Faites vos jeux !

Tour d’horizon d’une activité en pleine expansion sur le continent, à la veille du rendez-vous annuel des investisseurs, à Mombasa.

Publié le 31 octobre 2005 Lecture : 7 minutes.

Ben Zwinkels décide des investissements sur le continent de la Société néerlandaise pour le financement du développement (FMO), l’une des plus importantes agences bilatérales de développement au monde. Rien ne prédisposait ce diplômé en horticulture à devenir l’une des chevilles ouvrières du capital-risque en Afrique, l’investissement dans le capital des sociétés non cotées (voir encadré ci-dessous). Un domaine en ébullition depuis le rachat, en mars, pour 3,5 milliards de dollars, de Celtel par le groupe koweïtien MTC. « Pour la FMO, cela représente une plus-value supérieure à 30 millions d’euros », se félicite Zwinkels, à propos de cette transaction qui a récompensé plusieurs agences de développement entrées dans le capital de l’opérateur panafricain de téléphonie mobile dès ses débuts.
L’heureuse conclusion de l’aventure Celtel permet aussi d’illustrer le lien entre capitaux privés, développement et lutte contre la pauvreté. « L’annulation de la dette soulage les pays africains, mais elle ne crée pas de richesses », souligne Hendrick du Toit, président d’Investec, une banque d’investissement sud-africaine. D’où l’importance de projets économiques viables financés par le capital-risque, l’apport en fonds propres étant plus adapté que le crédit bancaire. « Pour leur création ou leur développement, les entreprises ont besoin de ressources longues, alors que les banques accordent plus souvent des prêts à court terme à fort taux d’intérêt et en exigeant des garanties », résume Alamine Ousmane Mey, directeur général d’Afriland First Bank. Son groupe a lancé, en 1998, avec le FMO, Cenainvest, un fonds de capital-risque au Cameroun.
À l’origine du capital-risque en Afrique se trouvent la Société financière internationale (SFI), filiale de la Banque mondiale, et plusieurs agences de développement européennes : la britannique Commonwealth Development Agency (CDC), la FMO, l’allemande DEG, la finlandaise Finnfund, la norvégienne Nordfund et la française Proparco, filiale à 67 % de l’Agence française de développement (AFD). Avec 750 millions de dollars de participations, la CDC est le plus important investisseur en Afrique, suivie de la FMO (220 millions de dollars). L’agence néerlandaise a démarré son activité capital-risque en Afrique en 1994, avec l’idée que le secteur privé, et plutôt les PME que les grandes entreprises, devait être le moteur du développement. « Nous voulons être un facilitateur d’investissements », résume Zwinkels.
Tout commence en Tunisie quand la FMO fournit une assistance technique à de jeunes banquiers d’affaires, qui, sur l’initiative de la SFI, créent Tuninvest Financial Group (TFG) et lancent leur premier fonds, Tuninvest Sicar. La FMO met alors en place un réseau de sociétés de capital-risque en partenariat avec des acteurs locaux. Ces derniers détectent les projets, le comité d’investissement les étudie, puis organise l’audit de ceux qui ont été retenus et, enfin, la levée de fonds. Progressivement, Cenainvest au Cameroun, Fidelity Investments au Ghana, International Banking & Trust Company (IBTC) au Nigeria et Cauris investissement en Afrique de l’Ouest viendront compléter le dispositif. Au total, la FMO a investi dans 210 sociétés réparties dans 28 pays africains via 21 fonds d’investissement. Le plus récent d’entre eux, AfricInvest, lancé à la fin de 2004, doté d’un encours de 35 millions d’euros, projette d’investir dans la téléphonie mobile au Togo, dans une usine de cacao au Ghana, dans une chaîne de supermarchés au Maroc, ou encore dans une cimenterie au Cameroun.
Forte du succès de Tuninvest Sicar, doté de 8 millions de dollars, la SFI a ensuite incité TFG à créer, en 2000, Maroc Invest, à qui a échu la gestion de Maghreb Private Equity Fund, un fonds offshore de 23 millions de dollars qui a investi au Maroc et en Algérie. Au total, l’équipe de quinze personnes de TFG a créé sept fonds et levé près de 100 millions de dollars auprès de la FMO (18 millions), de la BEI (15,5 millions), de la SFI (9,5 millions), de Tunisie Leasing (8 millions) et de Proparco (6,5 millions). « Le taux de rendement interne annuel moyen dépasse les 10 %, y compris pour les fonds offshore », se félicite Ziad Oueslati, directeur de Tuninvest. Ainsi, Sotupa, une société tunisienne d’hygiène féminine et de couches pour bébés, dont Tuninvest a financé l’expansion en Algérie puis au Maroc, a été cédée avec profit au suédois Svenska Cellulosa AB. Proparco a approuvé, en 2004, neuf prises de participations pour un montant total de 18,3 millions d’euros. Mais ses investissements africains en fonds propres, de l’ordre de 72,7 millions d’euros, sont deux fois et demie moins élevés que ceux de la FMO. Quant à la CDC, elle a créé, en 2001, avec Nordfund, la société de capital-risque Aureos, qui n’investit pas en direct dans les entreprises, mais via des fonds d’investissement, dont Actis Africa et Acacia. Au Kenya, Acacia a financé le développement de Hoggers, une chaîne de restauration rapide, et celui de Mount Elgon Orchards, une ferme horticole reconvertie dans la production de roses. Autre réussite liée à Acacia : Brookside Dairy Ltd., créée en 1993 et qui a doublé sa capacité de production de lait de qualité supérieure, obtenant une part de marché de 40 % dans le pays. La société a créé huit cents emplois directs et un millier d’emplois indirects. L’impact économique et social est d’autant plus important que 93 % des fournisseurs de lait sont des fermiers indépendants qui ne possèdent qu’une à trois vaches.
