Kouyaté sous pression

Confronté à l’impatience des syndicats, le Premier ministre doit également faire face aux blocages venant du président Conté et de ses proches. Tout en apaisant la grogne, de plus en plus insistante, de la rue.

Publié le 1 octobre 2007 Lecture : 5 minutes.

Le fait est assez rare pour être signalé : le chef de l’État guinéen Lansana Conté – qui rechigne tant à rencontrer, même en temps de crise, ses contempteurs – a reçu, le 20 septembre, les responsables du Conseil national des organisations de la société civile (Cnosc). Mal lui en a pris. Dès la fin de l’audience, le président du Cnosc, Ben Sékou Sylla, et ses camarades ont indiqué à la presse les points abordés au cours de l’entretien : « La nécessité de signer les décrets relatifs à la réorganisation de l’administration publique ; le clientélisme et le clanisme qui minent dangereusement l’unité du pays ; la corruption et la mauvaise gouvernance qui s’accroissent comme s’il ne s’était rien passé ; les agissements des anciens caciques du système ; la division semée au sein de la jeunesse et des forces sociales par les tentatives de récupération et d’instrumentalisation. »
Un réquisitoire qui en dit long sur les difficultés du « gouvernement de consensus » mis en place le 28 mars et censé sortir le pays de l’ornière avant l’organisation d’élections législatives transparentes (prévues en 2008). L’équipe du Premier ministre Lansana Kouyaté fait face à des forces d’inertie de tous ordres. Et celle que constitue le chef de l’État n’est pas la moindre. Conté use de toute sa capacité de nuisance pour entraver l’action d’un gouvernement qui lui a été imposé par la révolte populaire de janvier et février 2007. Il refuse de signer le décret portant nomination des membres des cabinets ministériels. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir reçu le texte, qui lui a été déposé depuis plus de trois mois. À bout de patience, Lansana Kouyaté n’a pu s’abstenir de lui exprimer son agacement : « Je ne comprends pas que vous tardiez autant à signer ce décret. Si votre objectif est de m’empêcher de travailler, prenez vos responsabilités et démettez-moi de mes fonctions. » Il a fallu l’intervention de Guido Santullo, homme d’affaires italien installé dans le pays et ami du chef de l’État, pour calmer les esprits et empêcher que l’échange ne tourne au vinaigre.
Le blocage persiste alors que les Guinéens attendent des résultats. Kouyaté lui-même est obligé de s’accommoder du cabinet de François Fall, Premier ministre de février à avril 2004, comme, avant lui, Cellou Dalein Diallo, locataire de la primature de décembre 2004 à avril 2006. Le chef du gouvernement travaille avec des cadres qu’il n’a pas choisis, qu’il ne connaît pas et en qui il n’a pas forcément confiance.

À son poste stratégique et sensible, le ministre de l’Économie, des Finances et du Plan, Ousmane Doré, connaît les mêmes difficultés. Parfois au bord de la crise de nerfs, ce technocrate débauché du Fonds monétaire international (FMI) n’en peut plus de collaborer avec une administration financière aussi sclérosée que corrompue. Comme s’il y avait une entreprise planifiée de sabotage, toutes les procédures de décaissement pour les actions prioritaires prennent systématiquement du retard. Début septembre, il a fallu que Doré tape du poing sur la table pour que des fonds soient remis à l’entreprise américaine Solar Outdoor Lighting, venue dans le pays pour installer un système d’éclairage public par l’énergie solaire. Le grand argentier pouvait d’autant moins attendre que Kouyaté s’est engagé à fournir de l’électricité aux Guinéens, qui, lors du soulèvement populaire de ce début d’année, réclamaient l’eau courante et de la lumière.
Pour faire face aux blocages, d’aucuns se sont résolus à user de subterfuges. Ainsi du ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, Mamadou Beau Keïta, qui, évoquant l’urgence et des impératifs de sécurité, a nommé le 18 août des cadres par voie d’arrêté pour étoffer son cabinet et remplacer les directeurs de la police et des services de renseignements. Il n’est pas exclu que certains de ses collègues s’inspirent de sa démarche.
Les entraves n’émanent pas que du seul chef de l’État. Ses proches ainsi que les anciens ministres, gouverneurs ou préfets limogés à la faveur du changement n’ont jamais désarmé et multiplient chausse-trappes et manipulations pour faire trébucher l’équipe Kouyaté. Jusque-là larvée, leur capacité de nuisance est apparue au grand jour à l’occasion de la mise en place du Conseil national de la jeunesse guinéenne (CNJG), du 5 au 9 septembre à Dalaba, en province. Soucieux de contrôler les jeunes – donc la rue – ils ont saboté le congrès constitutif du CNJG, créé une dissidence au sein du mouvement pour empêcher l’élection à sa tête de Sory Doumbouya, supposé proche de Lansana Kouyaté. Le congrès s’est terminé en queue de poisson, avec deux factions opposées qui revendiquent chacune la légitimité.
L’éclatement progressif de l’entourage présidentiel donnera, en tout cas, un peu de répit au Premier ministre. Le bloc des anciens ministres n’est plus aussi compact qu’au début. Découragés d’attendre un décret de limogeage de Kouyaté déclaré chaque jour imminent mais sans cesse reporté, les plus pressés commencent à tourner casaque, et rendent plus assidûment visite à ce dernier. En outre, la lutte pour le contrôle du Parti de l’unité et du progrès (PUP), la formation présidentielle, occupe plus que toute autre chose les grognards les plus influents de Conté.
La rivalité entre le président de l’Assemblée nationale, Aboubacar Somparé, et l’homme d’affaires Elhadj Mamadou Sylla, devenu président d’honneur du parti, place curieusement Kouyaté dans une position d’arbitre – chacun des deux camps l’ayant approché pour tenter de l’avoir à ses côtés. Si Somparé a remporté une bataille – le 22 septembre, Conté a demandé à Sylla de se retirer du parti -, la guerre est loin d’être terminée. Du Bureau politique national à la base, les partisans du businessman ne sont pas prêts à abdiquer.

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La querelle qui mobilise les caciques du régime laisse un peu de temps à Kouyaté pour essayer de « contenir » les syndicats, à l’initiative de la contestation populaire qui a imposé la mise en place du « gouvernement de consensus ». C’est de ces derniers qu’est venu le coup le plus rude contre le gouvernement : une lettre ouverte publiée le 4 juillet qui lui reproche de n’avoir rien exécuté de sa feuille de route. Mais beaucoup d’eau a coulé depuis cette missive au vitriol. Début septembre, des leaders syndicaux emmenés par Ibrahima Fofana, secrétaire général de l’Union syndicale des travailleurs de Guinée (USTG), l’une des deux principales centrales du pays, ont même stigmatisé dans un communiqué le refus du chef de l’État de signer le décret de nomination des cabinets ministériels ainsi que les entraves à l’action gouvernementale orchestrées par ses proches.
Reste que si le front syndical semble s’apaiser, la rue, elle, demeure une menace réelle contre le gouvernement. À preuve, les récentes manifestations de jeunes de Bambéto, Hamdallaye et Cosa, à la périphérie de Conakry, pour protester contre la vie chère. Si le gouvernement a importé 21 000 tonnes de riz, l’aliment de base de la population, pour contenir le prix du sac de 50 kg à 85 000 francs guinéens (contre 130 000, soit 22,45 euros, à la veille des manifestations populaires), le coût de la vie reste insupportable pour des Guinéens très appauvris. Et qui, après cinquante ans de calvaire, n’en peuvent plus d’attendre une embellie

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