattendu ? Quels facteurs ont poussé le gouvernement à faire demi-tour ?

Le Premier ministre a cédé aux pressions de la droite et des habitants les plus réfractaires aux migrants

L’emballement médiatique n’aide guère à comprendre. C’est pourquoi Jean-Marc Liling, directeur du Centre international pour les migrations et l’intégration (Cimi) et expert du droit d’asile israélien, prend du recul et décrypte : « Le Premier ministre a cédé aux pressions de la droite et des habitants les plus réfractaires aux migrants. Ils ont perçu l’accord comme une façon de se plier à la pression internationale, des ONG et de la gauche. Il a aussi trop écouté les réseaux sociaux. »

En effet, l’accord avait été critiqué par des poids lourds de la droite du Likoud – le parti de Netanyahou – et du parti conservateur Le Foyer juif. Le ministre des Finances Moshe Kahlon – leader du parti de centre-droit Koulanou, pivot de la majorité – s’était notamment exprimé sur Twitter : « Le nombre d’infiltrés qui obtiendront le statut de résident est élevé et inacceptable. Le gouvernement doit se réunir et revoir ses calculs. »

La confusion règne donc dans les bureaux de l’UNHCR de Tel-Aviv, où les fonctionnaires ont été surpris par la réaction du gouvernement. « L’accord était le résultat de mois de négociations, une solution gagnant-gagnant. Nous espérons que le gouvernement reconsidère son choix », commente l’Agence onusienne.

L’indécision de Netanyahou pose de nombreuses questions sur sa façon de gouverner le pays. Avi Gabbay, leader du Parti travailliste, l’accuse de « manque de leadership et d’incapacité à prendre des décisions » face aux milieux les plus extrémistes de la société. « C’est du jamais vu. L’accord était une sortie honorable pour l’État », constate encore le spécialiste Jean-Marc Liling.

3. Pourquoi le sud de Tel-Aviv ?

Les propos de la droite israélienne résonnent avec ceux de Sheffi Paz et May Golan, les leaders du mouvement anti-migrants des quartiers de Tel-Aviv sud. Les deux femmes qualifient l’accord de « honte pour Israël » et n’hésitent pas à parler de « guerre » contre les demandeurs d’asile.

Un Érythréen devant la bannière "Tel Aviv sud contre la déportation", le 3 avril 2018, après le rejet de l'accord avec l'ONU. © Ariel Schalit/AP/SIPA

Un Érythréen devant la bannière "Tel Aviv sud contre la déportation", le 3 avril 2018, après le rejet de l'accord avec l'ONU. © Ariel Schalit/AP/SIPA

La majorité des 40 000 migrants arrivés en Israël entre 2007 et 2013 habitent ces quartiers défavorisés, qui ont accueilli des vagues de migrants juifs dans les années 1950. Paradoxe : aujourd’hui, les habitants refusent la présence de cette population en quête d’un refuge. Des affiches exposées sur les terrasses invitent les Érythréens à « quitter le quartier ». À côté de la gare routière centrale, Tel-Aviv sud était un endroit stratégique pour les déplacements. Les migrants s’y sont progressivement installés dans l’indifférence des autorités.

4. Où en est-on à ce stade ?

En l’espace de 24 heures, la situation est revenue à son point de départ. Le gouvernement reprend en considération l’idée d’expulser les migrants vers un autre pays africain dont il ne dévoile pas le nom. Le Rwanda, qui avait fait l’objet de polémiques en tant que possible pays d’accueil des expulsés, confirme ne pas avoir consulté sur ce dossier.

« Il n y a jamais eu d’accord, nous n’accueillons pas de personnes renvoyées contre leur gré, on a toujours été cohérents », précise Olivier Nduhungirehe, secrétaire d’État au ministère des Affaires étrangères du Rwanda. La même position est partagée par l’Ouganda.

Israël a échoué : il n’est pas capable de protéger les demandeurs d’asile

Les migrants concernés dénoncent une « torture psychologique ». Ils ont vu changer leurs perspectives de vie en une nuit seulement : de la possibilité d’être relocalisés dans un pays sûr, au retour de la menace d’emprisonnement et d’expulsion. « Israël a échoué : il n’est pas capable de protéger les demandeurs d’asile », s’indigne Tekhlit Michael, l’un des leaders de la communauté érythréenne.

Saisie par une pétition, la Cour suprême a suspendu les expulsions jusqu’au 9 avril. Le gouvernement serait en train de réfléchir à des moyens pour assouplir la législation sur les expulsions et considère la réouverture du centre de rétention de Holot, qui avait fermé mi-mars.

Le statut précaire des migrants ne change pas : ils sont obligés de renouveler tous les mois leur permis de séjour. Ceux qui sont sortis de Holot ont l’interdiction de travailler et de loger dans les sept villes les plus grandes d’Israël. « Nous sommes dans un vide sidéral, personne n’est au courant des évolutions », confie un proche du dossier. Shewit, un migrant érythréen de 26 ans qui vient tout juste de sortir du centre de Holot, conclut : « Nous sommes bloqués dans les limbes, victimes d’engrenages politiques qui nous broient. »

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