La valise ou le cercueil

Al-Qaïda au Maghreb multiplie menaces et attentats contre les Occidentaux pour les contraindre à déguerpir. Sans succès, pour l’instant.

Publié le 1 octobre 2007 Lecture : 6 minutes.

Les djihadistes algériens auraient-ils devancé les désirs d’Aymen Zawahiri ? Quelques jours avant la diffusion, le 20 septembre, d’une nouvelle vidéo dans laquelle le numéro deux d’Al-Qaïda appelle ses partisans à « débarrasser le Maghreb islamique des fils de la France et de l’Espagne », une phalange de l’ex-Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) avait en effet planifié l’enlèvement de deux ressortissants français travaillant pour Aéroports de Paris (ADP), à Alger. Alertée, la Direction de la surveillance du territoire (DST), le contre-espionnage français, a précipitamment rapatrié les deux hommes. Le 21 septembre, Al-Qaïda au Maghreb est à nouveau passée à l’action. À Lakhdaria, en Kabylie, un bus transportant des employés de Razel, un groupe français de travaux publics, qui construit actuellement un barrage dans la région, a été pris pour cible par un kamikaze. Bilan : neuf blessés, dont deux Français et un Italien.
Comme l’on sait, ce n’est pas la première fois que les étrangers travaillant en Algérie se retrouvent ainsi dans le collimateur des djihadistes. Dans les années 1990, plus de soixante-dix d’entre eux, dont une trentaine de Français, avaient été assassinés par les Groupes islamiques armés (GIA), désireux d’isoler leur pays sur la scène internationale. Malgré tout, la situation sécuritaire s’étant globalement beaucoup améliorée depuis cinq ans, aucune société occidentale ni aucun étranger vivant en Algérie n’envisage pour l’instant de plier bagage. Céder au chantage reviendrait à faire une croix sur de très lucratifs contrats. Mais la menace est néanmoins prise très au sérieux.
Selon les chiffres officiels, 32 000 étrangers représentant 105 nationalités travaillent actuellement en Algérie. Contre toute attente, les Chinois constituent la communauté de très loin la plus importante : 45 % du total des « expatriés ». Viennent ensuite les Égyptiens (11 %), les Italiens (3,5 %), les Philippins, les Américains, les Français et les Canadiens (environ 3 % chacun). La très grande majorité d’entre eux vit et travaille dans quatre grandes villes : Alger, Oran, Adrar et Ouargla. Ces deux dernières sont situées dans le Sud, non loin des champs pétroliers et gaziers qui fournissent à l’Algérie l’essentiel de ses devises. C’est le secteur du bâtiment et des travaux publics qui emploie le plus grand nombre d’étrangers (51 %), talonné par celui de l’industrie, les hydrocarbures en particulier (24 %).

La présence de la France n’est sans doute plus ce qu’elle était, mais reste importante. L’ex-puissance coloniale demeure le premier investisseur européen, hors hydrocarbures, avec 295 millions de dollars en 2006 (sur un total de 1,5 milliard). 580 entreprises françaises sont présentes dans tous les secteurs économiques, du bâtiment (Suez, Alstom, Vinci) à l’agroalimentaire (Danone, Bell, Castel), en passant par l’automobile (Peugeot, Renault, Michelin), les services financiers (BNP Paribas, Société générale, Cetelem, Natexis), le tourisme (Accor), la grande distribution (Carrefour) et le transport aérien (Aéroports de Paris, Air France, Aigle Azur). À ces très grandes entreprises s’ajoutent des enseignes comme Celio, Yves Rocher ou les piscines Desjoyaux, qui ont désormais pignon sur rue à Alger (voir J.A. n° 2347, 23-29 septembre). Gérées par des Algériens sous la forme de franchise, elles font néanmoins office de « label français ».
Moins nombreux, certes, mais également visés par les djihadistes, les Espagnols sont environ un millier. « Il y a dix ans, 200 Espagnols vivaient ici. Même durant les pires années, nous n’avons pas déserté le pays », précise une source au consulat. Essentiellement implantées à Alger, Oran et Sétif, plus de 45 sociétés espagnoles travaillent dans le BTP (CAV est associé à Siemens pour la construction du métro d’Alger), l’électroménager (Fagor), l’emballage (Coalza), l’installation de lignes à haute tension (Elecmore) et l’industrie chimique (Certial).
Quid des Américains ? Premiers clients de l’Algérie avec près de 12 milliards de dollars d’échanges en 2005, ils manifestent une nette prédilection pour les hydrocarbures (Anadarko, Halliburton, Bechtel), mais sont également présents dans l’industrie pharmaceutique (Pfizer), la banque (Citibank), le service aux entreprises (Xerox) et l’informatique (Microsoft). « Nous avons recensé plus de 70 entreprises américaines en Algérie, où vivent un millier de nos ressortissants », confie une source proche de l’ambassade.
Comment les étrangers supportent-ils la menace terroriste ? Ont-ils reçu des consignes de sécurité particulières ? La recrudescence des attentats les contraint-elle à modifier leur mode de vie ? Peu après l’attentat contre Razel, le Quai d’Orsay a demandé aux représentations diplomatiques françaises dans tout le Maghreb de renforcer les mesures de sécurité dont bénéficient les expatriés et a mis en ligne sur son site Internet des recommandations à l’usage des voyageurs désireux de se rendre en Algérie. Quelques heures plus tard, les consulats ont réuni les Français vivant en Algérie pour les informer des nouvelles dispositions en matière de sécurité.
Installé depuis trois ans et demi à Oran, où il est cadre dans une grande banque française, Jean-François Boutin ne se sent pas vraiment menacé, mais prend quand même quelques précautions. « J’évite de fréquenter toujours les mêmes endroits et d’emprunter les mêmes itinéraires, aux mêmes heures, explique-t-il. Je m’abstiens également de m’attarder dans les quartiers chauds, mais, pour le reste, ma vie n’a pas radicalement changé. Ce sont plutôt les membres de ma famille, en France, qui sont inquiets. Ils me demandent de rentrer au plus vite. »

