Si loin de l’Éthiopie

Couvert d’éloges par la critique aux États-Unis, le premier roman de Dinaw Mengestu paraît aujourd’hui en français. Entretien.

Publié le 1 octobre 2007 Lecture : 4 minutes.

Dans Les Belles Choses que porte le ciel, Dinaw Mengestu donne vie à Sepha Stephanos, un Éthiopien immigré aux États-Unis depuis dix-sept ans. Celui-ci tient une épicerie miteuse à Logan Circle, un quartier pauvre de Washington. Avec ses amis – Kenneth, ingénieur kényan, et Joe, serveur congolais -, il descend des bouteilles de whisky en jouant au « coup d’État ». L’un d’eux cite un dictateur africain, aux autres de deviner l’année et le pays ; et ça marche aussi avec les rébellions, les coups ratés et les guérillas L’arrivée dans le quartier de Judith, une professeure d’université blanche, et de sa petite fille métisse vont bouleverser l’univers de Sepha.
À travers la trajectoire de cet antihéros attachant, Dinaw Mengestu fait montre d’une écriture d’une grande maturité. Il évoque avec sensibilité la solitude de ces immigrants, coincés entre deux mondes, et leurs ambitions grignotées par le temps. Qu’il parle d’exil, de violence ou d’amour, c’est toujours avec justesse. La critique ne s’y est d’ailleurs pas trompée. Sorti en mars dernier aux États-Unis, le livre a recueilli une moisson d’éloges. Pour The New York Times, « Dinaw Mengestu a écrit le roman d’une époque ravagée par les conséquences politiques et militaires d’une absence de dialogue entre les cultures. Dans une société obsédée par la vérité, il y a quelque chose d’immensément réconfortant dans l’honnêteté attentive et la tendresse égalitaire de ce jeune écrivain ». Le livre est d’ores et déjà en cours de traduction dans une dizaine de pays.
Qui donc se cache derrière cet auteur ? Un jeune homme longiligne à la tête semée de petites tresses folles. Dinaw Mengestu est né à Addis-Abeba en 1978. Deux ans plus tard, sa famille fuit la Révolution pour se réfugier aux États-Unis. Diplômé de la Columbia University, il a enseigné la littérature anglaise à l’université de Georgetown. Il vit et travaille à New York, partageant son temps entre la littérature et le journalisme. Il a notamment réalisé des reportages au Darfour et en Ouganda pour Harper’s et Rolling Stone. Le jeune auteur évoque ses mentors littéraires avec passion : Saul Below, V. S. Naipaul et l’auteur africain-américain Edward P. Jones. Quant au titre français du roman, il est tiré d’un passage de L’Enfer de Dante. Un des personnages du livre nous éclaire : « Dante sort enfin de l’enfer, et voilà ce qu’il voit, Les belles choses que porte le ciel. [] Personne ne peut mieux comprendre ce vers qu’un Africain, parce que c’est ce que nous avons vécu. L’enfer quotidien, avec seulement quelques aperçus du ciel par moments. »

Jeune Afrique : Comment vous est venue l’idée du roman ?
Dinaw Mengestu : Une nuit, je marchais dans une rue de Washington en revenant de chez des amis. Tout était fermé sauf une petite épicerie tenue par un Éthiopien, totalement seul dans son magasin. Ça a été le déclic, cette scène a pris un sens particulier dans ma tête. Je suis rentré chez moi et me suis mis à écrire les deux premières pages du livre. Je ne connaissais pas la suite, mais j’ai entendu une « voix » cette nuit-là et je l’ai suivie

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Vous êtes-vous beaucoup inspiré de votre histoire familiale pour écrire le personnage de Sepha ?
Quand j’ai commencé à vouloir devenir écrivain, je ne pensais pas à la fiction. À l’université, j’ai fait des recherches sur l’histoire de l’Éthiopie et j’ai interviewé les membres de ma famille. J’ai d’abord écrit différents textes sur la révolution, mais ça ne fonctionnait pas. Il y avait trop de vides, de choses que je ne comprenais pas. Quand j’ai commencé Les Belles Choses, toutes les connaissances que j’avais emmagasinées sont remontées à la surface et ont porté mon écriture. J’ai ressorti les interviews pour nourrir mon imagination.

Vos trois personnages africains sont tous déprimés. Pourquoi ?
Si Sepha a fui la révolution, Joe est venu aux États-Unis pour des raisons économiques. Il était important pour moi de montrer que l’Afrique est un continent très diversifié, et que les gens en partent pour différentes raisons. Les trois personnages vivent difficilement leur vie américaine. Ils ont en partage l’isolement et la solitude, ce que vit la majorité des immigrants africains aux États-Unis ! Ces gens ont perdu tellement en quittant leur pays qu’ils ont du mal à combler les manques et les déchirements que cela entraîne. Ils portent toujours ce vide en eux, quoi qu’ils fassent. Ils font semblant de s’intégrer à la culture américaine. Kenneth, le Kényan, essaie de jouer le parfait ingénieur mais, au fond de lui, il sait qu’il sera toujours en dehors du coup.

Dans une interview à un confrère américain, vous expliquez que, plus jeune, vous n’étiez accepté ni par les Américains blancs ni par les Africains-Américains. Aujourd’hui, vous avez trouvé votre place ?
Un jour, vous devez décider ce que vous êtes Mais, pour moi, c’est compliqué ! Je crois que je ne serai jamais un Américain modèle ! Bien sûr, j’ai grandi aux États-Unis, j’y ai été à l’école, je parle américain mais, en Afrique, je me sens complètement chez moi ! Quand je fais mes reportages, je sens que j’ai une approche différente de celle des journalistes blancs. Disons qu’aux États-Unis, je me sens plus américain, et qu’en Afrique, je me sens plus africain !

Vous traitez de la vie des immigrants africains aux États-Unis, une nouveauté dans la littérature américaine
C’est normal, car l’immigration africaine y est récente. La génération de mes parents – arrivée à la fin des années 1970 – n’a, en général, pas étudié ici. Ma génération, en revanche, a grandi en Amérique et se sent légitime pour écrire dessus. J’ai eu la chance d’être rapidement publié, mais je ne savais pas comment le livre allait être reçu et compris car, aux États-Unis, personne ne s’intéresse à des histoires d’Africains ! D’ailleurs, je pense que si plus d’Africains achetaient des livres, il y aurait plus d’auteurs africains et ils auraient moins de mal à se faire publier ! Moi, je persiste : mon prochain livre parlera à nouveau d’Afrique et de migration.

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