Tensions pré-électorales à Madagascar
À quelques mois du scrutin présidentiel, qui doit se tenir cette fin d’année, les tensions s’accumulent sur la scène politique malgache, notamment par des décisions controversées du gouvernement, dont de nouvelles lois électorales, et des soupçons de corruption.
La date exacte du scrutin présidentiel attendu pour cette fin d’année n’a toujours pas été annoncée par la présidence, mais la situation commence déjà à se tendre sur la scène politique malgache. Depuis ces derniers mois, le chef de l’État Hery Rajaonarimampianina et son gouvernement multiplient les décisions controversées qui font craindre « une véritable dérive autoritaire », de la part de l’opposition et des médias, mais aussi de la magistrature et d’une large partie de la société civile, devant une population trop lasse pour réagir et une communauté internationale qui se contente des derniers progrès économiques enregistrés pour éviter d’avoir à se positionner.
Les conclusions de la mission rendue par le FMI, fin mars à Antananarivo, confirmant la vigueur retrouvée de la croissance, estimée à 5 % cette année, sont pourtant passées inaperçues au milieu des décisions administratives et constitutionnelles prises par le pouvoir et qui défrayent la chronique sur la Grande Île.
Nouvelles lois électorales controversées
Comme s’il savait déjà que son bilan économique ne suffira pas à lui garantir la victoire, le président, officiellement en lice pour un second mandat, donne la sensation de vouloir changer les règles du jeu et de compliquer la tâche de ses principaux concurrents, à quelques mois du scrutin. L’adoption, très attendue, des nouvelles lois électorales, le 3 avril, a ainsi tourné à la foire d’empoigne sur les bancs de l’Assemblée nationale. Comme le craignait les différents partis de l’opposition, « aucune des recommandations émises par le comité consultatif qui a réuni pouvoir et opposition pendant plusieurs mois en 2017 n’a été retenue », regrette Hajo Herivelona Andrianainarivelo, président du Malagasy Miara-miainga (MMM), composante de l’Alliance républicaine de Madagascar (Armada). Les trois projets de loi organique, relatifs respectivement au régime général des élections et des référendums ; à l’élection du président de la République et à celles des députés, ont donc été votés par l’Assemblée tels que les lui avait transmis le Conseil des ministres quelques jours plus tôt.
De nombreuses dispositions contenues dans ces lois alimentent pourtant la polémique : de la constitution des listes électorales au raccourcissement drastique de la campagne d’entre-deux-tours et des délais de recours, sans oublier le flou introduit dans le nouveau texte, concernant la démission d’un président candidat à sa succession, tel que le prévoit la Constitution jusqu’au lendemain des résultats du 2ème tour.
Pendant une heure et demie, les parlementaires de l’opposition, ont brandi des pancartes « Stop à la corruption », avant de quitter l’hémicycle
Jean-Max Rakotomamonjy, le président de l’Assemblée, a coupé court au débat, préférant passer en revue les 44 amendements à l’ordre du jour, alors que régnait la confusion la plus totale dans les travées de l’Assemblée, devant le regard impassible du Premier ministre, Olivier Mahafaly Solonandrasana et de son gouvernement. Pendant une heure et demie, les parlementaires de l’opposition, regroupant les indépendants, les élus du TIM de Marc Ravalomanana et ceux du MAPAR d’Andry Rajoelina, ont brandi des pancartes « Stop à la corruption », avant de quitter l’hémicycle et laisser le champ libre aux 79 députés présents en séance qui, 4 heures plus tard, adoptaient comme un seul homme l’ensemble des textes.
Des enveloppes, pouvant contenir jusqu’à 50 millions d’ariarys, auraient été échangées
Un certain nombre d’entre eux s’étaient déjà retrouvés quelques jours plus tôt, durant le week-end de Pâques, à l’hôtel du Paon d’or, près de l’aéroport, pour une session de travail avec certains membres du gouvernement. Des enveloppes, pouvant contenir jusqu’à 50 millions d’ariarys (12 500 euros), auraient été échangées, selon la presse malgache, pour éviter la moindre révision des textes devant l’Assemblée. Une vidéo a circulé sur les réseaux sociaux dès le 3 avril, montrant des parlementaires se partageant de l’argent dans une chambre d’hôtel. Elle a vite provoqué la consternation dans la population, avant qu’il ne soit avéré qu’elle datait en fait de 2016 et qu’elle avait été postée par un membre du MAPAR.
