L’Afrique à Manhattan

La 62e Assemblée générale a rassemblé une centaine de chefs d’État. Au programme : bousculades, polémiques, apartés discrets Et des avancées sur quelques dossiers chauds, dont celui du Darfour.

Publié le 1 octobre 2007 Lecture : 6 minutes.

C’est devenu un rendez-vous incontournable. L’Assemblée générale de l’ONU, il faut y être. Et s’y faire voir. Le problème est que tous les chefs d’État font le même calcul et que, au fil des ans, l’AG prend les allures d’une gigantesque bousculade. Cette année, quatre-vingt-dix-neuf chefs d’État étaient attendus à New York ! Pour sortir de la mêlée, il faut de la ruse, de l’expérience et une solide connaissance des règles onusiennes.

Première règle : passer le premier jour. Cette année, l’AG dure une semaine (25 septembre-3 octobre), mais c’est le premier jour que les cinq « grands » ont parlé et que les médias se sont mobilisés. Les places à la tribune étaient donc très chères. Indiscutablement, c’est Mahmoud Ahmadinejad qui a tenu la vedette en estimant « close » la question du nucléaire iranien. George W. Bush, qui avait parlé avant lui, n’était pas dans la salle à ce moment-là. « Il était trop occupé pour l’écouter », a commenté sa porte-parole. Mais le lendemain, Nicholas Burns, le numéro trois du département d’État, a apporté un démenti catégorique : « Non, le dossier nucléaire iranien n’est pas clos. »
Autre chef d’État en vue, le Français Nicolas Sarkozy, qui, pour sa première intervention dans cette enceinte, a plaidé pour un « New Deal écologique et économique ». Applaudissements nourris. À la fin de son discours, le Sénégalais Abdoulaye Wade s’est levé pour le féliciter, tandis que l’Ivoirien Laurent Gbagbo restait rivé à son siège. Ce dernier, qui participait pour la première fois à une Assemblée générale, ne parlera que le lendemain, 26 septembre, devant une assistance clairsemée : « Je voudrais plaider ici solennellement la levée partielle de l’embargo sur les armes. [] Les Ivoiriens demeurent préoccupés par le maintien des sanctions individuelles infligées à certains de nos compatriotes. » À Abidjan, les « patriotes » Charles Blé Goudé et Eugène Djué ont dû apprécier le message. En clair, le chef n’oublie pas « ses petits ».
Le Zimbabwéen Robert Mugabe a lui aussi dû attendre le deuxième jour pour parler. Sa diatribe antiaméricaine – « Bush tue en Irak et en Afghanistan et il se veut notre maître en matière de droits de l’homme ? » – n’a pas eu le même succès que l’an dernier. Peu de journalistes ont suivi son discours. Or, comme le dit un habitué, « l’intérêt d’un chef d’État se mesure à l’affluence dans la salle de presse ».

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Deuxième règle : réussir sa conférence de presse. À ce petit jeu, les Iraniens ont une nouvelle fois montré un vrai savoir-faire. Pour leur président, ils ont réservé, le 25 septembre, une salle de cinq cents places dans l’immeuble même de l’ONU. Les Français n’ont pas été aussi astucieux. La pièce où les journalistes attendaient Sarkozy, le même jour à midi, ne pouvait contenir qu’une centaine de personnes. Elle a donc été réservée à la presse française, à la grande fureur des journalistes américains. Pour les calmer, le président français a dû improviser deux miniconférences, dans l’après-midi.
Quant à Gbagbo, sur les conseils de Whitaker, un groupe de communication américain, il a préféré recevoir la presse à l’hôtel Waldorf Astoria. L’endroit est prestigieux – et coûteux -, mais il est à une demi-heure de l’immeuble de verre. Résultat : la plupart des journalistes ne se sont pas déplacés, faute de temps. Dommage pour eux, car le président ivoirien s’est laissé aller à quelques confidences : « Oui, je sais qu’on m’a surnommé le boulanger. Si mes adversaires estiment que je les roule dans la farine, tant mieux pour moi. Rouler tous ses vis-à-vis dans la farine, c’est aussi le métier, c’est pour ça qu’on travaille. » Rires dans la salle.

