Than Shwe

Personnage secret et fruste, à l’image de la junte militaire qu’il dirige, le chef de l’État birman n’a qu’une réponse à la « révolution safran » déclenchée par les moines bouddhistes : la répression dans le sang.

Publié le 1 octobre 2007 Lecture : 5 minutes.

« C’est un complot, un de plus, dirigé par des criminels manipulés depuis l’étranger afin d’anéantir les glorieuses réalisations de notre Myanmar adoré. » Face à la révolte des moines bouddhistes et d’une bonne partie de la population urbaine du pays, face à l’opprobre et à la condamnation de la communauté internationale, le généralissime Than Shwe, 74 ans, n’a trouvé que ces mots, ânonnés en boucle à la télévision par une speakerine visiblement tétanisée. Ces mots et bien sûr la brutalité d’une répression militaire déclenchée le 26 septembre dans les rues de Rangoon, la métropole birmane, après un mois de grèves et des manifestations, alors que la « révolution safran » – couleur de l’habit traditionnel des moines – semblait prendre un tour décisif. Il faut dire que le président Than Shwe, à l’image des onze autres membres de la junte des généraux au pouvoir, n’a jamais donné dans la nuance. Ces militaires de terrain, formés localement, ont gagné leurs galons dans la lutte impitoyable contre les guérillas séparatistes et se soucient peu d’un monde extérieur qu’ils connaissent mal. Nationaliste, xénophobe, profondément méfiante à l’égard de ses compatriotes éduqués, obsédée par la discipline au point d’avoir fait figurer ce mot dans la devise officielle de l’État, volontiers paranoïaque, cette clique fruste et obtuse est l’expression collective et opaque d’une armée surdimensionnée et omniprésente de 400 000 hommes qui engloutit près de la moitié du PNB.
En Birmanie, c’est l’armée qui a son État, et non l’inverse. C’est elle qui contrôle l’économie et les médias, elle qui distribue les pavillons de complaisance, les licences d’exportation de bois et de pierres précieuses. C’est elle qui attribue les champs pétroliers et gaziers, elle qui ouvre ou ferme le robinet de la drogue, elle qui donne l’ordre de recruter des paysans pour le travail forcé. Et, à la tête de cette armée, trône un personnage secret, taciturne, introverti, rondouillard et dangereux : le dictateur Than Shwe.

Petit employé des postes d’origine modeste, natif de la région de Mandalay – la deuxième ville du pays -, Than Shwe rejoint l’armée au début des années 1950, alors que l’ex-colonie britannique vient d’accéder à l’indépendance. Affecté au renseignement militaire, section « guerre psychologique », il combat les insurgés karens et se fait remarquer par son courage : pas moins de seize décorations reçues au feu et un grade de capitaine en 1960. Deux ans plus tard, le général Ne Win s’empare du pouvoir. Premier coup d’État, fin – jusqu’à ce jour – de la démocratie, naissance de la « voie birmane vers le socialisme », début de l’isolement et du déclin économique du pays. Alors que Ne Win règne d’une main de fer, Than Shwe poursuit son obscure ascension, jusqu’au grade de général en 1986. Lorsque éclate la grande révolte étudiante de 1988, il est l’un des principaux artisans d’une répression qui se solde par plus de 3 000 morts. Et il est l’un des vingt et un membres du Conseil militaire qui dépose Ne Win en septembre, pour le remplacer par le général Saw Maung. Soucieux, dans un premier temps, de susciter un élan nationaliste, le Conseil croit utile de changer le nom du pays et de sa capitale. La Birmanie devient l’Union du Myanmar (référence aux premiers habitants mythiques du pays), et Rangoon, Yangon. Adoptée par l’ONU, cette modification est rejetée par l’opposition démocratique birmane qui n’y voit qu’une petite manuvre. Les militaires tentent alors de se légitimer par les urnes, mais les législatives de 1990 tournent au fiasco : la Ligue nationale d’Aung San Suu Kyi, elle-même fille de général et icône de l’opposition, remporte une large majorité des sièges. Les résultats sont annulés, la loi martiale proclamée et Aung San Suu Kyi jetée en prison. Rendu responsable de cet échec par ses pairs, le général Saw Maung est contraint à la démission le 23 avril 1992. Place à Than Shwe, le plus ancien dans le grade le plus élevé.
Pendant quelques mois, cet homme jusque-là effacé est considéré comme un compromis prometteur, presque comme un modéré. Il libère le Prix Nobel de la paix, autorise la Croix-Rouge et Amnesty International à se rendre en Birmanie et semble lutter contre la corruption. Il faut attendre février 1993 pour qu’apparaisse le vrai visage de Than Shwe. Le jour de son soixantième anniversaire, il promulgue un décret l’exonérant de l’âge de la retraite obligatoire, s’ouvrant ainsi le chemin vers le pouvoir absolu. Quatorze ans plus tard, il est toujours là. Aung San Suu Kyi est retournée en résidence surveillée, l’économie est sinistrée, la Birmanie est devenue un bunker, et Than Shwe, qui détient également le portefeuille de la Défense, n’a aucunement l’intention de céder la place. Après l’arrestation, en octobre 2004, du Premier ministre, le général Khin Nyunt, coupable d’avoir imprudemment prôné la voie indienne vers la démocratie, le seul qui puisse menacer Than Shwe est le général Maung Aye, 60 ans, numéro deux de la junte et très populaire au sein de l’armée. Mais il est, dit-on, encore plus dur que le président, et les deux hommes, qui ne s’entendent guère, ont fait alliance dans la bourrasque qui souffle depuis la mi-août.

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Malade, vraisemblablement cancéreux (tout comme Maung Aye) – ce qui l’oblige à se rendre régulièrement dans un hôpital de Singapour pour des traitements lourds -, Than Shwe est sous l’influence de son épouse Kyaing et de sa fille chérie Thandar, deux redoutables femmes d’affaires. La vidéo piratée du mariage de cette dernière, en 2006, où elle apparaissait, couverte de diamants de la tête aux pieds comme un sapin de Noël, recevant une orgie de cadeaux évalués à 50 millions de dollars, a fait scandale. Diffusée sur Internet, elle est largement utilisée aujourd’hui par les moines révoltés. Than Shwe est également sous la coupe de ses astrologues – une tradition birmane. Ce sont eux qui lui ont conseillé, en 2005, de déménager la capitale de Rangoon à Naypyidaw (« Le siège du roi »), à 350 kilomètres au Nord, pour se prémunir d’une invasion étrangère et, sans doute, de son propre peuple. C’est de cette ville forteresse dans laquelle elle s’est retranchée, avec ses avenues vides, ses immeubles monumentaux, ses galeries souterraines et ses batteries de missiles sol-air, que la junte dirige aujourd’hui la répression contre les démocrates et leur madone, Aung San Suu Kyi. Pour Than Shwe, cette femme qu’il exècre n’a qu’un nom : « La sorcière ».
Avec son armée équipée par la Chine et l’Inde – les deux seuls pays qui pourraient avoir une relative influence sur le comportement des généraux birmans -, avec sa milice aussi, l’Association pour la solidarité et le développement, forte d’un million de membres actifs mobilisables à tout moment, ce satrape autiste s’estime en mesure de continuer à terroriser les 50 millions de Birmans. Ce ne sont pas les moines bouddhistes, des insectes à ses yeux, qui dicteront au roi du Myanmar, réincarnation des monarques absolus d’antan, le jour et l’heure de son départ. Seuls ses astrologues auront ce privilège. À condition, bien sûr, qu’ils soient prêts à mourir

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