Au plan général, l’intérêt manifesté par la CDC dans une opération a un effet d’entraînement auprès d’autres agences de développement et de fonds privés. Son investissement dans Celtel – revendu 4,3 fois la mise – a permis à l’opérateur d’attirer le fonds britannique Blakeney Management, ainsi que Emerging Markets Partnership (EMP), le premier investisseur mondial en infrastructures, qui gère six fonds dotés de 5,7 milliards de dollars au total.
En 2000, EMP a créé African Infrastructures Fund (AIF), nommé aussi Africa 1. Basé à Washington et disposant de bureaux à Abidjan, à Johannesburg et, depuis peu, à Tunis, l’AIF est devenu le plus important fonds d’investissement en Afrique, doté de 408 millions de dollars. Côté investisseurs, des géants américains comme AIG, numéro un mondial de l’assurance, qui a misé 75 millions de dollars, et le fournisseur de gaz naturel El Paso (50 millions de dollars) côtoient les agences de développement comme la SFI (75 millions), la Banque africaine de développement (50 millions), la BEI (25 millions) et Proparco (10 millions). Cette mixité public-privé s’explique par la nature publique des investissements dans les infrastructures, mais aussi par l’origine des créateurs d’EMP : Moeen A. Qureshi, ex-Premier ministre par intérim du Pakistan, et Donald C. Roth, qui a présidé la banque d’affaires Merrill Lynch Europe, sont d’anciens hauts dirigeants de la Banque mondiale, qu’ils ont quittée en 1992 pour créer EMP.
Le fonds AIF, dont Nelson Mandela a présidé le conseil jusqu’en 2004, a investi dans tous les pays d’Afrique à l’exception de la Libye, de Madagascar et de l’Angola, profitant surtout des privatisations. Il est présent dans les télécoms (Orascom en Algérie, Celtel, StarComs au Nigeria), l’agroalimentaire (Agromed, la Société internationale des plantations d’hévéas, la SIPH, ou encore Charaf, distributeur d’engrais au Maroc), les ressources naturelles (PanAfrican Energy, dans le pétrole), les transports (Air Ivoire, relancée en 2002) et les services (Veolia Water Maroc, Globeleq). Deux nouveaux fonds sont sur le point d’être lancés : Africa 2 et un fonds Afrique du Nord/Moyen-Orient géré depuis Tunis avec une contribution de 175 millions de dollars de l’Overseas Private Investment Corporation (Opic), l’agence américaine de capital-risque.
D’autres acteurs ont des stratégies plus ciblées sur le plan géographique. Le West Africa Growth Fund, créé en 1997 et géré par l’investisseur britannique Framlington, s’implique surtout dans les pays de la zone franc, ainsi qu’au Ghana et au Nigeria. Très actif en Afrique de l’Est, le Fonds de l’Aga Khan pour le développement économique (Akfed) s’est récemment déployé au Burkina et au Mali dans le transport aérien. Wafabank et Casablanca Finance Group (CFG) s’activent au Maroc, Hermès EFG en Égypte et Ethos en Afrique du Sud. Dernier venu sur le continent, le prince saoudien Al-Walid Ibn Talal a créé, en novembre 2004, le fonds Kingdom Zephyr Africa. Sur les 100 millions de dollars prévus, 30 millions ont déjà été investis dans des banques au Ghana et au Nigeria ainsi que dans le groupe sénégalais de télécoms Sonatel. En juillet, en partenariat à 50/50 avec HSBC, Al-Walid a créé un nouveau fonds, HSBC Kingdom Africa Investments, qui investira jusqu’à 400 millions de dollars en Afrique subsaharienne.
« Si vous voulez investir en Afrique, le choix du Nigeria s’impose depuis l’élection d’Olusegun Obasanjo », explique Hywel Rees-Jones, partenaire d’Actis Africa. En 2004, ce fonds a été le plus important investisseur privé au Nigeria, hors pétrole : 70 millions de dollars dans le centre commercial Palms, à Lagos, 21 millions de dollars dans StarComs, opérateur régional de télécoms, et 25 millions dans UAC, ex-usine d’Unilever. D’ici à 2008, Actis prévoit d’investir 500 millions de dollars dans le pays. Zwinkels partage le même enthousiasme : « Si le Ghana est un très bon élève de la Banque mondiale au plan macroéconomique, le Nigeria, pourtant plus chaotique, bénéficie d’une population éduquée et disciplinée, et se révèle un pays plus favorable au business. » Africinvest, le fonds géré par Tuninvest, a d’ailleurs investi dans un hôtel de luxe à Lagos et dans une société de distribution de gaz.
À côté de ces mégaprojets s’en trouvent d’autres, plus proches du domaine de la microfinance. Avec le fonds Mitfund, Afriland First Bank finance, au Cameroun, des microprojets dont l’apport se situe entre 100 000 et 5 millions de F CFA, par exemple pour l’acquisition d’un taxi. « Une fois le véhicule acheté, le chauffeur de taxi peut amortir sa dette par son activité », explique Alamine Ousmane Mey, qui nomme cette forme de financement « l’argent intelligent ». Mais l’ingrédient essentiel du capital-risque reste la ressource humaine. Or, comme l’explique Ben Zwinkels, « une nouvelle génération de dirigeants, d’hommes d’affaires et de managers, formés dans les meilleures écoles internationales, prend peu à peu en main la destinée des économies africaines ». Une évolution de bon augure.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires