Un raid off the record

Destruction de matériels sensibles, voire nucléaires, opération symbolique ou répétition générale avant une offensive contre l’Iran ? Le bombardement par Tsahal, le 6 septembre, d’une station de recherche syrienne demeure un mystère.

Publié le 1 octobre 2007 Lecture : 6 minutes.

Un mois, ou presque, après les faits, un halo de mystère continue d’entourer le raid de l’aviation israélienne en territoire syrien, le 6 septembre dernier. Officiellement, d’ailleurs, cette opération n’avait toujours pas été fin septembre confirmée, ni du côté israélien, ni du côté américain, ni même du côté syrien – Damas continuant d’affirmer que si des appareils hostiles ont effectivement violé, ce jour-là, son espace aérien, ils ont été rapidement contraints de faire demi-tour par sa propre défense antiaérienne. Plus étrange encore, alors que ce type d’agression n’aurait pas manqué de déclencher, il y a peu, une vague d’indignation et de manifestations de rue au sein du monde arabe, celle-là n’a rien suscité d’autre que le silence, comme si elle avait eu lieu sur la planète Mars. Enfin, ce genre d’incident entre deux voisins officiellement en état de guerre devrait, en principe, les précipiter au bord de l’affrontement et compromettre au passage toutes les tentatives de paix régionale. Or il n’en est rien. Les Syriens se sont jusqu’ici contentés d’élever une protestation auprès de l’ONU et, sans que l’on sache encore très bien s’il s’agit là d’une récompense pour leur retenue – mais cela y ressemble -, ils ont été invités à participer au sommet de Washington sur le Moyen-Orient, prévu pour novembre prochain. Quant aux Israéliens, ils font tout pour minimiser la tension : « Ni nous ni les Syriens ne souhaitons qu’un nouveau conflit éclate », a ainsi déclaré le Premier ministre Ehoud Olmert, le 24 septembre.

Pourtant, le fait que ce raid israélien en territoire syrien ait bien eu lieu est un secret de polichinelle. Off the record, les confirmations émanant d’officiels israéliens et américains se sont multipliées, et l’on a même vu les généraux de l’état-major de Tsahal se féliciter mutuellement de cette opération devant les caméras de télévision, le 13 septembre, jour du Roch Hachana, le nouvel an juif. On en connaît même désormais quelques détails. Le raid a été précédé, au début d’août, de reconnaissances aériennes, de prises de photos par satellites et même, semble-t-il, d’une opération de commandos héliportés « sur zone » destinée à recueillir des « preuves ». La zone en question est celle de Dayr az-Zwar, au nord-est de la Syrie, plus précisément une station de recherche agronomique située à Deir Ezzor, non loin de cette localité. Quant aux « preuves », elles auraient été présentées dans le courant d’août au président américain George W. Bush, lequel aurait donné son feu vert pour le bombardement de l’installation. D’où le raid du 6 septembre, mené par une demi-douzaine d’appareils F-15I Eagle israéliens, dont les pilotes ignoraient tout des détails de leur mission, jusqu’à leur décollage. La destruction de la station de recherche aurait fait des dizaines de morts, dont plusieurs techniciens nord-coréens.
Si l’on en croit les sources israéliennes et américaines, l’opération avait en effet pour but de « vitrifier » un embryon de fabrication secrète d’armes nucléaires mis en place conjointement par la Corée du Nord et la Syrie dans cette région désertique, voisine des frontières turque et irakienne. Une explication médiatique, mais qui laisse dubitatifs nombre de spécialistes pour plusieurs raisons. Certes, les régimes de Damas et de Pyongyang entretenant depuis longtemps d’excellentes relations, la Corée du Nord a vendu à la Syrie la technologie de fabrication des missiles Scud – notamment le Scud D, d’une portée de 700 kilomètres. Mais on ne l’a pas encore prise la main dans le sac de la prolifération nucléaire. Les Nord-Coréens, qui ont fait exploser leur première bombe atomique il y a un an, et qui sont engagés dans de très délicats pourparlers avec les Américains à Pékin, n’ont a priori aucun intérêt à se risquer dans un jeu aussi dangereux. Qu’il s’agisse de plutonium ou de centrifugeuses destinées à enrichir l’uranium extrait des mines de phosphate syriennes, toute exportation de ce type est aisément détectable, extrêmement difficile à dissimuler, très complexe et onéreuse. Or la Syrie n’a ni les moyens financiers, ni les compétences nécessaires. Son unique réacteur de recherche, acheté en Chine et dûment inspecté par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), est le plus petit existant sur le marché. Il est en outre inutilisable à des fins militaires. Enfin, il reste à démontrer que le président syrien Bachar al-Assad, au pouvoir depuis sept ans, cherche à se doter de l’arme nucléaire. Contrairement à la Libye, à l’Iran et à la Corée du Nord, Damas n’a ainsi jamais répondu aux offres de service du réseau clandestin de dissémination mis en place par Abdul Qadeer Khan, le père de la bombe pakistanaise.