Troisième règle : descendre dans le même hôtel que Bush, le Waldorf en l’occurrence. De ce point de vue, Gbagbo et le Congolais Joseph Kabila ont tiré leur épingle du jeu. Chacun avait réservé un étage de l’établissement. Ont-ils croisé le président américain ? En tout cas, ils se sont longuement entretenus avec Jendayi Frazer, la secrétaire d’État adjointe pour les Affaires africaines. Kabila a également eu un échange de vues avec Condoleezza Rice, la secrétaire d’État.
Autre temps fort, la réunion exceptionnelle du Conseil de sécurité sur le Darfour, le 25 septembre. Pour la quatrième fois dans l’histoire onusienne, ce sont les chefs d’État eux-mêmes qui se sont donné rendez-vous autour de la table ovale. À l’issue de leur rencontre, les quinze se sont prononcés pour le déploiement d’une force mixte ONU-Union européenne au Tchad et en Centrafrique, pour protéger les civils touchés par le conflit du Darfour.
Une passe d’armes inattendue a eu lieu pendant cette rencontre. Alpha Oumar Konaré, on le sait, n’a pas du tout apprécié le discours sur l’Afrique de Nicolas Sarkozy, à Dakar, au mois de juillet (lire aussi p. 19). En plein Conseil de sécurité, le président de la Commission de l’Union africaine a interpellé le chef de l’État français sur un thème qui lui est cher, la « rupture ». « La dynamique de l’intégration doit nécessairement conduire au dépaysement des bases militaires étrangères sur le continent », lui a-t-il lancé.
Moins médiatique mais tout aussi important, Yang Jiechi, le ministre chinois des Affaires étrangères, a réuni autour de lui, le 26 septembre, tous ses homologues africains. Une première depuis le sommet de Pékin, en novembre 2006. Réaction d’Ahmed Aboul Gheit, le chef de la diplomatie égyptienne : « Nous apprécions cette relation avec la Chine parce qu’elle est basée sur le respect mutuel, loin de toute idée de sanction, de condition posée ou de discrimination. »
Comme tous les ans, cette AG a donné lieu aussi à de multiples tête-à-tête. « La page des mauvaises relations entre l’Angola et la France est définitivement tournée », a lancé Sarkozy à l’issue d’un entretien de quarante-cinq minutes avec José Eduardo dos Santos. Le président français doit se rendre à Luanda au début de l’année prochaine. À l’issue d’un autre rendez-vous très médiatisé, Ahmadinejad et Mugabe se sont promis de créer ensemble une « coalition pour la paix ». « En réaction à l’agression des brutes internationales », a précisé le Zimbabwéen.
Plus discrète a été la rencontre, au Waldorf, entre Gbagbo et le Camerounais Paul Biya. Et celle entre Kabila et Paul Kagamé. À la tribune de l’ONU, le 27 septembre, le président congolais a réclamé l’appui des Casques bleus pour désarmer et rapatrier de force les combattants hutus rwandais du Nord-Kivu. Le président rwandais également. Charles Murigande, son ministre des Affaires étrangères, s’est entretenu longuement avec le Français Bernard Kouchner. Apparemment, sans résultat. Pour Kigali, la reprise des relations diplomatiques avec Paris semble exclue tant que la justice française poursuivra neuf proches de Kagamé soupçonnés d’avoir participé à l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du défunt président Habyarimana.

Au bout du compte, la rencontre la plus attendue n’a pas eu lieu. Ou à peine. Pendant plusieurs jours, des proches du chef de l’État ivoirien ont essayé d’organiser un tête-à-tête Gbagbo-Sarkozy. Mais la délégation française a invoqué un emploi du temps très serré Finalement, les deux hommes se sont retrouvés, dans l’après-midi du 25, dans la salle du Conseil de sécurité. Sarkozy avait prévenu : « Je lui serrerai la main et j’échangerai quelques mots avec lui pour lui dire notamment que l’organisation d’élections est un rendez-vous incontournable dans un pays qui veut reprendre toute sa place dans la communauté internationale. » Le lendemain, Gbagbo a commenté : « Il est venu vers moi et m’a salué. On s’est serré la main et on a échangé quelques mots. C’est la politesse élémentaire entre deux chefs d’État. Il n’y a pas de drame entre Nicolas Sarkozy et moi. » Bref, c’est tout au plus l’amorce d’un dégel.

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