En Colombie, les afro-descendantes employées de maison luttent pour leurs droits
Elles sont des centaines de milliers en Colombie. Des employées de maison afro-descendantes, réfugiées internes, exploitées par les classes aisées dans les quartiers chics des grandes villes.
Chaque soir, entre 16 h et 17 h, c’est le même rituel. Des silhouettes descendent par centaines les rues du quartier chic de Poblado, sur les hauteurs de Medellin. Ces femmes de l’ombre affluent vers les principales avenues pour prendre les bus qui les ramèneront chez elles, en périphérie de la ville. Deux heures de trajet aller et retour, pour 10 heures de travail sur place, à enchaîner ménage, garde des enfants, vaisselle, repas pour l’ensemble de la famille, courses et conciergerie… Le tout pour un salaire d’environ 30 000 pesos par jour, soit en moyenne 9 euros.
La plupart de ces femmes ne sont pas déclarées. Elles n’ont pas de sécurité sociale, ne cotisent pas pour la retraite et ne touchent pas de 13e mois. Elles sont afrodescendantes, originaires de la région du Chocó, à l’Ouest du pays, ou de la côte Pacifique, réfugiées avec leurs enfants après avoir fui les conflits armés, les Farc (Forces armées révolutionnaires de Colombie) et les paramilitaires.
En Colombie, près d’un million de femmes « afros » sont des employées de maison
La plupart de leurs ancêtres sont des esclaves arrivés en Colombie lors de la colonisation espagnole. Ceux-ci vivaient essentiellement dans les régions du Pacifique (océan Pacifique, côte ouest de la Colombie) ou de la côte caribéenne (dans le nord), où se concentre aujourd’hui la majeure partie des afro-descendants. À Medellin, nombreuses sont les Afro-Colombiennes qui viennent également du département auquel appartient la ville, Antioquia.
Beaucoup d’entre elles ont vécu, par exemple, à Apartado ou à Uraba avant de quitter leurs terres pour des raisons de sécurité. En Colombie, près d’un million de femmes « afros » sont des employées de maison. Officiellement, selon les études de la Corporation Carabantu et de l’École nationale syndicale, Medellin compterait seulement 182 femmes domestiques afro-colombiennes, un chiffre bien en deçà de la réalité. D’autant que 85 % des contrats seraient verbaux, un fait évidemment à l’avantage des employeurs.
Connaître ses droits et se défendre
Partant de ce constat, 28 Afro-Colombiennes ont décidé de ne plus se laisser faire. En 2013, avec l’aide de la Corporation Carabantu, une association de développement social et culturel, le Réseau des femmes afro-colombiennes Kambiri et l’École nationale syndicale, elles ont créé la Unión de Trabajadoras Afrocolombianas del Servicio Doméstico (UTRASD), l’Union des travailleuses afro-colombiennes du service domestique. Aujourd’hui, le syndicat rassemble plus de 150 femmes actives.
Nous avons toutes quitté nos racines et nos familles pour trouver une vie meilleure en ville
Régulièrement, elles se retrouvent pour discuter de leurs problèmes et de leurs droits, plus souvent aussi pour se soutenir moralement. En cette journée d’avril, le syndicat a invité des membres, beaucoup de mères célibataires, à passer un moment de détente à la piscine de l’université Minuto de Dios avec leurs familles. Les journées de repos loin de leurs quartiers difficiles sont rares. La présidente Maria Roa Borja et d’autres membres de l’UTRASD sont assises en cercle sur leurs serviettes.
Il y a là Lina, Claribel, Reynalda… et Flora, bandeau à fleur dans les cheveux, qui est venue avec son fils de cinq ans. Elle le regarde s’amuser dans le petit bassin avec les autres enfants. « Le syndicat est notre nouvelle famille, dit-elle. Nous avons toutes quitté nos racines et nos familles pour trouver une vie meilleure en ville. Sans diplômes, nous n’avions pas le choix, pour travailler il fallait être domestique. Mais je cumule avec un autre emploi, je tiens un stand de friture dans mon quartier. Chaque fin de semaine, je commence à 4h et j’emmène mon fils avec moi car je n’ai personne ici pour m’aider. »
Des discriminations et des mauvais traitements
Flora soutient les nouvelles adhérentes. Car, même si beaucoup ont décidé de joindre le syndicat, passer le cap de se défendre et de revendiquer officiellement ses droits n’est pas toujours facile. Les discriminations et les mauvais traitements restent tabou. Et la peur face aux employeurs est bien répandue.
Pour certaines, même au sein de leur propre entourage, très peu de personnes savent qu’elles appartiennent à un syndicat
Quand on leur demande s’il est possible de les suivre dans leur travail pour mieux raconter leur histoire, un « non » catégorique l’emporte. Même leur noms ne doivent pas être cités en entier. Certaines d’entre elles cachent, parfois jusque dans leur entourage, qu’elles appartiennent à un syndicat. Il ne faut pas faire de vagues. Elles veulent garder leur emploi à tout prix. Seule la présidente du syndicat, Maria Roa Borja, est la porte-voix de l’organisation, soutenue par les ONG et l’École nationale syndicale.
Un secteur à réguler mais en progrès
Et il y a tant à faire. Les inspections du ministère du Travail sont quasi nulles dans le secteur : seulement cinq en 2011, alors que celui du commerce en a eu droit à plus de quatre mille visites. Obtenir des inspections par le ministère du Travail est l’une des revendications premières du syndicat.
Quatre autres objectifs ont été fixés : s’assurer que les primes soient payées, obtenir l’organisation des horaires de travail avec une amplitude maximale de 10 heures journalières, exiger le paiement des taxes pour la sécurité sociale et vérifier que l’État transfère les informations actualisées au bureau de l’OIT, l’Organisation internationale du travail, au sujet de leur métier.
Mais aujourd’hui, les Afro-Colombiennes peuvent aussi se targuer d’avoir la loi de leur côté. Depuis 2016, la loi n° 1788 – ou « loi de la prime » – oblige les employeurs à payer une partie des prestations sociales, les transports, les congés payés, les assurances sur la santé et les risques professionnels ainsi que les cotisations à la retraite. Une petite victoire, même s’il reste encore à surveiller et sanctionner réellement les employeurs qui ne jouent pas le jeu. C’est à dire à en finir avec l’impunité qui caractérise encore trop souvent les abus envers les employées de maison afro-colombiennes.
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