Le fond et la forme

Publié le 1 octobre 2007 Lecture : 3 minutes.

Alors que les réalisateurs américains font déjà des films sur la guerre d’Irak et d’une manière plus générale sur l’après-11 Septembre (voir J.A. n° 2436) un genre à part entière, les Français commencent à peine, un demi-siècle après l’événement, à « couvrir » régulièrement la guerre d’Algérie. Le dernier long-métrage sur le sujet, L’Ennemi intime, tout comme ses récents prédécesseurs, dont le meilleur fut sans doute il y a un an Mon Colonel, raconte la guerre du strict point de vue français, même s’il ne se veut pas manichéen, distribuant les « crimes de guerre » et autres atrocités à peu près à égalité entre les deux belligérants. Mais il s’agit cette fois d’un film grand public, avec des acteurs de premier plan – Benoît Magimel, Albert Dupontel, Fellag, etc. -, et une recherche évidente du spectaculaire.
L’histoire se passe en 1959 dans les montagnes de Kabylie, à un moment où la guerre bat son plein dans cette région et où se multiplient les opérations contre un FLN très enraciné. Une situation difficile pour l’armée française et par là même propice pour que s’opposent les caractères et les façons d’agir des uns et des autres quand ils sont confrontés aux horreurs de la guerre. Les plus pragmatiques et les plus brutaux, comme le sergent Dougnac (Dupontel), un militaire de carrière qui a « fait l’Indochine », côtoyant des idéalistes, comme le lieutenant Terrien (Magimel), un appelé dont les valeurs vont vaciller puis s’effondrer face à la réalité du terrain. Le fil directeur du film sera d’ailleurs ce « voyage au bout de l’enfer » du second, cet humaniste respectant ses adversaires qui se transforme petit à petit en une véritable bête de combat d’une cruauté sans limite.
Fondé, au départ, sur le travail de Patrick Rotman, qui avait réalisé en 2002 un excellent documentaire de télévision à base de témoignages de soldats, L’Ennemi intime, bien que relevant de la fiction, entend fournir au spectateur un aperçu réaliste de ce que fut cette guerre qui a mené à l’indépendance de l’Algérie. « Il réinvente le film de guerre », n’a pas hésité à dire un critique d’un mensuel de cinéma grand public à propos de L’Ennemi intime. Le compliment n’est peut-être pas immérité, mais, ce faisant, le réalisateur « interdit » au spectateur de prendre jamais le moindre recul face aux événements relatés. Résultat, plan violent après plan violent, on a l’impression d’assister à une sorte de western tragique avec beaucoup de « méchants », quelques « bons » et une grande quantité de « victimes innocentes ». Un spectateur également « innocent » en sortira sans doute avec quelques convictions pacifistes mais aura bien du mal à imaginer qu’il assistait là à un récit rendant compte d’une lutte de libération et d’un moment crucial de l’histoire de la décolonisation. Dommage.
Cette contradiction entre le fond et la forme est une des caractéristiques des films de guerre grand public, puisqu’il est bien difficile de multiplier les scènes d’action pour faire du spectacle tout en analysant quelque peu ce dont lesdites scènes sont la conséquence. Mais cela ne concerne pas que ce genre cinématographique. La démonstration en est faite par le film de Jan Kounen tiré du best-seller de Férédéric Beigbeder 99 F (sorti à Paris le 26 septembre). Ce récit, qui se veut une critique féroce de la société de consommation et du règne du marketing, est une comédie parfois vulgaire mais souvent drôle et toujours efficace. Elle ne laisse cependant aucun loisir au spectateur de s’interroger sur le sujet du film puisqu’il est tourné très exactement comme une suite de spots ou de clips publicitaires. Une esthétique de la séduction immédiate qui vise précisément à décerveler celui auquel elle s’adresse pour le transformer en pur consommateur.

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