Mark Malloch-Brown

Le nouveau ministre britannique chargé de l’Afrique, de l’Asie et de l’ONU prône des rapports pragmatiques avec le continent et ses partenaires chinois.

Publié le 1 octobre 2007 Lecture : 6 minutes.

Avec Mark Malloch-Brown, 54 ans, le Premier ministre britannique Gordon Brown a doté le ministère de l’Afrique, de l’Asie et des Nations unies d’un diplomate chevronné, qui connaît le continent comme sa poche. Parce que son propre père est sud-africain, mais surtout parce qu’il a été administrateur du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) de 1999 à 2005, avant de devenir chef de cabinet de Kofi Annan, puis secrétaire général adjoint de l’ONU. Le développement, les guerres et les crises n’ont plus de secret pour celui qui s’est souvent fait l’avocat du multilatéralisme, n’hésite pas à monter au front contre l’intervention américaine en Irak, se veut intraitable sur le cas du président zimbabwéen Robert Mugabe. Et affiche une démarche pragmatique dans les relations entre l’Europe et l’Afrique. Notamment sur le plan Brown-Sarkozy pour le Darfour ou encore la place de la Chine dans les relations internationales.

Jeune Afrique : Le Premier ministre Gordon Brown et le président Nicolas Sarkozy ont lancé une initiative commune sur le Darfour. N’est-ce pas difficile, pour ces deux pays, de travailler ensemble en Afrique ?
Mark Malloch-Brown : Le Royaume-Uni et la France sont deux pays puissants qui ont globalement les mêmes intérêts, même s’ils ont parfois des points de vue divergents. C’est très efficace de poursuivre le même objectif de deux points de vue différents Il y a même des situations où chacun d’entre nous est plus utile dans l’aire d’influence historique de l’autre.
Par exemple ?
Le Darfour, justement. Le Soudan est dans la sphère d’influence britannique. Quand la France s’exprime sur la question des droits de l’homme ou invoque la nécessité de déployer des troupes dans cette région du monde, c’est beaucoup plus porteur. De la même manière, c’est Paris qui est légitimé quand le Royaume-Uni lui apporte son soutien au Tchad. Nous avons enfin réalisé que, en termes de coopération, un plus un fait plus que deux.
Ne serait-il pas plus utile de lancer au Darfour des initiatives communes avec la Chine ou les pays arabes ?
J’étais à Pékin au début de septembre. Il est fondamental que les Chinois nous rejoignent. L’initiative Brown-Sarkozy a d’ailleurs été élaborée dans ce sens. Elle prévoit, outre le déploiement de la force hybride ONU-UA, des négociations politiques et la prise en compte des besoins économiques, liés aux problèmes de la terre et de l’eau. Ces deux dimensions sont précisément destinées à attirer les Chinois, qui considèrent qu’une approche centrée uniquement sur le déploiement des forces militaires est trop coercitive et interventionniste. L’implication de la Chine, et dans une moindre mesure de la France, permet aussi de relativiser l’impression que l’envoi des Casques bleus est une continuation de la collaboration américano-britannique dans d’autres endroits du monde [Irak, NDLR].
Jugez-vous, comme certains dirigeants américains, que ce qui se passe au Darfour est un génocide ?
Le Darfour a connu des pertes humaines considérables il y a quelques années déjà. Il se trouve à présent confronté à de véritables problèmes : difficultés d’accès des humanitaires, vide politique et sécuritaire, mais, quelle qu’ait été la réalité dans le passé, il n’y a pas de génocide au Darfour aujourd’hui. Des défaillances pourraient entraîner des tueries organisées et massives. Non pas parce que quelqu’un à Khartoum en prend la décision, mais parce que la généralisation de la violence peut aboutir à ce point de non-retour où elle devient incontrôlable. Pour le moment, ce n’est pas le cas.
Est-ce que la menace de boycottage des jeux Olympiques de 2008 a pesé sur l’implication de la Chine dans le dossier ?
Je pense qu’elle a eu un effet. Les Chinois allaient s’investir de toute façon. Mais la menace de boycottage les a perturbés. Au-delà du Darfour, la Chine est en train de s’affirmer comme une puissance mondiale. Elle commence à réaliser qu’elle ne parviendra pas à garder son rang de géant économique si elle ne manifeste pas sa volonté réelle de prendre sa part de responsabilité dans les affaires du monde.
L’influence de Pékin en Afrique est-elle une bonne ou une mauvaise chose ?
