Catherine MacGregor, Schlumberger : « Les politiques de contenu local sont importantes pour notre industrie »
Son expertise technologique fait du géant américain des services pétroliers un partenaire incontournable des compagnies du secteur. Après avoir assisté à l’éclosion des juniors, sa patronne pour l’Afrique observe avec intérêt le développement des acteurs privés locaux.
Hydrocarbures : les juniors locales au relais
Avec plus de 45 milliards de dollars (32,6 milliards d’euros) de chiffre d’affaires en 2013 et une marge en augmentation sur les trois dernières années, Schlumberger est le champion mondial des services pétroliers. Clé de son succès : la recherche et développement (R&D). Cette année, le groupe devrait y consacrer 1,5 milliard de dollars. L’objectif est que 25 % du chiffre d’affaires soit généré par des innovations en 2017. Gisements sous-marins ultra-profonds, gaz de schiste, sables bitumineux… Le groupe coté à New York est aux avant-postes.
Pour Jeune Afrique, Catherine MacGregor, présidente Europe et Afrique du géant américain, livre sa vision d’un secteur incontournable sur le continent comme ailleurs.
Propos recueillis par Julien Clémençot
Jeune Afrique : Que représente l’Afrique pour Schlumberger ?
Catherine MacGregor : Nous ne communiquons pas nos résultats financiers concernant l’Afrique, puisqu’ils sont consolidés avec l’Europe et la Russie [12,4 milliards de dollars de chiffres d’affaires en 2013, soit environ 27 % des revenus du groupe]. En revanche, je peux vous dire que le groupe est présent depuis très longtemps sur le continent. Notre première opération date de 1934, au Gabon. Actuellement, nous intervenons sur environ 200 sites dans 25 pays, avec plus de 10 000 salariés.
Ce qui est intéressant, c’est que le continent offre des environnements très différents [gisements sous-marins ultra-profonds, réserves présalifères, hydrocarbures conventionnels et non conventionnels à terre…], et donc des opérations très variées en termes de complexité technique. Ce sont autant d’opportunités. Par ailleurs, nous avons des taux de croissance en Afrique parmi les plus élevés au monde.
Compte tenu de la chute actuelle des cours, vos activités africaines risquent d’être affectées.
Notre industrie a toujours été cyclique, et il ne faut pas confondre variations à court terme et tendances sur le long terme. L’Afrique subsaharienne devrait continuer de croître. Au Maghreb, nous sommes plus prudents en attendant que la situation en Libye se stabilise. C’est vrai que nos clients cherchent à gagner en efficacité car leurs marges diminuent. Pour l’heure, cela a un effet positif, car le travail que nous menons avec eux est plus collaboratif.
Ces deux dernières années, les découvertes sur le continent sont relativement décevantes. Selon vous, l’Afrique possède-t-elle toujours un potentiel important ?
Il ne faut pas oublier que l’exploration pétrolière est une activité à risques. Plus les environnements sont méconnus, plus c’est incertain. Il est vrai que beaucoup d’explorations n’ont pas donné les résultats attendus. Toutefois, il reste de nombreuses zones sous-explorées, comme en Afrique de l’Ouest, au Maroc et en Afrique de l’Est, où les recherches ne font que débuter. Notons tout de même que cinq des dix grandes découvertes de cette année sont en Afrique.
Où se situent les gisements qui présentent le plus de promesses d’activités pour Schlumberger ?
Au large du Mozambique et de la Tanzanie. Le développement futur de ces champs gaziers offre de belles perspectives. Au Kenya et en Ouganda, nous avons également des chantiers à terre qui présentent des défis différents liés à la sécurité, à l’environnement, aux relations avec les communautés locales, au manque d’infrastructures. Il y a aussi les réserves présalifères, notamment au large de l’Angola, qui doivent être confirmées. Nous estimons que d’ici à 2020 les investissements [le chiffre est tenu confidentiel] de nos clients en région subsaharienne devraient doubler par rapport à 2014.
Sur la côte est-africaine, l’exploitation des champs gaziers va réclamer des investissements de plusieurs dizaines de milliards de dollars. N’a-t-on pas là des projets qui ne verront pas le jour avant longtemps ?