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Si Oran est relativement épargné par le terrorisme, il en va tout autrement de la région d’Alger et, surtout, de la Kabylie, où subsistent plusieurs maquis islamistes. Les étrangers y sont désormais contraints de faire très attention. Les Français, par exemple, sont en état d’« alerte orange », un dispositif qui exclut, pour le moment, l’assignation à résidence. La présence policière a certes été sensiblement renforcée autour de la capitale et l’infiltration de terroristes est rendue aléatoire par l’indiscutable efficacité des services de sécurité, mais personne n’est jamais à l’abri d’un attentat.
Fini, donc, les virées nocturnes dans les restaurants et les boîtes d’Alger ? N’exagérons rien. Si l’interdiction de fréquenter les lieux publics sans escorte policière reste en vigueur et si les déplacements dans l’intérieur du pays sont soumis à l’autorisation préalable des autorités, de nombreux étrangers affirment ne rien vouloir changer à leurs habitudes. Originaire du pays basque, Donoro (45 ans) travaille à l’Office commercial de l’ambassade d’Espagne et habite depuis le mois de juin sur les hauteurs d’Alger. « Je vis au milieu des Algériens, raconte-t-il. Je me déplace sans escorte et, le soir, il m’arrive de prendre le thé avec des amis en bas de l’immeuble. Nous ne ressentons pas de tension particulière, même si, bien entendu, il nous faut rester prudents. »
Même consignes de prudence à l’ambassade des États-Unis à Alger, mais pas de nervosité excessive. Le Travel Warning, cette mise en garde adressée aux ressortissants américains dans le monde entier, a été réactualisé au lendemain des attentats de Batna et de Blida, mais une source proche de l’ambassade précise qu’il l’est automatiquement tous les six mois. La dernière mise à jour aurait coïncidé « par hasard » avec les attentats dans l’est et le centre du pays.
Cadre dans une institution publique française et résidant à Alger depuis plus de deux ans, Didier refuse lui aussi de céder à la panique. « La menace existe, dit-il. Il faut être très vigilant, mais quitter le pays serait imprudent, prématuré et indélicat vis-à-vis des Algériens avec qui nous avons de grands projets. Partir, c’est faire le jeu des terroristes. »
Si les employés de Razel restés en Algérie sont encore sous le choc de l’attaque du 21 septembre, au siège de la société, à Paris, la consigne est sans ambiguïté : pas question de départ précipité. « La menace Al-Qaïda ne remet pas en cause notre présence. Nous restons afin de mener nos projets à leur terme », indique un dirigeant. Pour réduire les risques, Razel, qui a déjà été visé par les terroristes à au moins trois reprises, a pris de nouvelles mesures de sécurité qu’elle refuse, pour des raisons évidentes, de communiquer.
Dans les agences bancaires, l’utilisation des téléphones portables est désormais interdite, les terroristes usant souvent de ce moyen pour déclencher une explosion à distance. Les sociétés spécialisées dans la surveillance des sites, la protection des personnes et le transport des fonds prolifèrent. On en recense déjà une soixantaine, dans tout le pays. Bref, chacun s’efforce, comme il peut, de s’adapter à la menace djihadiste.

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