Elle peut être bonne, à condition que la Chine tire les enseignements de ce que nous y faisons depuis des décennies. Elle doit faire attention à ne pas étouffer l’embryon des industries locales, à ne pas accentuer le fardeau de la dette, à ne pas prendre le travail des Africains.
Mais, nous, Européens, devons éviter de tomber dans le piège de la dénonciation facile. Nous demandons depuis trop longtemps que d’autres pays s’investissent davantage en Afrique pour nous en plaindre aujourd’hui. Même s’ils n’emploient pas nos méthodes, nous devons admettre que, dans certains domaines, ils sont meilleurs que nous et ont mieux compris les besoins des Africains.
N’y a-t-il pas une forme d’hypocrisie de la part des puissances occidentales à critiquer l’indifférence de la Chine en matière de gouvernance ?
Il est légitime que les Occidentaux soulèvent cet aspect. À condition toutefois qu’il ne serve pas de prétexte à essayer d’exclure la Chine du continent. Nous insistons peut-être trop sur la bonne gouvernance. Et les Chinois, pas assez.
Le Zimbabwe peut-il sortir rapidement de la crise dans laquelle il est plongé ?
Le Zimbabwe possède l’une des économies africaines les plus solides, grâce à ses ressources naturelles. Quand le patient sera guéri, sa convalescence économique pourra être très rapide. Il n’est pas impossible qu’en quatre ou cinq ans on assiste à son retour sur la scène commerciale mondiale.
Est-ce que le pays devra auparavant se débarrasser de Robert Mugabe pour que la situation s’améliore ?
C’est une question qui en appelle une autre : le Royaume-Uni ne devrait-il pas alléger les sanctions qui frappent le Zimbabwe ? La réalité, c’est que les sanctions britanniques et européennes ne pèsent que sur certains dirigeants. À tel point que le Zimbabwe connaît un excédent commercial avec le Royaume-Uni. Je ne pense pas que le sort du pays soit entre nos mains. Il ne suffit pas de lever les sanctions pour que les causes de l’hyperinflation et de la mauvaise gouvernance disparaissent.
Le Royaume-Uni n’est pas toujours aussi sévère avec les pays d’Afrique accusés de manquements à la gouvernance
Gordon Brown est clair : nous n’allons pas baisser les bras face au Zimbabwe et continuerons de tirer la sonnette d’alarme sur les agissements de Mugabe. Mais nous n’allons pas non plus laisser ce pays déterminer toute notre politique en Afrique. Nous souhaitons travailler avec les bons gouvernements. Et dès que la bonne gouvernance sera de retour au Zimbabwe, nous serons à nouveau un partenaire majeur. Pour le moment, nous ne voulons pas investir dans un régime politiquement et économiquement inefficace.
Reste que le Royaume-Uni n’a pas respecté les engagements pris lors des accords de Lancaster House, en 1979
Un programme d’aide très généreux a été élaboré à l’aube de 2002. Dans les discussions, l’argument britannique reposait sur le fait que Mugabe n’avait jamais témoigné d’intérêt pour la réforme agraire avant qu’elle ne devienne un enjeu électoral, vers 1999. Lui prétendait au contraire que le Royaume-Uni n’avait jamais tenu ses promesses. Ce que je sais, c’est qu’en 2002 nous avions clairement promis un accompagnement financier significatif à la réforme agraire. D’ailleurs, les engagements britanniques sont toujours là et nous sommes prêts à les honorer dès que le pays aura changé de leadership. Mais il est vrai que, jusqu’ici, nous nous débrouillons mal au Zimbabwe, donc nous préférons que d’autres s’impliquent.
Le changement de Premier ministre en Grande-Bretagne aura-t-il une quelconque incidence sur les relations avec le Zimbabwe ?
Non. Gordon Brown ne s’assiéra pas à côté de Robert Mugabe. Oui, nous avons un problème avec le Zimbabwe, mais nous ne laisserons pas cela empoisonner nos relations avec le reste de l’Afrique. D’ailleurs, nous nous tournons vers nos autres partenaires sur le continent, en particulier la SADC [Communauté pour le développement de l’Afrique australe, NDLR] et Thabo Mbeki pour leur demander d’agir.
La diplomatie discrète de Mbeki ne semble pourtant pas porter ses fruits
Il faut que ça marche. Plus les dirigeants africains seront nombreux à vouloir régler le problème, plus vite il y aura des résultats.
Vous rendrez-vous au sommet Europe-Afrique de Lisbonne en décembre prochain ?
Nous voulons que ce sommet se tienne pour la bonne santé des relations entre les deux continents. Et nous voudrions qu’une solution soit trouvée pour que le Zimbabwe soit représenté. Mais pas par Mugabe. Sa présence serait une provocation. C’est à l’Europe et à l’Afrique, ensemble, de décider qui doit occuper le fauteuil du Zimbabwe.

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