Municipales en Tunisie : les femmes, nouvel étendard politique ?

Quelques jours seulement après le début de la campagne pour les municipales du 6 mai prochain, les polémiques se multiplient. Parmi elles, le profil de certaines candidates.

Lors de la première Université d’automne des femmes tunisiennes et françaises, à Tunis, le 30 septembre 2016 (image d’illustration). © Amine Landoulsi/AP/SIPA

Lors de la première Université d’automne des femmes tunisiennes et françaises, à Tunis, le 30 septembre 2016 (image d’illustration). © Amine Landoulsi/AP/SIPA

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Publié le 18 avril 2018 Lecture : 4 minutes.

Près de la moitié des candidats aux municipales sont des candidates. La parité verticale est donc devenue une réalité en Tunisie. Pour la parité horizontale, il faudra encore patienter : seules 30% des femmes sont têtes de liste. En 2014, elles n’étaient que 13% à les présider.

Mais la pilule n’est pas passée pour tout le monde… Quelques voix dissidentes remettent en cause l’adéquation de tels critères avec la composition politique du pays, estimant que la participation des femmes y est encore trop faible pour imposer de telles conditions. La parité verticale et horizontale imposées par la loi électorale a d’ailleurs valu à de nombreuses listes d’être invalidées par l’ISIE lors de la première échéance de dépôt des candidatures : 14 listes concernées de Nidaa Tounes, une d’Ennahdha, ou encore sept listes de Machrou Tounes.

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L’image des femmes exploitée par les politiques

Mais cette parité imposée ne cache-t-elle pas une misogynie latente ? Saida Ounissi, porte-parole d’Ennahdha, s’est indigné de l’exploitation de l’image des femmes à des fins politiciennes pendant la campagne. La porte-parole estime que les candidates en étaient parfois réduites à n’être que des « véhicules de slogan ».

Derrière ces mots, Saida Ounissi semble aussi balayer devant sa propre porte – et son propre parti. La candidature de Salima Ben Soltane l’illustre bien. Dentiste native de la ville, elle s’est présentée à la mairie de Sidi Bou Saïd en tant que candidate indépendante, en tête de la liste d’Ennahdha. Celle que la presse tunisienne a surnommée « la blonde » – signe là encore de cette misogynie latente qui imprègne la scène politique tunisienne – elle a été perçue comme le nouveau fer de lance de la stratégie de communication du parti à destination des banlieues chics du nord de la capitale.

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Une couverture médiatique sur la forme

Dans l’hypothèse où le parti use bel et bien de l’image de sa candidate, le débat sur la présence des femmes à ces municipales n’a pas arrangé les choses. Il s’est fait principalement sur la forme, sur leurs formes – et leurs choix vestimentaires.

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La couverture médiatique s’est focalisée d’abord sur le port du voile, les mœurs et apparences, mettant au second plan le débat sur les programmes et projets politiques qu’elles portent.

« Vous ne portez pas le voile ? ». C’est la première question que l’intervieweur de la radio nationale Mosaïque a posé à Salima Ben Soltane. Preuve par l’exemple que la position des femmes en politique reste fragilisées par les codes qui régissent le paysage social.

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Sur le fond, après quelques silences gênants et des balbutiements, Salima Ben Soltane finit par admettre, sous la pression insistante du journaliste : « Je ne connais pas le projet social d’Ennahdha ». Son programme, assez peu élaboré, elle l’expose ainsi : « Améliorer les relations de voisinages et redonner à Sidi Bou Saïd son éclat d’antan ». 

« Et si un homme a un problème avec sa femme, il peut venir vous en parler en tant que maire ? », interroge le journaliste. Réponse : « Oui, pourquoi pas ». 

L’interview aurait pu s’arrêter là et suffire à aider un électeur à se faire une opinion sur la pertinence et la cohérence de sa candidature. Mais non.

Le journaliste choisit de lui poser une autre question : « Êtes vous contre que des femmes se baladent en mini-jupe ? ». Une question tout ce qu’il y’a de plus habituel lors d’une interview politique. « Non pas du tout, moi même j’en porte. » « Ah bon ! Vous en portez ? », répond le journaliste quelque peu étonné. « Oui, oui ! ». La boucle est bouclée : commencer par le voile pour finir par la jupe. Fin de l’interview.

Il est toujours plus facile de ridiculiser les femmes politiques en employant des insultes sexistes

« Il y a certainement instrumentalisation. Cette femme ne correspond pas à l’idée-type que l’on se fait d’une militante d’Ennahdha. Et le parti sait très bien qu’il n’a aucune chance de remporter les élections à Sidi Bou Saïd. Cette candidature, c’est juste pour la vitrine du parti, comme cela a été le cas pour le candidat juif présenté à Monastir », accuse Ahlem Hachicha Chaker, directrice exécutive de l’Institut des politiques du parti Machrou Tounes.

Un héritage culturel

« Le débat actuel est aussi le résultat d’un héritage culturel », explique pour sa part Bochra Belhaj Hmida, présidente de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (COLIBE, commission ad-hoc crée par le président Béji Caïd Essebsi), « après la révolution les femmes modernes ont d’abord été assimilées à Leila Ben Ali. Ensuite, il y’a eu une campagne de dénigrement des candidates d’Ennahdha, jugées peu féminines. Il est toujours plus facile de ridiculiser les femmes politiques en employant des insultes sexistes. Mais cela est secondaire, le plus important c’est aujourd’hui elles sont en train de conquérir l’espace public et cela grâce à la loi électorale ! »

Cette misogynie rampante, Ahlem Hachicha Chaker, la constate également : « La parité est une victoire, mais nous ne pouvons pas nous reposer sur nos lauriers. Il faut faire comprendre à nos adversaires que ce type d’avancée n’est pas un artifice législatif et s’imposer pendant la campagne et plus tard au sein des conseils municipaux ». « Pour moi ces affaires sont anecdotiques, d’autres candidates seront mises en lumière et permettront d’élever le débat », conclut la militante. 

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