« Faidherbe doit tomber » : des collectifs français et sénégalais à l’assaut du mythe du colon bâtisseur

De Lille à Saint-Louis, plusieurs associations militantes entendent faire disparaître de l’espace public le nom de Louis Faidherbe, l’ancien gouverneur français du Sénégal. Elles proposent de débaptiser les rues, ponts et lycées qui portent son nom et de déboulonner les statues à son effigie.

À gauche, la statue du général Louis Faidherbe à Saint-Louis, au Sénégal et à droite sa statue à Lille, en France. © Wikimedia Commons

À gauche, la statue du général Louis Faidherbe à Saint-Louis, au Sénégal et à droite sa statue à Lille, en France. © Wikimedia Commons

Aïssatou Diallo. CRETOIS Jules

Publié le 10 avril 2018 Lecture : 5 minutes.

« Faidherbe doit tomber ! » Un collectif lancé le 10 avril à Lille, dans le nord de la France, en partenariat avec une association sénégalaise, a fait du déboulonnage de la statue équestre de Louis Faidherbe son cheval de bataille. Depuis octobre 1896, une imposante représentation en bronze du général trône en effet dans le centre-ville de la capitale des Flandres. Une manière, pour sa ville d’origine, de rendre hommage à celui qui « s’est illustré durant la guerre de 1870 à la tête de l’armée du Nord », lit-on sur le site de la municipalité.

Mais c’est son action en tant que gouverneur du Sénégal, pendant la colonisation française, que dénoncent les associations. « Il y a un réel déni : on célèbre le militaire actif en France et on occulte sa carrière coloniale », constate Thomas Deltombe, coordinateur de la campagne « Faidherbe doit tomber » pour l’association Survie Nord, mais aussi auteur de L’islam imaginaire (La Découverte, 2007) et co-auteur de Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique, 1948-1971 (La Découverte, 2011).

Les hommes ont été massacrés, les villages réduits en cendre. Et la famine est devenue une arme de guerre

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Le gouvernorat de Faidherbe – de 1854 à 1861 ; puis de 1863 à 1865 – a été marqué par de nombreuses campagnes militaires menées dans les anciens royaumes du Fouta Toro (Sénégal, Mauritanie), du Khasso (Sénégal, Mali) et du Kayor (Sénégal).

« Pendant des années, les peuples de la région ont été soumis à la mitraille française, dénonce Thomas Deltombe. Les hommes ont été massacrés, les villages réduits en cendre. Et la famine, savamment entretenue dans les « zones rebelles », est devenue une arme de guerre… »

Le mythe du « bon colon »

En 2017, lors d’une manifestation artistique à Lille, un panneau biographique avait été temporairement installé à proximité du monument : les violences dont le militaire s’était rendu coupable, en tant que bras armé de la colonisation du Sénégal, sont demeurées pudiquement tues.

C’est cet effacement d’une partie de l’histoire qui a poussé des Lillois, dont Deltombe, à réagir. Ce dernier précise : « L’événement est arrivé dans la foulée de la naissance de collectifs réclamant, des États-Unis à la Belgique, une réflexion sur la présence dans l’espace public de monuments à la gloire de symboles d’un colonialisme agressif comme Thomas Robert Bugeaud ou Léopold II.

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Avec une particularité, dans le cas de Faidherbe : « Aujourd’hui, à l’instar d’un Hubert Lyautey [premier résident général du Protectorat du Maroc], il incarne ce mythe du « colon bâtisseur » et « visionnaire ». On le dépeint encore souvent comme un amoureux de l’Afrique, un passionné du Sénégal… Il faut en finir avec ce mythe du « bon colon », venu en Afrique pour aider l’indigène à progresser. C’est une rhétorique trompeuse qui cache le fait que la colonisation est un crime dans son principe même. »

« Devoir de mémoire »

Ce combat contre toute forme de célébration de Faidherbe se déroule aussi au Sénégal, notamment dans la ville de Saint-Louis (Nord), où une statue du général, située sur une place qui porte son nom – sans parler du pont éponyme, permettant d’accéder à cette ville insulaire -, cristallise l’attention depuis quelques mois.

