Alternance(s) en Afrique de l’Ouest
La récente élection de l’opposant Julius Maada Bio en Sierra Leone, ou celle de George Weah au Liberia, montre une dynamique qui anime l’Afrique de l’Ouest depuis dix ans : ces pays ont presque tous connu une alternance au sommet de l’État. Cinq grandes raisons expliquent la débâcle des « sortants ».
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André Silver Konan
Journaliste et éditorialiste ivoirien, collaborateur de Jeune Afrique depuis Abidjan.
Publié le 9 mai 2018 Lecture : 3 minutes.
Tribune. C’est un fait. Ces dix dernières années, à l’exception du Togo, tous les pays d’Afrique de l’Ouest ont, d’une manière ou d’une autre, connu une alternance au sommet de l’État. Dernier exemple en date : la Sierra Leone. Le 31 mars, l’opposant Julius Maada Bio a été élu face à Samura Kamara, candidat du parti présidentiel sortant.
Quelques mois plus tôt au Liberia, le 26 décembre 2017, c’est Joseph Boakai, qui se présentait lui aussi pour la formation au pouvoir, qui avait été battu par George Weah. Au début de la même année, Yahya Jammeh, à la tête de la Gambie depuis vingt-deux ans, avait été tenu en échec par Adama Barrow, quasi inconnu jusque-là.
La débâcle des « sortants »
En 2016 au Ghana, le président sortant, John Dramani Mahama, avait dû s’incliner face à Nana Akufo-Addo, tandis qu’au Bénin Patrice Talon faisait mordre la poussière à Lionel Zinsou, pourtant soutenu par le chef de l’État.
Et la liste est encore longue, du Nigérian Muhammadu Buhari, victorieux face à Goodluck Jonathan en 2015, à Alassane Ouattara élu, contre Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire en 2010, en passant par Macky Sall, tombeur d’Abdoulaye Wade au Sénégal en 2012.
Même lorsque l’alternance a découlé d’une révolution (au Burkina Faso en octobre 2014) ou d’un coup de force (en Guinée en décembre 2008 ou au Niger en février 2010), les candidats finalement élus appartenaient à l’opposition.
Conserver le pouvoir est-il plus difficile que de le prendre ?
Plusieurs raisons expliquent la débâcle des « sortants », mais nous en retiendrons cinq. La première relève d’une évidence politique, qui n’est pas le propre de l’Afrique de l’Ouest : au XXIe siècle, les peuples ont, dans leur très grande majorité, une soif d’alternance et de renouvellement de leurs classes dirigeantes.
La deuxième est issue d’une observation : dans tous ces pays, les opposants élus n’étaient pas de nouveaux venus sur la scène politique, bien au contraire. Certains avaient même déjà brigué la magistrature suprême à une ou plusieurs reprises (c’était le cas de Weah, de Buhari ou d’Akufo-Addo).
Pendant toutes ces années, ils ont été en campagne électorale quasi permanente ; ils ont vécu le quotidien des masses et partagé, sinon amplifié, leurs déceptions, tandis que les champions des coalitions au pouvoir, accaparés par leurs missions officielles ou sommés par les présidents en exercice de ne pas gêner l’action gouvernementale en affichant leurs ambitions, peinaient à adopter la bonne stratégie. C’est bien connu : il est difficile de se lancer à la conquête du pouvoir en essayant, dans le même temps, de le conserver.
Dans certains cas, les présidents sortants se sont mépris sur leur propre popularité, pensant qu’elle suffirait à faire élire leurs poulains
Une troisième raison tient au fait que l’exercice du pouvoir crée forcément mécontentements et frustrations, y compris au sein des classes dirigeantes, et que ceux qui choisissent la dissidence connaissent sur le bout des doigts ceux qu’ils affrontent sur le ring électoral et se révèlent être de redoutables tombeurs : Sall face à Wade, Talon face à Boni Yayi.
Dans certains cas – et c’est la quatrième explication –, les présidents sortants se sont mépris sur leur propre popularité, pensant qu’elle suffirait à faire élire leurs poulains. C’est l’erreur commise par le Sierra-Léonais Ernest Bai Koroma, qui a imposé et soutenu Samura Kamara. Autre pays, même erreur : au Bénin, Boni Yayi a choisi Lionel Zinsou, et la présidentielle de 2016 a tourné au référendum contre lui, les Béninois refusant ce qui apparaissait comme un troisième mandat déguisé.
Dernière explication : le piège – paradoxal – des larges coalitions. Certes, les présidents sortants rêvent tous d’avoir un éventail de soutiens aussi vaste que possible pour « passer » dès le premier tour. Mais la stratégie a ses limites : quand on est en ballottage défavorable à l’issue du premier round (cas de Gbagbo et de Wade), on ne dispose pas de réserve de voix suffisante pour inverser la tendance au second tour… La suite est connue.
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