La tête de l’emploi

Un ministre français arrêté, fouillé et interrogé par des douaniers américains, c’est possible ? Oui, s’il s’appelle Azouz Begag.

Publié le 31 octobre 2005 Lecture : 3 minutes.

Drôle de mésaventure, le 13 octobre, pour Azouz Begag, le ministre français de l’Égalité des chances et de la Lutte contre les discriminations. La scène se passe à l’aéroport d’Atlanta. Begag s’y trouve en transit avant de rejoindre Tallahassee, la capitale de la Floride, où il est invité à donner une conférence sur – ça ne s’invente pas – les politiques de lutte contre le racisme ! Sociologue, romancier et cinéaste, le ministre est lyonnais de naissance, mais fils d’immigrés algériens.
À sa descente d’avion, il est entouré par des policiers, placé à l’écart des autres passagers, puis conduit dans une pièce où des officiers des douanes et de l’immigration procèdent à des « vérifications approfondies ». Après s’être entendu dire que son visa diplomatique ne lui donne pas le droit de prononcer une conférence, le ministre est fouillé, interrogé et finalement relâché.
« La situation était tendue et étrange pendant ce contrôle, a raconté Begag au quotidien Le Monde. Le premier fonctionnaire n’a pas vu que j’étais ministre. J’imagine que, dans son esprit, s’est produit un télescopage entre mon passeport et mon visage. À ses yeux, je n’avais pas la tête d’un ministre français normal. » Le Quai d’Orsay, bien sûr, a aussitôt protesté auprès du département d’État, qui s’est excusé mollement mais a quand même reconnu que l’agent des douanes avait commis une « faute professionnelle ». En guise de sanction, les Américains ont promis que le douanier indélicat sera tenu de suivre un stage de formation consacré à l’accueil des visiteurs étrangers. Avec un volet portant plus spécialement sur la courtoisie…
Le climat de suspicion générale qui prévaut en Amérique depuis les attentats du 11 septembre 2001 a entraîné une multiplication des incidents et des arrestations arbitraires, rarement relevés par la presse. Les ressortissants des pays arabes et musulmans, qui éprouvent d’ailleurs de plus en plus de difficultés à obtenir des visas, en sont évidemment les premières victimes. Mais pas les seules. Le président du Sénat mexicain – le deuxième personnage de l’État ! -, en a fait la désagréable expérience à l’aéroport de Los Angeles, où il a été retenu pendant plusieurs heures par des douaniers butés. Encore plus incroyable, le sénateur démocrate Ted Kennedy – le propre frère du président assassiné en 1963 – a été empêché à cinq reprises d’embarquer sur un avion d’US Airways ! Motif : un homonyme figurait sur une liste d’individus interdits de vol.
Dans le sillage du très controversé Patriot Act, l’administration Bush a tenté d’imposer un programme de fichage des voyageurs. Baptisé Capps II, ledit programme était fondé sur un système d’identification informatique des passagers et prévoyait d’attribuer un code couleur à chacun d’entre eux, en fonction de son degré de dangerosité potentielle. Ce projet liberticide a finalement été abandonné en juillet 2004, en partie sous la pression des compagnies aériennes, très réticentes à l’idée de devoir collaborer à une opération de délation systématique de leurs clients.
Les fréquents excès de zèle des fonctionnaires américains de l’immigration, qui jouissent d’une quasi-impunité, ont provoqué une série de mesures de rétorsion. Le Brésil, par exemple, oblige désormais les voyageurs américains à se pourvoir d’un visa et relève systématiquement leurs empreintes digitales. La Russie, la Chine, la Thaïlande, le Népal, le Pakistan, la Turquie et l’Arabie saoudite leur imposent des questionnaires supplémentaires et alignent les frais de visa sur ceux pratiqués par les États-Unis. Le Mexique, en revanche, a fini par obtenir que ses ressortissants soient exemptés de l’humiliante procédure du relevé des empreintes.
Azouz Begag n’en est pas à sa première mésaventure américaine : en 2003, il avait déjà subi un contrôle « très poussé ». Mais ce qu’il pouvait à la rigueur admettre quand il n’était qu’un simple citoyen français, le ministre de la République n’entend plus l’accepter. Philosophe, il tient cependant à relativiser la portée de l’incident : pour lui, l’affaire est close depuis que les responsables américains se sont officiellement excusés. La bêtise et l’intolérance sont, il est vrai, les choses du monde les mieux partagées. Ne lui est-il pas arrivé à plusieurs reprises, en France même, d’être confondu avec… son garde du corps ?

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