Start-up de la semaine : l’application congolaise Lisungui Pharma localise les pharmacies de garde dans cinq pays d’Afrique
À moins de 28 ans, le Congolais Rufin Ovoula Lepembe a conçu une application permettant de géolocaliser les pharmacies ouvertes près de chez soi et de recevoir des alertes pour suivre son traitement. À ces fonctions devraient bientôt s’ajouter des informations sur la disponibilité du médicament demandé dans les officines et un service de livraison.
Tout commence par un drame. Le père d’un ami de Rufin Ovoula Lepembe, résident de Pointe-Noire, fondateur de Lisungui Pharma, est souffrant. Un soir, il se trouve à court de traitement mais dans la capitale économique du Congo, en pleine nuit, impossible de savoir quelles sont les pharmacies de garde et parmi elles, celle qui dispose du médicament nécessaire pour le soigner rapidement. Le temps perdu pour trouver ces informations essentielles sera fatal au malade.
Cette histoire, loin d’être rare au Congo, mais aussi en Afrique, donne à Rufin Ovoula Lepembe, diplômé en licence de management d’entreprise de l’école de commerce et de gestion (DGC) de Pointe-Noire, l’idée de mettre au point une application mobile. Objectifs de l’outil : géolocaliser toutes les pharmacies dans un rayon de 10 km, savoir quelles sont les pharmacies de garde, connaître les prix des produits pharmaceutiques, ainsi qu’un système de notification des heures de prise du traitement.
Au Congo, il n’est pas rare de devoir parcourir des kilomètres pour trouver une pharmacie de garde ou un produit. De plus, la perception du public est que les remèdes vendus en pharmacie sont chers, poussant les populations modestes à se replier sur les vendeurs de rue, qui écoulent de faux médicaments.
« J’ai fait d’un vécu, une opportunité », témoigne le jeune entrepreneur. Fin 2015, il mobilise ses économies pour développer seul, sur fonds propres, un prototype de son application, Lisungui Pharma. Sa mise de départ, d’un montant de 2 millions de francs CFA (3 050 euros), ne lui permet pas d’avoir recours aux développeurs locaux qui lui demandent un montant trop conséquent pour mettre au point son prototype. Il a alors recours à des développeurs indiens.
Les concours comme outil de développement
« Il s’agissait surtout de savoir si mon idée pouvait se concrétiser dans une application. Bien sûr, du fait de sa conception low-cost, l’application comportait un certain nombre de bugs. Mais ce prototype a montré que le concept tenait la route, il ne restait plus qu’à améliorer la forme », explique Rufin Ovoula Lepembe.
Les coûts de développement élevés sous IOS (Apple), le contraignent à se contenter dans un premier temps du système Android. « Mais à terme, nous serons présents sur toutes les plateformes », précise-t-il.
Une fois les premiers fonds épuisés, l’obtention de financements additionnels devient rapidement un challenge pour la croissance de l’entreprise. « Je dois passer beaucoup de concours », indique Rufin Ovoula Lepembe. Les banques se montrent bien souvent frileuses au risque, exigeant de nombreuses garanties, et par ailleurs, les structures permettant d’opérer des levées de fonds ne sont pas légion, déplore-t-il.
Mais la voie des concours entrepreneuriaux sourit plutôt au startuper. Il gagne tout d’abord le 1er prix du concours d’entreprise de la fondation congolaise Perspectives d’avenir en février 2016. Cela lui permet de passer trois mois en immersion avec la société de conseil congolaise Aries Investissements afin de peaufiner son business plan et le plan d’action de sa structure. En outre, il reçoit une dotation de 5 millions de FCFA pour faire développer une application pleinement fonctionnelle, de louer des locaux où domicilier officiellement sa société.
J’ai voulu mettre au point un concept africain
En effet, si le droit Ohada autorise les entrepreneurs à domicilier leur entreprise à leur adresse personnelle, cette disposition n’avait pas encore été transcrite dans le droit du Congo-Brazzaville. L’obligation de louer des locaux professionnels, à l’origine d’importants frais fixes pour les jeunes pousses sera bientôt à ranger dans le passé. Le gouvernement congolais a en effet adopté lors de son dernier Conseil des ministres du 5 avril 2018 un projet de décret relatif, autorisant les dirigeants de société à domicilier leur entreprise à leur domicile.
