Algérie – Akram Kharief : « Le crash de l’avion militaire n’est pas dû à un problème de surcharge »

Alors que plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer les raisons du crash de l’avion militaire qui a coûté la vie à 257 personnes le 11 avril dernier en Algérie, la cause de l’accident ne serait pas due à une erreur humaine, selon l’expert algérien en sécurité Akram Kharief, qui met davantage en avant la thèse d’un problème technique. Explications.

Sur le site du crash qui a fait 257 morts, près de Blida, en Algérie, le 11 avril 2018. © Anis Belghoul/AP/SIPA

Sur le site du crash qui a fait 257 morts, près de Blida, en Algérie, le 11 avril 2018. © Anis Belghoul/AP/SIPA

Publié le 16 avril 2018 Lecture : 4 minutes.

Une semaine après le crash de l’avion militaire ayant causé la mort de 257 personnes en Algérie, les causes du drame suscitent toujours la controverse. Surcharge de l’appareil, erreur de pilotage, panne technique… Les hypothèses vont bon train au moment où les autorités algériennes ont déclaré avoir diligenté une enquête. 

Jeune Afrique a requis l’avis technique de Akram Kharief, expert en sécurité et directeur de publication de Mena Défenseun site d’actualité traitant des thèmes de la défense et de la sécurité en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. 

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Jeune Afrique : La fiche technique de l’avion Iliouchine IL-76, qui transportait les passagers, indique que cet appareil a une capacité de 126 à 225 passagers, selon les versions. Un problème de surcharge est-il, selon vous, à l’origine du crash ?

Akram Kharief : Une surcharge de l’appareil n’est, selon moi, pas à l’origine du crash. En matière de charge utile sèche, l’appareil était à 31 tonnes alors qu’il a une capacité maximale de 47 tonnes. Techniquement, en ajoutant son poids et celui du carburant nécessaire pour l’aller-retour, avec une heure d’attente, il atteint à peine 200 tonnes alors que la MTOW (Masse maximale au décollage) est de 250 tonnes. La charge est loin d’être atteinte dans le cas de cet appareil qui s’est écrasé.

En 2003, un avion identique appartenant à l’armée de l’air iranienne avait percuté une montagne à cause des mauvaises conditions météo. Il transportait 275 passagers, la surcharge n’avait pas été retenue comme cause de l’accident. 

Si le constructeur de l’IL-76 a fixé le nombre maximum de passagers à transporter, cela implique de respecter cette règle de sécurité…

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Le constructeur fixe le nombre de passagers sur la base des sièges d’un avion de ligne, et non des strapontins pour parachutistes. Ces derniers sont plus petits et pèsent un vingtième du poids d’un siège d’avion de ligne. De plus, le calcul n’inclut pas le second pont amovible [l‘appareil dispose d’un plancher amovible formant un second étage, ndlr]. Dans sa configuration de transport de passagers, il y a 145 sièges en face-à-face sur quatre rangées sur le pont inférieur et 80 places sur le pont supérieur, ce qui fait un total de 225 sièges parachutistes. Les sièges strapontins forment un banc continu, tout au long de l’appareil. Ils sont 40 % plus larges que la largeur moyenne des sièges passagers, puisqu’au départ, ils sont conçus pour accueillir des parachutistes avec leur paquetage.

Les causes du crash n’ont rien à voir avec le nombre de passagers

Parmi les victimes figurent malheureusement beaucoup d’enfants qui devaient être sur les genoux de leurs parents. Je réaffirme donc que les causes du crash n’ont rien à voir avec le nombre de passagers. 

Dans une contribution publiée sur le site Mena Défense, un pilote instructeur originaire de Laghouat (400 km au sud d’Alger), soutient qu’il y a probablement eu une explosion du réacteur n°3, entraînée par la rupture d’un disque de turbine. En se brisant, celui-ci aurait projeté des fragments de métal qui auraient ensuite percé le réservoir de kérosène et provoqué l’incendie. Partagez-vous cet avis ?

C’est une possibilité. La seconde hypothèse est celle de l’ingestion d’un corps étranger se trouvant dans les airs ou sur la piste, comme un oiseau par exemple. La détonation a également pu être provoquée par une rupture d’ailettes du moteur.

Il semblerait que la déflagration ait été plus puissante, au point d’affecter le quatrième moteur et de l’arrêter

Notons que l’explosion d’un moteur est censée être contenue et les débris naturellement évacués vers l’arrière. Or, dans le cas de l’IL-76, il semblerait que la déflagration ait été plus puissante. Au point d’affecter le quatrième moteur et de l’arrêter.

Les avions de type Iliouchine, de fabrication russe, sont réputés pour être de vieux modèles. Quel crédit donner à la thèse de la vétusté de l’appareil comme cause du drame ?

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L’appareil a été produit en 1994 et est entré en service en Algérie en 1995. Il dispose d’un certificat de navigabilité avant une grande révision du constructeur qui va jusqu’en 2023. À titre d’exemple, la durée de vie de la flotte française d’avions de transport Transall, qui est la colonne vertébrale de l’armée de l’air, est de 36 ans, celle des C-130 est de 28 ans, celle des ravitailleurs KC-135 est de 52 ans. Bien entretenu, un avion de transport vole aisément jusqu’à 40 ans.

Dans le cas de la flotte de transport, c’est probablement l’utilisation intensive qui a éprouvé les appareils

Comment expliquez-vous la multiplication des accidents aériens militaires depuis 2007 ?

Il est difficile de répondre à cette question. De façon générale, entre 2007 et 2011, une sorte d’épidémie de crashs a affecté des avions de chasse en fin de vie. Depuis 2013, ce sont les avions de transport qui ont connu des incidents fréquents, dont une bonne moitié ont été causés par des erreurs humaines. Dans le cas de la flotte de transport, c’est probablement l’utilisation intensive qui a éprouvé les appareils.

Cette utilisation intensive s’explique par deux raisons : d’abord par la mission de service public liée au désenclavement des villes du sud, qui entraîne l’intensité des liaisons aériennes. Ensuite, cette flotte est utilisée pour transporter les personnes qui font leur service militaire [obligatoire en Algérie, ndlr]. Cette mesure permet aux conscrits et aux militaires actifs de ne pas passer leurs permissions sur les routes. 

Pourquoi les conclusions des enquêtes sur ces drames aéronautiques n’ont  jamais été rendues publiques ?

Le ministère de la Défense nationale considère que les enquêtes concernent des appareils appartenant à sa flotte et commandés par son personnel. De ce fait, il ne juge pas utile de partager l’information avec le grand public. Cette situation est regrettable et appelle à plus de transparence.

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