Congo-Brazzaville : le FMI au chevet de la dette congolaise
Une délégation du FMI est présente à Brazzaville depuis le 3 avril afin de poursuivre ses négociations avec le gouvernement congolais. Si les deux parties arrivent à un accord, le pays, très endetté, pourrait bénéficier bientôt d’un programme d’appui de l’institution, avec plusieurs centaines de millions de dollars à la clé. Mais tous les obstacles sont loin d’être levés. Lucie Villa, économiste chez Moody’s, revient pour Jeune Afrique sur les différents scénarios possibles.
Alors que les experts du FMI, arrivés le 3 avril à Brazzaville, sont à pied d’œuvre, la publication par le journal Le Monde, le 10 avril, d’un article intitulé « Comment le groupe Total a aidé le Congo à berner le FMI » a fait l’effet d’une douche froide. Le quotidien y décrit un mécanisme de sociétés-écrans qui auraient permis au gouvernement congolais de décrocher en 2003, via l’entreprise Likouala SA, un prêt de 70 millions de dollars auprès de la BNP Paribas, garanti par Total. Une version aussitôt démentie par l’entreprise. Quant aux autorités congolaises, sollicitées par Jeune Afrique, elles n’ont pas souhaité s’exprimer sur ce sujet dans l’immédiat.
Ces révélations font mauvais effet alors que quelques mois à peine se sont écoulées depuis que le FMI a pris conscience de l’ampleur réelle de la dette congolaise : l’institution, qui l’estimait à 77 % en mars 2017, avait dû revoir ses chiffres à la hausse et avancer un chiffre de 117 % au mois d’août, après s’être fait communiquer de nouveaux documents par le gouvernement. « Et fin décembre 2017, la dette a atteint 127 % du PIB », précise Lucie Villa, qui suit le pays pour l’agence de notation Moody’s.
Pour elle, l’information du Monde, si elle est avérée, n’aura qu’une portée limitée : « Sur les problèmes de transparence économique, de non-report d’un certain volume de passifs, on a pris acte de ce qui s’est passé et cela pèse encore, mais le pays ne peut pas descendre plus bas dans notre échelle. »
Menace d’un défaut de paiement
Reste à savoir, dans ces conditions, jusqu’à quel point l’institution financière internationale voudra poursuivre ses négociations avec les autorités du pays et ce qu’elle sera en mesure de lui proposer. Les pays de la Cemac ont en effet ouvert la porte à de nouveaux prêts du FMI lors du sommet extraordinaire de décembre 2016, pour contrer le scénario d’une dévaluation.
Suite à cela, l’institution a signé des accords en juin 2017 avec le Gabon (642 millions de dollars) et le Cameroun (666,2 millions de dollars), et en juillet 2017 avec le Tchad (312,1 millions de dollars). Le Congo sera-t-il le prochain ? Pour Lucie Villa, c’est « plus difficile qu’ailleurs, car la capacité institutionnelle est très basse ».
Mais même si l’accord était paraphé, le pays ne serait pas tiré d’affaire, estime Moody’s. « Dans le cadre d’un programme, le gouvernement pourrait s’engager sur deux plans, qui ne sont pas exclusifs : des mesures budgétaires, pour ne pas aggraver la dette en accumulant les déficits, mais aussi une restructuration de la dette. Et le volume de la dette est tel qu’on s’attend à ce qu’il soit nécessaire de poursuivre cette restructuration », explique Lucie Villa.
Dans ce cas, le pays pourrait être amené à revoir sa dette avec ses créanciers privés, notamment ceux qui ont souscrit à l’eurobond de 478 millions de dollars émis en 2007, et dont la dernière échéance doit intervenir en juin 2029. « Ce n’est pas notre scénario central, car le plus gros de la dette congolaise reste détenu par un bailleur public : la Chine. Mais cela pourrait arriver, et ce serait alors considéré comme un défaut de paiement. C’est pour cela que nous avons attaché à la notation du pays une perspective négative », développe Lucie Villa, qui précise que selon l’expérience de Moody’s, « au moins un émetteur sur trois auquel était attachée une perspective « négative » a vu sa note abaissée ».
Embellie
Malgré ce risque à court terme, l’économiste estime que la conclusion d’un programme avec le FMI serait une bonne nouvelle à moyen et long terme. Ces derniers mois, plusieurs mesures gouvernementales vont dans le sens d’une embellie : le conseil des ministres du 27 décembre 2017 a voté un budget conforme aux recommandations du FMI et prévoyant un excédent de 334 millions d’euros ; et début février, l’État a annoncé le démantèlement de ses sociétés publiques d’eau et d’électricité pour les remplacer par des sociétés anonymes.
En outre, dans sa dernière publication concernant le pays, datée du 27 mars, Moody’s fait état du recours du gouvernement aux conseillers d’Ernst & Young pour l’aider à gérer le stock de ses impayés envers ses fournisseurs sur la période 2014-2016.
En outre, les cours du pétrole sont légèrement remontés ces derniers mois. Un souffle qui pourrait n’être que temporaire, selon Lucie Villa : « Il y a une amélioration, mais on reste dans un environnement relativement bas et extrêmement volatil. En outre, le plateau de production congolais est assez court : s’il n’y a pas de nouvelle découverte les chiffres vont rapidement baisser ».
En 2017, la mise en production du projet Moho Nord a permis au pays d’améliorer sa production, en dépit de l’arrivée à maturité de plusieurs champs.
« Ultra-spéculatif » ou simplement « très risqué » ?
Dans sa dernière publication, Moody’s attribuait au Congo la note de Caa2, « ce qui signifie qu’un investisseur privé peut s’attendre à des pertes indicatives de 10% à 20% si un émetteur fait défaut », précise Lucie Villa.
L’investissement est donc considéré comme « ultra spéculatif ». À titre de comparaison, S&P, le principal concurrent de Moody’s, a donné au pays, le 23 mars, la note CCC+, un brin meilleure : elle correspond à un risque « élevé » et se voit attachée à une perspective « stable ».
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