Cameroun : quand Ahmadou Ahidjo transmettait le pouvoir à Paul Biya
Le 6 novembre 1982, Paul Biya devenait président de la République camerounaise. Le résultat de la démission de son prédécesseur Ahmadou Ahidjo, deux jours plus tôt, qui résonnait pour beaucoup comme un coup de tonnerre.
« Camerounaises, Camerounais, mes chers compatriotes, j’ai décidé de démissionner de mes fonctions de président de la République. » Il est 20 h 30 en ce jeudi 4 novembre 1982, lorsqu’une voix familière retentit aux oreilles des auditeurs de Radio Cameroun. Quelques mots suivent pour préciser que cette démission prendra effet le surlendemain, 6 novembre à 10 heures, et pour inviter les citoyens à apporter leur soutien au successeur constitutionnel, Paul Biya. L’effet est celui d’un coup de tonnerre en pleine saison sèche : entre incrédulité et peur du lendemain, les Camerounais ne respirent plus, comme en état d’apnée.
Après vingt-deux ans de pouvoir absolu, le bâtisseur de l’État camerounais, le Louis XI d’Etoudi, celui qui disait sans que nul ne le croie vraiment : « je ne suis pas Bourguiba », devient, après Senghor, le deuxième président africain en exercice à quitter la barque du pouvoir alors que rien ne l’y contraint – si ce n’est sa propre conscience. Les confidences recueillies par son meilleur biographe, Philippe Gaillard, auprès des proches d’Ahmadou Ahidjo et notamment de son épouse Germaine, éclairent d’une lumière blafarde cet épisode étrange*.
Extraordinaire scénario
Certes, l’hypothèse d’un retrait de la scène publique de celui qui fut à la fois un patriote et un despote est alors chose admise au Cameroun depuis le congrès du parti unique à Douala, en 1975. Ahidjo, dit-on, prépare sa sortie, mais on juge cette perspective lointaine et surtout réversible. Or, à partir du début de 1982, tout s’accélère. Le président souffre de maux de tête et d’insomnies. Les cigarettes, l’alcool, les somnifères et les noix de kola émoussent sa mémoire et son ardeur au travail.
Parfois, entendant battre son pouls lors d’une angoisse nocturne, il craint une crise cardiaque qui le rendrait incapable d’exercer le pouvoir, avant de l’avoir quitté et sans avoir préparé sa succession. En juillet 1982, la décision de démissionner est prise. Reste à en échafauder l’extraordinaire scénario qui aura Germaine pour unique témoin.
Pendant trois mois, Ahidjo jouera au malade alors même qu’il va mieux. Le seul argument, pense-t-il, qui puisse laisser sans réplique son entourage tétanisé à l’idée de sa démission est l’évocation d’une maladie grave. Peu à peu, les épisodes de lassitude alternent avec les crises de dépression, le tout parfaitement joué, si ce n’est totalement simulé. Le 29 octobre, il se rend à Grasse, en France, pour se soigner et reçoit Guy Penne, le « monsieur Afrique » de François Mitterrand. Devant lui, au cours du repas, il avale une dizaine de pilules et se dit surmené, au bout du rouleau.
Paul Biya prend congé, puis revient : c’est oui
Penne repart atterré, gardant l’image d’un homme névrosé, en proie au délire. Le 3 novembre, Ahidjo rentre secrètement à Yaoundé, où son secrétaire général Samuel Eboua et Paul Biya sont autorisés à venir l’accueillir. Seule Germaine, visiblement radieuse, trahit le scénario du grand malade – mais nul ne s’en aperçoit. Retiré dans la villa qu’il habite depuis peu au sein du palais d’Etoudi flambant neuf, Ahmadou Ahidjo convoque aussitôt son Premier ministre, l’informe de sa décision de lui passer la main et l’invite à donner sa réponse dans une heure. Paul Biya prend congé, puis revient. C’est oui.
En ce 4 novembre 1982, Biya hérite d’un État construit mais d’une nation encore dispersée. Ahidjo, lui, mourra sept ans plus tard en exil à Dakar – où ses cendres reposent toujours. Mort de chagrin, dit-on, mais d’un chagrin trouble mêlé d’une dévorante rancoeur. Sur l’injonction de ses proches, le président démissionnaire a tenu en effet à conserver la présidence du parti. Dès lors, une brèche était ouverte entre lui et son successeur, qui deviendra peu à peu un véritable gouffre. Dommage, sans doute, que l’enfant de Garoua, pour qui le pouvoir était une ardente obligation – quitte à l’exercer de manière autoritaire et répressive -, n’ait pas su jouer jusqu’au dernier acte un scénario trop parfait.
* Ahmadou Ahidjo, JA Livres, collection « Destins », Paris, 1994.
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