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Érigé en 1891, le monument de bronze était tombé lors des pluies violentes qui se sont abattues sur la région dans la nuit du 4 au 5 septembre 2017. De nombreux Sénégalais s’étaient alors publiquement réjouis de la chute de la statue et en avaient profité pour se prendre en photo devant le vide laissé par la nature.

De manière récurrente, des blogueurs ou des journalistes s’offusquent notamment de la plaque apposée en dessous de la statue et proclamant : « À son gouverneur Louis Faidherbe, le Sénégal reconnaissant. »

La statue de Faidherbe à Saint Louis, au sol après de fortes pluies, en septembre 2017. © DR / Collectif sénégalais contre la célébration de Faidherbe

La statue de Faidherbe à Saint Louis, au sol après de fortes pluies, en septembre 2017. © DR / Collectif sénégalais contre la célébration de Faidherbe

La statue a été maintenue, non pour célébrer la colonisation mais par devoir de mémoire

Des appels à la retirer définitivement et à la remplacer par des figures historiques locales sont depuis relayées sur les réseaux sociaux. Mais entre temps, les autorités sénégalaises ont décidé de remettre le général sur ses jambes.

Pour Abdou Aziz Guissé, directeur du patrimoine culturel du Sénégal, « la statue fait partie de l’héritage architectural et historique de la ville de Saint-Louis, classée au patrimoine mondial par l’Unesco. Elle a été maintenue, non pour célébrer la colonisation mais par devoir de mémoire. »

Las ! Un groupe au nom évocateur, le Collectif sénégalais contre la célébration de Faidherbe, qui fédère quelques centaines de sympathisants au Sénégal et au sein de la diaspora, exige de son côté le déboulonnage définitif de la statue. Sur Internet, ses militants essaient de faire connaître la biographie et l’ensemble de l’œuvre de Faidherbe et, depuis quelques semaines, participent à la campagne lilloise.

Au Sénégal, les polémiques autour de l’ancien gouverneur ne sont pas nouvelles : en 1978, le réalisateur Ousmane Sembène écrivait une lettre ouverte au président Léopold Sédar Senghor. « N’est-ce pas (…) une atteinte à (…) notre histoire nationale que de chanter l’hymne de Lat Dior [figure de la résistance à la pénétration coloniale] sous le socle de la statue de Faidherbe ? »

Réhabilitation implicite

Lors de sa visite au Sénégal, en février dernier, Emmanuel Macron a tenu son discours sur la place Faidherbe, à Saint-Louis, promettant des financements pour la rénover. Le discours du président français n’a pas manqué de choquer certaines consciences.

Faidherbe appartient au passé mais sa statue est le symbole de la prolongation de rapports coloniaux

Dans son allocution, il déclare ainsi : « On m’a raconté qu’ici, à Saint-Louis, autour des années 1850, les Français s’inquiétaient de la montée du jihadisme. Parfois l’histoire bégaie. » Un rapprochement douteux entre la lutte anticoloniale menée par des religieux sénégalais au XIXe siècle, face à l’invasion française, face aux troupes de Faidherbe, et le jihadisme contemporain.

Mais pour Khadim Ndiaye, historien sénégalais et membre du Collectif contre la célébration de Faidherbe, la réhabilitation implicite du général par Emmanuel Macron, tout comme la réinstallation de sa statue « sous forte escorte policière » n’a en fait rien d’un mauvais signe : « C’est la preuve que la contestation commence à prendre forme. Faidherbe appartient au passé mais sa statue est le symbole de la prolongation de rapports coloniaux. »

Pour Khadim Ndiaye, dans ce contexte le retrait des statues de Faidherbe n’est qu’une partie d’un combat plus large. Tout comme les militants lillois ont aussi été inspirés par les mobilisations aux États-Unis contre la présence de représentations du général confédéré Robert Lee, durant l’été 2017, Ndiaye espère que leur combat inspire ceux qui veulent « déboulonner » statues, plaques de noms de rue ou d’établissements scolaires rendant encore hommage aux colons partout en Afrique.

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