Au Cameroun, l’héritage jacobin est un anachronisme

Alors que le Cameroun est en proie à de vives tensions à l’approche des élections présidentielles, sachons tirer les leçons que l’histoire a pu nous enseigné.

Des policiers camerounais à Yaoundé, en 2005 (photo d’illustration). © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Des policiers camerounais à Yaoundé, en 2005 (photo d’illustration). © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Essomba
  • Armand Leka Essomba

    Armand Leka Essomba est sociologue, directeur exécutif du Laboratoire camerounais d’études et de recherches sur les sociétés contemporaines (CERESC), Université de Yaoundé I.

Publié le 19 avril 2018 Lecture : 3 minutes.

Tribune. Depuis fin 2016, l’actualité au Cameroun est rythmée par les tensions qui affectent les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, toutes deux majoritairement anglophones. Fin janvier, l’arrestation au Nigeria et l’extradition vers le Cameroun d’une quarantaine de militants séparatistes et de leur leader, Sisiku Ayuk Tabe, ont été à cet égard des épisodes majeurs.

Bien sûr, cette effervescence est directement liée à la saison électorale qui s’annonce, avec la tenue, d’ici quelques mois, du scrutin présidentiel, le fantasme de l’après-Biya sécrétant bien des vocations. Mais par-delà les dysfonctionnements de l’administration et la manière dont les autorités publiques ont choisi de gérer cette crise, cet épisode de transe sociale est révélateur du fait que les cicatrices de sa singulière histoire coloniale sont encore fraîches et que des malentendus persistent sur une histoire postcoloniale agitée.

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La sécurité au centre du discours public

C’est un fait que « la distinction camerounaise » s’est formée, pendant près de trois décennies, dans la sacralisation de la paix sociale et de la stabilité institutionnelle. Une rhétorique consensuelle s’est forgée autour de ces notions de paix, d’unité, de stabilité et de tolérance dans un environnement sous-régional marqué par des tensions fratricides, parfois à forte dominante ethnique ou confessionnelle. Mais tout cela est en train de changer.

La thématique sécuritaire s’est imposée comme nouvelle priorité du discours public. La hantise du séparatisme anglophone tout comme la peur de Boko Haram ont significativement brouillé ce qui faisait la spécificité du Cameroun. Ces menaces pèsent aussi sur le devenir immédiat du pays, puisqu’elles sont à l’origine d’une double dialectique négative : une militarisation et une judiciarisation de la lutte politique.

Montée des populismes communautaristes

Ces deux formes pathologiques de régulation du contentieux politique constituent une grande source d’inquiétude. L’on peut certes, dans un accès de jubilation, admirer la coopération entre le Nigeria et le Cameroun, mais il n’est pas certain que la réponse judiciaire, bien que légitime, soit d’une efficacité durable, et l’on peut craindre que le Cameroun n’entre dans un long cycle d’instabilité, notamment sur sa frontière occidentale.

Enfin, la montée des populismes communautaristes à laquelle nous assistons dans cette partie de l’Afrique n’est pas un phénomène isolé. Le terreau politique et culturel de l’émergence de ces anomalies repose sur une somme de négligences institutionnelles et de paresses politiques accumulées. L’héritage jacobin, et ses accents centralisateurs, est un anachronisme politique. Il est sans doute temps d’en tirer les leçons.

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« Africa must unite »

L’État dans sa forme même est nécessairement un accident et non une substance momifiée. Il peut se transformer et s’adapter, et c’est l’une des urgences politiques que de nombreux pays africains seront appelés à gérer dans les décennies qui viennent. Il est dès lors évident que les requêtes justes, émanant des minorités, doivent être traitées avec le plus grand respect par les autorités, et que des réponses adéquates doivent être données, dans le strict cadre de l’éthique démocratique.

Par-delà l’actualité agitée, les deux questions de fond qui se posent aujourd’hui sont les suivantes : quelle limite y a-t-il lieu d’imaginer entre la nécessaire prise en compte de notre diversité et le risque de rationalisation de certains conservatismes ataviques ? Et comment concilier les conceptions communautaristes du politique avec la vieille utopie panafricaniste ?

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Rappelons-nous l’injonction de Kwame Nkrumah : « Africa must unite ». Cet impératif politique n’a rien perdu de son urgence. Dans l’histoire récente de l’Afrique, partout où elle a voulu prendre la forme d’une utopie, l’intention séparatiste s’est décomposée en une tragédie où des milliers d’hommes et femmes ont perdu la vie. Il ne faut surtout pas l’oublier.

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