Tunisie – Mort d’Omar Laabidi : « La balle est dans le camp des autorités », juge Ghazi Mrabet
Le célèbre avocat tunisien s’est saisi du dossier d’Omar Laabidi, un jeune supporter de foot mort noyé le 31 mars, après une match marqué par des violences dans le stade. Son décès, et des soupçons portant sur le comportement des forces de l’ordre, en ont fait une affaire nationale.
Depuis un mois, des ultras et supporters de l’Espérance sportive de Tunis, de la Jeunesse sportive de Kairouan ou encore du Club athlétique bizertin, organisent sans relâche des actions pour exprimer leur colère. Tous exigent la vérité sur le décès d’Omar Laabidi.
Questions et colère
Agé de 19 ans, cet amoureux du Club africain, est mort noyé le 31 mars. Il aurait sauté dans un canal alors qu’il était poursuivi par des agents de police, selon des témoins. Sa famille assure qu’il aurait crié aux policiers qu’il ne savait pas nager avant de mourir. L’un d’eux aurait répondu « T3alem 3oum » (Apprend à nager), injonction qui est vite devenue un hashtag de colère sur les réseaux sociaux.
Omar Laabidi fréquentait la « Curva Nord », le virage dans lequel s’installent les fans proches du groupe des « Vandals ». Il est mort dans l’Oued Meliane, à quelques kilomètres du stade de Radès, en périphérie de Tunis. Il venait d’assister au match opposant le Club africain à l’Olympique de Médenine, lors duquel des heurts ont eu lieu dans les gradins.
Enquête ouverte à la demande du Premier ministre
Le 6 avril, le Premier ministre Youssef Chahed a demandé l’ouverture d’une enquête interne pour déterminer les causes du décès du jeune homme. Mehdi Ben Gharbia, ministre des Relations avec la société civile, et Majdouline Charni, ministre de la Jeunesse et des Sports, ont pour leur part rencontré la famille Laabidi. Mais cela n’a pas suffit à calmer la colère des fans du Club africain, qui ont organisé une manifestation à Tunis , samedi 21 avril, pour réclamer « la vérité sur le décès de Laabidi ».
Le célèbre avocat Ghazi Mrabet – connu pour avoir mené une longue bataille pour l’abrogation de la loi 52 sur les stupéfiants – est l’avocat de la famille d’Omar Laabidi, du rassemblement informel des « Vandals » et du Club africain. Il représentera les trois dans ce qui s’annonce comme une procédure fleuve. Il revient revient pour Jeune Afrique sur sa vision de l’affaire, et expose ses craintes quant à la réalité de la volonté de voir la lumière se faire sur cette affaire.
Jeune Afrique : Le Chef du gouvernement a ordonné l’ouverture d’une enquête administrative et judiciaire pour déterminer les responsabilités dans le décès d’Omar Labidi. Êtes-vous confiant ?
Me Ghazi Mrabet : Il est difficile de se montrer confiant. La police veut nous rassurer mais en réalité, nous sommes maintenus dans le flou. On nous dit « ça avance », mais on ne nous montre pas de preuves de la progression de l’affaire. Le ministère de l’Intérieur, s’il a communiqué dès le premier jour pour éviter le scandale, ne s’est pas vraiment donné la peine, depuis, d’éclairer l’opinion publique, pourtant largement indignée.
L’affaire est devant le tribunal de Ben Arous. Celui-là même devant lequel des agents en armes se sont rassemblés en février dernier pour défendre leurs collègues visés par un mandat de dépôt dans le cadre d’une enquête sur des actes de torture. Celui qui a condamné mon client, le rappeur Weld 15 pour avoir insulté la police dans une chanson. Par ailleurs, soyons clairs : une enquête interne n’est pas du tout une option satisfaisante. La police qui enquête sur la police, ça ne donnera rien, nous le savons.
La violence dans les stades et l’impunité policière sont deux débats qu’il faut arrêter d’éviter
Avez-vous une stratégie juridique précise ?
Tous les scénarii sont encore ouverts. Nous sommes un collectif de trois avocats autour de la famille d’Omar Laabidi et moi-même, je travaille ici aussi pour le Club africain et le groupe de supporter des Vandals. Nous devons encore discuter. Nous pourrions demander à ce que l’affaire soit portée devant un tribunal militaire, où l’influence de la police se ferait moins sentir. Mais en tant que défenseur de la justice civile, je ne vous cache pas que cela me pose un cas de conscience…
Une manifestation a eu lieu pour exiger que la vérité soit faite. Cela peut-il changer le cours du dossier ?
Cette manifestation a été une très belle chose. Pour la première fois ou presque, les jeunes supporters ont tendu la main à des acteurs de la société civile, des associatifs, des militants de gauche… qui ne l’ont pas rejeté. La mort d’Omar Labidi est tragique. Nous devons d’une part exiger la vérité, mais aussi en profiter pour nous assurer que cela n’arrive plus jamais.
La violence dans les stades, y compris celle de certains supporters, et l’impunité policière sont deux débats importants et qu’il faut arrêter d’éviter. Oui, ces manifestations peuvent avoir un impact. Le 13 mai, le Club africain rencontre l’Étoile sportive du Sahel pour la finale de la Coupe de Tunisie, à Rades, là où Omar est décédé. Le président de la République sera là. S’il n’est pas écouté, le public du Club africain se fera entendre, nous pouvons en être certains. La balle est dans le camp des autorités.
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