Quand Téhéran corrige le tir

Un feuilleton télévisé diffusé sur la chaîne nationale iranienne rencontre un succès sans précédent. Sa particularité : il expose le drame des juifs européens pendant la Seconde Guerre mondiale.

Publié le 1 octobre 2007 Lecture : 4 minutes.

Le jeune homme et la jeune femme se disputent, avant de tomber éperdument amoureux l’un de l’autre. Il la sauve des méchants, et c’est lui qui, en fin de compte, est arrêté et torturé. Diffusé tous les lundis soir à 22 heures sur la première chaîne de la télé nationale, Madar zefr daradjé (« Virage à zéro degré ») tient en haleine les Iraniens depuis le début de juin.
Ce feuilleton pas comme les autres a pour particularité de raconter une histoire amoureuse entre un musulman et une juive. Elle se déroule en Europe avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Tout commence par l’arrivée à Paris d’un jeune Iranien, Habib Parsan. Venu en France pour ses études, il fait la connaissance d’une infirmière française de confession israélite, Sarah Struk, qui s’inquiète des menaces que fait peser sur sa communauté le triomphe du nazisme en Allemagne.
Certes, le véritable héros du feuilleton est un diplomate iranien, qui fournit des passeports à des centaines de juifs pour leur permettre d’échapper aux persécutions des nazis et de leurs collaborateurs français en prétendant qu’ils appartiennent à une minorité iranienne. Le personnage a vraiment existé et s’appelait Hussein Sardari. Mais le fait est là : les téléspectateurs iraniens sont invités à s’apitoyer sur le sort des juifs. Pour les inciter à regarder la série, on brise même un tabou en montrant le jeune homme toucher la main de celle qu’il aime, alors que, d’ordinaire, tout ce qui peut suggérer un contact physique entre hommes et femmes est soigneusement occulté.
À première vue, le message ne semble guère en phase avec le discours du président Mahmoud Ahmadinejad, qui qualifie régulièrement l’Holocauste de mythe. Pourtant, c’est bien le gouvernement qui a financé la série. La contradiction n’est qu’apparente. Zero Degree Turn conforte la position officielle de la République islamique, qui consiste à établir une claire distinction entre le judaïsme – que tolère sans difficulté la société iranienne – et l’État d’Israël, dont Téhéran ne manque aucune occasion de dénoncer la politique.
« Les Iraniens ont toujours fait la différence entre les juifs en tant que peuple et une minorité de sionistes », explique lui-même Hassan Fatthi, qui a écrit le scénario du feuilleton et en a dirigé la réalisation, dans des propos rapportés par le Wall Street Journal. « Le meurtre de juifs innocents pendant la Seconde Guerre mondiale est aussi choquant et méprisable que celui de femmes et d’enfants palestiniens innocents par des soldats sionistes racistes », poursuit-il.
Le feuilleton offre aussi aux Iraniens l’occasion de rappeler leur point de vue sur Israël : plus que la concrétisation d’un désir séculaire des juifs de retrouver leur terre ancestrale, la création de l’État hébreu est un projet conçu par les Occidentaux à l’issue de la Seconde Guerre mondiale.
L’Iran possède la plus forte communauté juive du Moyen-Orient : entre 20 000 et 25 000 membres selon les estimations. Ils étaient près de 100 000 en 1948 – date de la fondation de l’État hébreu – et encore 70 000 sous le régime du shah. La constitution de 1979 les reconnaît comme une minorité religieuse, au même titre que les chrétiens et les zoroastriens, adeptes de la religion des Perses avant l’arrivée de l’islam.

Les juifs iraniens, dont la très grande majorité vit à Téhéran ainsi qu’à Shiraz et à Ispahan, pratiquent leur culte librement. Ils ont leurs écoles, leurs bibliothèques, leur hôpital. Ils sont également représentés à l’Assemblée nationale par un député. En somme, leur situation est celle que connaissaient traditionnellement les juifs et les chrétiens en terre d’islam. Le statut de dhimmis (« protégés ») leur accorde un certain nombre de droits, même s’il en fait des citoyens sous contrôle.
Tous les observateurs font le même constat : on les laisse tranquilles dès lors qu’ils ne se mêlent pas de politique. Surtout lorsqu’il s’agit d’Israël. Ils peuvent aussi à l’occasion être mobilisés par le pouvoir. Lors de la conférence internationale sur l’Holocauste, qui s’est tenue en décembre 2006 à Téhéran, et à laquelle participaient de nombreux révisionnistes, on a relevé la présence d’une dizaine de juifs, bien visibles devant les caméras. Explication : il s’agissait de membres de Neturei Karta (les « Gardiens de la cité »), un courant ultraorthodoxe, qui considère que l’État juif de l’Antiquité a été détruit par la volonté divine et que seul le messie pourra le rétablir. Le sionisme est donc pour eux une aberration. Ils ne nient pas la réalité de l’Holocauste, bien au contraire, mais estiment qu’il fut lui aussi l’expression d’une volonté divine et refusent qu’on en fasse une utilisation politique.

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Certains se sont inquiétés du sort de la communauté juive d’Iran lorsque le président Ahmadinejad a rappelé les déclarations de feu l’ayatollah Khomeiny, selon lequel « Israël doit être rayé de la carte ». La diffusion de la série Virage à zéro degré devrait les rassurer. Elle vient rappeler que les Iraniens ne confondent pas antisionisme et antisémitisme.
De toute façon, l’histoire a laissé des traces dans les mentalités collectives. Perses et juifs ont entretenu des rapports cordiaux dans l’Antiquité, alors que la solidarité des Iraniens avec les Arabes est toute relative. Les premiers continuent à percevoir les seconds comme des envahisseurs et leur en veulent toujours, au fond, d’avoir détruit leur culture millénaire. La guerre entre l’Irak et l’Iran n’a pas arrangé les choses. Et ce n’est pas tout à fait un hasard si, alors même que la négation d’Israël faisait partie des dogmes de la République islamique, celle-ci s’approvisionnait en armes auprès de l’État hébreu.

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