Je suis optimiste. La nouveauté, c’est l’augmentation des besoins en énergie des pays africains, dont une grande part est produite à partir de gaz naturel. Il reste bien sûr une incertitude concernant les dates de mise en oeuvre des projets. Mais l’évolution des classes moyennes, la croissance du PIB des pays africains, l’électrification en cours sur le continent sont autant d’éléments qui plaident en faveur du développement de ces gisements. Selon certains de nos clients, les premiers projets devraient démarrer d’ici à trois ans.
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Hydrocarbures : les juniors nigérianes prennent le relais
Les États-Unis ont presque stoppé leurs importations de brut en provenance du continent. Cela va-t-il avoir un impact important sur le secteur ?
Le pétrole est un marché global, avec une demande en croissance et une marge étroite entre offre et demande. Des pays comme le Nigeria ou l’Angola ont trouvé preneur sur les marchés asiatiques et européens. Pour ce qui concerne Schlumberger, nous n’avons pas constaté d’effets induits sur notre activité.
Historiquement, vous étiez proche des majors. Travaillez-vous davantage avec les compagnies nationales africaines ?
Les compagnies nationales, comme Sonatrach, font partie de nos clients depuis longtemps. Ce que l’on peut noter, c’est que la typologie des opérateurs évolue. Ces dix dernières années, nous avons vu d’abord le renforcement des compagnies indépendantes internationales, à l’image de Tullow, qui a fait des découvertes au Ghana et en Ouganda. Et depuis quelque temps, nous assistons à l’émergence de compagnies privées nationales, notamment nigérianes. Cette diversité est très intéressante car toutes ont des demandes différentes. Pour ces jeunes compagnies, nous pouvons avoir des modèles d’affaires très intégrés qui englobent toute la construction des puits.
Pensez-vous que ces compagnies privées nigérianes vont encore monter en puissance ?
Actuellement, il y a une forme de bouillonnement, mais est-ce que toutes vont continuer d’exister ? On pourrait assister à une certaine consolidation. Certaines vont sans doute devenir des acteurs très importants du marché.
Presque tous les États africains mettent en place des politiques volontaristes, dites de contenu local, pour mieux tirer parti de la manne pétrolière. Qu’en pensez-vous ?
Les politiques de contenu local sont importantes pour les pays et pour l’industrie. Bien sûr, il est essentiel que ces réglementations restent réalistes, et c’est heureusement le cas la plupart du temps. Les compagnies doivent donc apprendre à travailler dans ce nouvel environnement, et c’est un point auquel Schlumberger veille depuis longtemps en matière de ressources humaines. Le groupe a une politique de recrutement qui privilégie la correspondance entre la distribution géographique de son chiffre d’affaires et l’origine de ses salariés. Et cela vaut aussi pour les postes de direction. Nous sommes ainsi très impliqués dans l’éducation et la formation au niveau local.
La nouveauté, c’est la hausse des besoins en énergie de l’Afrique.
Depuis dix ans, Schlumberger a développé une activité de consulting. Quelles synergies avez-vous pu développer avec vos services traditionnels?
Nous veillons à laisser notre activité de consulting bien à part, car elle concerne des sujets très stratégiques pour nos clients et car il y a peu en commun entre la fourniture de services techniques et les activités de consulting.
N’y a-t-il pas de risque de conflit d’intérêts ?
Non, pas du tout, car la frontière est bien marquée. D’ailleurs, le développement de cette activité est la preuve que nos clients nous font vraiment confiance. Les consultants interviennent pour nous sur des questions de processus internes, très différentes des questions qu’ils traitent avec leurs clients.
Schlumberger cherche-t-il des relais de croissance dans le secteur des énergies renouvelables ?
Si l’on observe l’évolution du mix énergétique dans les dix ou les vingt années à venir, nous considérons que le pétrole et le gaz vont continuer d’être suffisamment importants pour nécessiter une activité de services pétroliers particulièrement soutenue. Nous sommes donc plutôt confiants sur le fait qu’il y a encore assez de relais de croissance dans notre coeur de métier.
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