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D’autres hypothèses ont été avancées ici ou là pour tenter de justifier le raid du 6 septembre. Il s’agirait, en l’occurrence, de matériels « sensibles » d’origine nord-coréenne en transit pour l’Iran, voire d’une mise à l’abri, par les mêmes Nord-Coréens, de composants nucléaires censés échapper ainsi aux négociations de Pékin. Reste que tout cela demeure très fragile, pour l’instant sans aucun fondement et, surtout, n’explique pas pourquoi les Israéliens se refuseraient obstinément à communiquer sur une menace nucléaire à leurs frontières, ni pourquoi eux et leurs alliés américains feraient tout ensuite pour apaiser un tel « État voyou ». Le plus étonnant d’ailleurs est le timing de ce bombardement, quatre jours avant que le général David Petraeus décerne un bon point au régime de Damas lors de sa déposition devant le Congrès. Pour le patron de l’armée américaine en Irak, la Syrie, qui accueille près de 1,5 million de réfugiés irakiens, a fait ces derniers mois de louables efforts pour mieux contrôler les infiltrations de moudjahidine à partir de son territoire. Pourquoi, dès lors, punir un acteur stratégique du champ de bataille lorsqu’il paraît s’être engagé sur la voie de la collaboration ?
D’où la possibilité, désormais prise au sérieux, d’un coup de billard à trois bandes d’origine purement israélienne. Des renseignements parcellaires, voire tronqués, remis aux Américains, un vague feu vert de la part de ces derniers, une cible mystérieuse – à moins qu’il ne s’agisse d’un simple convoi d’armes pour le Hezbollah libanais – dont on laisse entendre qu’elle pourrait être nucléaire, et le tour est joué. Le but de l’opération ? Essentiellement symbolique. Pour Tsahal et son ministre, Ehoud Barak, il se serait agi de « montrer ses muscles » et de prouver que l’armée israélienne est de retour, après son fiasco libanais de 2006. Pour Olmert et son gouvernement, de démontrer qu’Israël pourrait aussi frapper seul, demain, contre l’Iran. On sait en effet que si l’État hébreu possède au moins deux cents bombes nucléaires dans ses arsenaux, il demeure hors de question aux yeux de ses dirigeants de voir les Iraniens en fabriquer une seule. Dans ce contexte, et sachant qu’Israël ne disposera sans doute plus dans un avenir proche d’une administration aussi complaisante que celle de George W. Bush, le raid du 6 septembre peut apparaître comme un test, une répétition générale et un rappel à l’ordre en direction de Washington : si vous ne vous occupez pas d’Ahmadinejad, nous saurons le faire
Si tel était l’objectif recherché, c’est plutôt réussi. En dehors de la Syrie elle-même, de la Ligue arabe et d’une dizaine de partis politiques yéménites, libanais et égyptiens, nul n’a condamné l’agression. Très mal vu de ses pairs du Golfe et du Maghreb, qui lui reprochent son alignement sur l’Iran, en conflit ouvert avec les Saoudiens, que son ministre des Affaires étrangères a qualifiés il y a peu de « laquais », le chef de l’État syrien a pu à l’occasion mesurer son isolement. Et si le mutisme consentant – pour ne pas dire un peu lâche – des rois, présidents et autres « guides » arabes préfigurait leur attitude en cas de bombardement des installations nucléaires iraniennes ? Nul doute qu’à Tel-Aviv et à Washington on se penche avec intérêt sur ce ballon d’essai. Mystérieux, ce raid du 6 septembre, mais décidément plein d’enseignements

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