Objectif Lune

Pour accélérer le développement, les autorités veulent faire du pays un pôle de haute technologie. Et relancer la course à l’espace.

Publié le 31 octobre 2005 Lecture : 4 minutes.

Des centaines de millions de téléspectateurs chinois ont assisté au départ, le 12 octobre sur la base de Jiuquan, et à l’arrivée, cinq jours plus tard en Mongolie intérieure, de Shenzhou VI, la deuxième mission spatiale chinoise habitée. Ils ont aussi suivi avec passion plusieurs reportages en direct sur le séjour dans l’espace des deux « taïkonautes », comme l’on dit ici. À l’instar de leur prédécesseur Yang Liwei (Shenzhou V), Fei Junlong et Nie Haisheng sont aujourd’hui des héros nationaux.
Ce succès éclatant confirme que la Chine est en passe de devenir un pôle de technologie avancée. Et qu’elle n’est plus seulement cet « atelier du monde » qui ne réussissait naguère à concurrencer les pays industrialisés que grâce à la faiblesse du coût de sa main-d’oeuvre. Ayant déjà, dans un passé récent, récupéré vingt satellites et cinq vaisseaux spatiaux, dont deux avec passagers, les ingénieurs chinois maîtrisent aujourd’hui parfaitement la technologie des vols habités et sont capables de mettre au point des missions d’une durée encore plus longue. Ils prennent ainsi largement l’avantage sur leurs collègues japonais, indiens et même européens. Les prochaines étapes du programme spatial chinois devraient être une sortie dans l’espace (vers 2007), la construction d’une station spatiale permanente (entre 2009 et 2012) et, sans doute, l’envoi d’un homme – ou d’une femme – sur la Lune, vers 2020…
Reste une question : alors que les autorités continuent de présenter leur pays comme « en développement », pourquoi consacrent-elles des sommes aussi vertigineuses à promouvoir une technologie qui date quand même de plus de quarante ans (le Russe Youri Gagarine fut le premier homme dans l’espace en 1961) ? Sur Internet, un débat sans précédent fait rage entre partisans et adversaires du programme spatial chinois. Ces derniers, qui soulignent que d’autres pays riches, européens notamment, ont renoncé à leurs propres programmes, jugés trop coûteux, souhaiteraient que l’on consacre prioritairement cet argent à la prise en charge des enfants pauvres.
Mais le faible coût de la main-d’oeuvre locale constitue aussi un atout de taille pour le programme spatial chinois. Selon Tang Xianmin, son directeur, le projet Shenzhou VI, entièrement financé par l’État, n’aurait pas coûté plus de 900 millions de yuans. Soit 0,7 yuan (0,07 euro) par habitant. Un chiffre formellement contesté par certains. À les en croire, le coût total des projets chinois depuis les années 1990 jusqu’en 2020 avoisinerait 6 milliards de dollars. Soit un sixième du budget spatial américain et la moitié de celui des Russes. Même dans cette hypothèse haute, ce budget n’a évidemment rien de colossal.
D’autant que, de l’avis des experts pour une fois (presque) unanimes, les projets spatiaux seront l’un des moteurs du développement de la haute technologie en Chine, condition nécessaire, sinon suffisante, à l’entrée de ce pays dans l’économie mondialisée. Selon le chercheur Yu Nangpin, de l’Institut des développements internationaux, il est en effet exclu que la Chine parvienne à satisfaire les besoins de son économie en se bornant à importer de la haute technologie. Le deal « marché contre technologie » n’est pas la bonne stratégie dans un pays aussi vaste que la Chine, explique-t-il. Comment d’ailleurs imaginer que les Américains ou les Russes acceptent de lui transférer leur technologie spatiale (ou autre) ?
Tang Xianmin n’en doute pas une seconde : Shenzhou VI flatte le patriotisme chinois et permet de faire oublier, au moins pour un moment, la corruption, les difficultés sociales et les frustrations en tout genre. Peut-être, mais les Chinois sont quand même de moins en moins dupes. Même si les autorités se sont arrangées pour faire coïncider la mission avec la tenue du congrès du Parti communiste chinois (l’atterrissage a eu lieu au lendemain de la cérémonie de clôture), tout le monde n’attribue pas le mérite de cet exploit au PCC et à son secrétaire général, Hu Jintao, mais, avant tout, aux scientifiques, aux ingénieurs et aux techniciens qui y ont consacré leur intelligence, leur énergie et, parfois, leur vie. Le succès de ce « coup » de propagande n’est nullement assuré.
Pour Wen Jiaobao, le Premier ministre, qui a, selon toute apparence, repoussé la visite qu’il devait faire en Europe pour assister au lancement de Shenzhou VI, « la finalité de nos projets spatiaux est uniquement pacifique ». Mais tous les spécialistes savent bien qu’elle est à la fois civile et militaire. Les trois « taïkonautes » chinois ne sont-ils pas colonels dans l’Armée populaire de libération (APL) ? Il est vrai que la vocation des programmes américains, russes et, bientôt, indiens est tout aussi ambiguë…
Les Chinois qui, il y a quelques années, s’étaient vu refuser par les Américains toute espèce de coopération en matière spatiale prennent aujourd’hui leur revanche et se déclarent prêts à collaborer avec d’autres pays à d’éventuels projets communs. Histoire, sans doute, de rassurer la communauté internationale…
Dans une conférence de presse, Xu Dazhe, l’un des responsables des projets spatiaux chinois, a confirmé l’ambition de son pays d’aller un jour sur la Lune. Cette dernière occupe, il est vrai, une place privilégiée dans la mentalité chinoise. Presque tous les grands poètes, à toutes les époques, lui ont consacré d’innombrables vers. L’une des fables mythologiques les plus connues évoque d’ailleurs l’histoire de la belle Chang Er, qui, ayant avalé par mégarde une potion magique de l’impératrice céleste, devint plus légère que l’air et s’envola pour la Lune… où elle doit être encore. Aujourd’hui, le programme lunaire des autorités chinoises porte son nom. Xu a révélé que l’objectif du projet Chang Er I n’est pas de marcher sur la Lune, mais d’en faire le tour au moyen d’un satellite. Mais il n’exclut naturellement rien pour l’avenir. Grâce aux Chinois, la course à l’espace est décidément relancée.

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