Saisi par les députés de l’opposition, le bureau indépendant anti-corruption (Bianco) a néanmoins ouvert une enquête le 5 avril, sur les soupçons qui entachent l’adoption de ces projets de loi. Le président Rajaonarimampianina aurait lui-même été ému par les critiques qui s’abattent sur son camp ces derniers jours. Selon un conseiller proche du gouvernement, il aurait sévèrement réprimandé ses ministres et même parlé de refaire passer ces textes devant l’Assemblée, lors d’une nouvelle session extraordinaire, la quatrième depuis le début de cette année. Le chef de l’État compte peut-être ainsi répondre aux attentes de « transparence et de légalité », émis le 6 avril par Rivo Rakotovao, le président du Sénat, appelé également à entériner les lois électorales adoptées par l’Assemblée.
Andry Rajoelina interdit de vol aérien
Dans un tel chaos juridique et constitutionnel, l’opposition a beau jeu de parler de recul démocratique. Surtout que d’autres faits viennent alimenter leur crainte. À commencer par l’impossibilité pour Andry Rajoelina de se rendre à l’un de ses meetings organisés, le 30 mars, dans la ville de Mahajanga, au nord du pays. Arguant de la sécurité même du leader du MAPAR, la préfecture avait d’abord interdit la manifestation avant d’être contredite par le tribunal administratif. Andry Rajoelina décide donc d’affréter un jet de la compagnie TOA, mais pour des problèmes techniques, il n’est pas autorisé à décoller de l’aéroport d’Ivato, par l’Aviation civile de Madagascar (ACM).
Les autorités ont parlé de rassemblements importants autour de l’aéroport d’Amborovy qui dessert Mahajanga, pour justifier l’annulation du vol
L’ancien président de la transition, qui doit annoncer sa candidature à la présidentielle dans les toutes prochaines semaines, emprunte alors un vol régulier d’Air Madagascar. Mais alors que l’avion s’apprête à s’élancer, la tour de contrôle donne l’ordre aux pilotes de couper les gaz et de faire descendre la soixantaine de passagers à bord. La décision aurait, cette fois, été prise par l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (ASECNA), sans fournir d’explications.
« Les autorités ont parlé de rassemblements importants autour de l’aéroport d’Amborovy qui dessert Mahajanga, pour justifier l’annulation du vol », précise un responsable d’Air Madagascar. Andry Rajoelina et les siens n’ont pas tardé à dénoncer une manœuvre du gouvernement. « Le régime a violé le droit élémentaire de libre circulation d’un citoyen malgache sur le territoire national », s’emporte Christine Razanamahasoa, députée du MAPAR. Du côté du TIM également, on crie à la manipulation présidentielle et à l’intimidation. Les supporters de Marc Ravalomanana craignent en effet que leur champion ne puisse concourir à la présidentielle si la nouvelle loi électorale interdit bien à tout justiciable de participer à la moindre élection.
Face à un pouvoir devenu, semble-t-il, adepte du passage en force, « seuls le Conseil d’État et les tribunaux administratifs du pays sont encore aujourd’hui en mesure de faire entendre la raison du droit, comme a réussi à le faire le tribunal administratif de Mahajanga, veut croire Fanirisoa Ernaivo, la présidente du Syndicat des magistrats de Madagascar (SMM). La Cour suprême, elle, a déjà été mise au pas, suite au renvoi de son Procureur général, Ranary Robertson Rakotonavalona, début mars. Normalement réservée au Conseil supérieur de la magistrature, la décision a été prise par la ministre de la Justice, Rasolo Elise Alexandrine. Sans provoquer la moindre vague, dans un pays qui commence à s’inquiéter, en silence, de la tournure que pourrait prendre la situation dans les derniers mois précédents l’élection présidentielle.
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