Le Liban salue la mémoire du réalisateur algérien Farouk Beloufa pour son film « Nahla »

La presse libanaise a salué la mémoire du cinéaste algérien Farouk Beloufa, disparu ce 9 avril et dont « Nahla », fiction tournée durant la guerre civile libanaise, est considéré comme le témoignage d’une époque.

Farouk Beloufa, le réalisateur de « Nahla », est mort le 9 avril en France. © Capture écran YouTube/Hadjout Marengo

Farouk Beloufa, le réalisateur de « Nahla », est mort le 9 avril en France. © Capture écran YouTube/Hadjout Marengo

CRETOIS Jules

Publié le 20 avril 2018 Lecture : 4 minutes.

Deux événements qui n’ont, a priori, pas tant à voir l’un avec l’autre, se sont pourtant télescopés. D’un côté, l’annonce de la sortie en mai prochain d’Opération Beyrouth (« Beirut » en anglais), superproduction d’espionnage américaine, et de l’autre, la nouvelle, ce 9 avril, du décès du discret réalisateur algérien Farouk Beloufa à l’âge de 71 ans, à Paris. Ce dernier est notamment l’auteur d’un classique du cinéma algérien, Nahla, sorti en 1979 et dont l’intrigue se déroule, comme Opération Beyrouth, durant la guerre civile au Liban. La presse et les internautes libanais n’ont pas été tendres avec le film américain mais ont salué la mémoire du cinéaste algérien. La raison : la manière de filmer la capitale libanaise et la guerre qui l’a frappée pendant des années.

Un ras-le-bol

Comme l’a rapporté le New York Times, Opération Beyrouth, avant même sa sortie en salles, suscite déjà rejet et méfiance au Moyen-Orient, où est apparu le Hashtag #BoycottBeirutMovie. Des journaux aux lignes éditoriales très différentes ont pointé la grossièreté du film et le ministre de la Culture libanais, Ghattas Khoury, a accusé, comme le rapportait L’Orient Le Jour : « lorsqu’un auteur ou un réalisateur veut faire un film, il se documente sur le lieu et l’histoire afin que le film soit véridique […]. Notre ville glorieuse a été défigurée de façon injuste… »

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La bande annonce promet en effet un film à la bande-son ringarde et orientaliste, tourné non pas au Liban, mais au Maroc – comme de très nombreuses fictions censées se dérouler dans le vaste « monde arabe » – et au casting ne laissant qu’une place incongrue aux acteurs libanais. Le pitch, lui, disponible sur le site de Warner Bros, diffuseur du film en France, promet le pire. La symbolique paternaliste est assumée : le héros est un Américain qui cherche à adopter un « orphelin libanais ». Le héros, diplomate, est appelé à être négociateur dans un Beyrouth en proie à la guerre, entre les services de la CIA, les services israéliens et des « terroristes », figures grotesques mais devenues récurrentes dans la production cinématographique contemporaine.

Le ras-le-bol envers les scénarii américains faciles n’est pas nouveau. En 2015, des street artistes taguaient ainsi les messages « ‘Homeland’ est raciste » lors du tournage de la série américaine « Homeland », également largement centrée sur la question sécuritaire et terroriste. Les messages avaient été écrits en arabe dans les rues dans lesquelles déambulaient les acteurs de la série, censée figurer un camp de réfugiés syriens.

Nahla, un film subtil

Si la presse libanaise a étrillé Opération Beyrouth, elle a revanche largement applaudi le réalisateur Farouk Beloufa, dont beaucoup de journalistes connaissent bien Nahla, tourné en 1978 alors que les combats ont commencé à Beyrouth, a été coécrit avec l’intellectuel algérien Rachid Boudjedra.

Dans Nahla, pas de « terroristes » comme dans Opération Beyrouth

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Nous sommes en 1975, et Larbi, jeune journaliste algérien, couvre les événements qui annoncent la guerre civile dans la foulée de l’incursion israélienne en janvier dans l’Arkoub. Il se rapproche de Nahla, chanteuse en passe de devenir un mythe dans l’ensemble du monde arabophone et qui compte parmi ses amis Maha, une journaliste féministe et Hind, une militante palestinienne. Ici, pas de « terroristes » comme dans Opération Beyrouth. En plus d’une passion amoureuse comme fil conducteur, le vieux rêve d’unité arabe, la lutte du peuple palestinien, le combat féministe, sont autant de thématiques qui traversent Nahla et toutes sont abordées avec une réelle subtilité.

Au centre du film réside l’aspiration de la jeunesse de s’émanciper tant individuellement, et notamment en tant que femme, qu’en tant que groupe collectif, que peuple arabe. Une mémoire des violents événements libanais qui ne dissimule pas la violence de l’époque, mais radicalement aux antipodes du manichéisme et de la caricature hors contexte que semble proposer Opération Beyrouth.

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Le film est porté par une superbe bande-son, œuvre de Ziad Rahbani, fils aîné de la chanteuse libanaise Fairuz, célèbre compagnon de route du parti communiste libanais et compositeur à succès.

Un parcours symbolique

Le parcours de Farouk Beloufa, est quant à lui emblématique de la richesse du cinéma contemporain maghrébin et moyen-oriental. Beloufa, dont Nahla est le seul long-métrage en dehors d’Insurrectionnelle, film militant censuré par Alger et remonté pour être présenté sans signature, a notamment été élève de Roland Barthes à Paris et assistant du réalisateur égyptien Youssef Chahine sur Le Retour de l’enfant prodigue. Le rayonnement du cinéma arabe est un sujet qui continue d’intéresser, comme en témoigne la sortie de Mon histoire n’est pas encore écrite, documentaire sur la cinémathèque d’Alger.

La mémoire de Nahla est restée vive. Selon l’association Archives numériques du cinéma algérien, qui a mis en ligne une version sous-titrée en français de Nahla, « en 2013, le cinéaste algérien Tariq Teguia rendait hommage, dans son film Révolution Zendj, à Farouk Beloufa en prénommant son héroïne, jeune femme palestinienne recherchant les traces de son père à Beyrouth, Nahla ». Au Liban, le journaliste Pierre Abi-Saab a salué la mémoire de l’auteur d’un film « d’une importance historique » dans le journal Al Akhbar.

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