1 000 utilisateurs atteints
Rufin Ovoula Lepembe enregistre officiellement le 11 novembre 2016 sa société, dont il est le PDG et l’unique actionnaire. Grâce aux récents efforts du Congo pour tenter d’améliorer le climat des affaires (le pays pointe à la 179e place du classement Doing Business de la Banque mondiale), l’inscription au Centre de formalités des entreprises (CFE) de Brazzaville est rapide. « En une journée, j’ai obtenu les papiers nécessaires pour exercer et deux semaines plus tard, j’ai reçu mon numéro d’identification unique », se souvient Rufin Ovoula Lepembe.
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Il figure également parmi les finalistes du concours «Y’ello Startup » organisé par la Fondation de l’opérateur de téléphonie mobile MTN Congo, dont la dotation n’est pas encore communiquée. Ces fonds devraient lui permettre de développer le nombre d’utilisateurs.
Disponible au Congo, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Cameroun et au Sénégal, Lisungui Pharma vient de dépasser le stade des 1 000 utilisateurs – plutôt des hommes résidant en ville. L’objectif est d’en atteindre 500 000 au deuxième semestre 2019. « J’ai voulu mettre au point une solution pas uniquement congolaise, mais créer un concept africain », explique le chef d’entreprise.
Je préfère recruter plutôt que recourir à un partenariat pour la livraison car le domaine de la santé est sensible
Les cinq pays n’ont pas été choisis au hasard : ce sont ceux où la collecte des informations s’avère la plus aisée. Les coordonnées GPS des pharmacies référencées sur Google Maps ont été intégrées au système, ainsi que le planning des pharmacies de garde mis à disposition sur le site de l’Ordre des pharmaciens, comme par exemple en Côte d’Ivoire. Lisungui Pharma concerne d’abord les grandes villes : Bobo-Dioulasso et Ougadougou pour le Burkina Faso, Dakar pour le Sénégal etc.
Premiers bénéfices à l’horizon 2020
Rufin Ovoula Lepembe vient tout juste d’être sélectionné pour intégrer la 4e édition du programme de la Fondation Tony Elumelu. À la clé : un prix de 10 000 dollars (près de 8 104 euros ; dont la moitié devra être remboursée), mis à disposition sur demande.
Ce financement va lui permettre d’acheter le matériel et de recruter les livreurs nécessaires pour l’ajout d’un service de livraison de médicaments, qui devrait intervenir dans deux mois dans les villes de Pointe-Noire et Brazzaville. « Je préfère recruter plutôt que recourir à un partenariat pour la livraison car le domaine de la santé est sensible », précise Rufin Ovoula Lepembe.
Le déploiement de ce service devrait permettre à Lisungui Pharma de générer des revenus. Jusqu’en décembre 2018 – soit durant sa période de lancement, l’application sera gratuite. Au-delà de cette date, des évaluations du système de mobile money sont en cours pour incorporer un mécanisme de paiement annuel pour son utilisation. Rufin Ovoula Lepembe prévoit d’atteindre l’équilibre à la fin du 1er semestre 2019 et anticipe les premiers bénéfices à l’horizon 2020. À plus long terme, il souhaiterait que, dans cinq ans, son application mobile soit disponible dans 20 pays avec tous les services.
En outre, le fondateur de Lisungui Pharma travaille à une levée de fonds avec Aries Investissements. En fonction du niveau de financement, 30 commerciaux, 20 livreurs (10 pour Brazzaville, 10 pour Pointe-Noire), deux gestionnaires du back-office et deux développeurs maison pourraient être embauchés prochainement pour pouvoir gérer l’application en interne. Pour l’instant, Rufin Ovoula Lepembe ne travaille qu’avec un unique collaborateur, chargé du marketing et de la communication, et aucun des deux hommes n’est rémunéré. Pour vivre, le premier est soutenu par son réseau familial, tandis que le second exerce une activité supplémentaire en tant que salarié.
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Des discussions avec les ordres des pharmaciens sont en cours afin d’ajouter une nouvelle fonctionnalité permettant de connaître la disponibilité d’un médicament en pharmacie, mais la collaboration avec les représentants de la profession s’avère compliquée. « Il est difficile de les rencontrer, parfois il faut attendre trois à quatre mois pour avoir cinq minutes d’entretien ! », se plaint Rufin Ovoula Lepembe. Cette fonction de Lisungui Pharma devrait être opérationnelle « au plus tard en juin », selon le jeune PDG.
Interrogé sur les qualités nécessaires pour réaliser un projet entrepreneurial, le jeune homme met la persévérance en tête : « Il ne faut pas lâcher prise ou abandonner dès les premières difficultés », et recommande une étude de marché avant de se lancer : « Il ne faut pas essayer de faire, mais se lancer parce que l’on sait que l’on va réussir ».
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