Vers l’Europe en priorité

Le trafic interafricain se développe, permettant de pallier l’insuffisance du réseau routier. Mais de nombreux progrès restent à accomplir.

Publié le 1 août 2005 Lecture : 5 minutes.

Les transporteurs aériens sont de plus en plus nombreux à investir les aéroports d’Afrique. Le trafic cargo a augmenté l’année dernière dans treize des quinze aéroports les plus fréquentés. Si l’Afrique du Sud détient une part substantielle du marché, plusieurs pays tirent profit d’une production horticole et agricole en croissance constante qui attire de plus en plus les compagnies en partance pour l’Europe. Le potentiel de développement est énorme, puisque seuls dix pays concentrent 90 % du fret aérien. L’insuffisance du réseau routier, conjuguée à l’essor du commerce africain à l’international, sont à cet égard de bon augure.
Soixante-septième aéroport mondial et premier d’Afrique, Johannesburg International est une destination populaire chez les transporteurs. On y importe d’Europe des pièces détachées d’automobiles et de l’équipement électronique. Au retour, les avions de compagnies comme Lufthansa ou British Airways, MK Airlines et Cargolux remplissent leurs soutes de denrées périssables – fruits, légumes, poisson. South African Airways s’est taillé une place sur le marché, avec 20 % du trafic cargo vers l’Afrique du Sud en partance d’Asie et 30 % en partance d’Europe. La compagnie ayant connu de sérieuses difficultés, elle mise sur le développement des activités de fret et compte notamment sur son partenariat avec Lufthansa. Avec l’augmentation de ses vols passagers vers l’Europe et l’inauguration de vols vers les États-Unis, la compagnie espère augmenter sa capacité cargo de 50 %. « Extrêmement dynamique », selon les analystes, la compagnie souffre néanmoins de la fragilité du marché sud-africain : le rand, trop fort, freine les exportations. Nombre d’avions en partance pour l’Europe préfèrent faire le plein de marchandises plus au nord.
En périphérie de la capitale kényane, l’aéroport international Jomo-Kenyatta est devenu la plaque tournante du trafic aérien en Afrique de l’Est et centrale. Deuxième aéroport du continent avec 180 000 tonnes de fret en 2004, il tire sa prospérité du flux régulier de touristes en partance pour les safaris, mais également d’une production agricole importante et stable qui enchante les compagnies de transport. « Le marché des fleurs coupées devrait croître de 15 % l’an prochain. Pour nous, c’est vraiment une bonne chose, le Kenya est un marché très porteur », assure d’une voix enthousiaste Pier Luigi Vigada, responsable des ventes de KLM Cargo pour l’Afrique de l’Est et de l’Ouest. Filiale d’Air France, l’entreprise transporte une large part du trafic cargo en partance de Nairobi grâce à son partenariat avec Kenya Airways et Martinair, un transporteur dédié exclusivement au cargo, avec lesquelles elle a établi un important centre de traitement du fret à l’aéroport Jomo-Kenyatta. Doté de milliers de mètres carrés de hangar, l’aéroport compte s’agrandir pour harmoniser une circulation de cargo qui s’est accrue de 4 % l’an dernier. Le succès du Kenya reflète une tendance que partagent l’Éthiopie ou le Ghana.
À quelques heures de route vers le Sud, les autorités aéroportuaires du Kilimandjaro International Airport, premier aéroport privé d’Afrique, se désolent de voir les avions-cargos bouder les installations tanzaniennes. Volontariste, son administrateur a conclu plusieurs accords avec les transporteurs. Mais le marché horticole, en pleine expansion, ne réussit toujours pas à remplir les soutes des avions-cargos. Ces derniers doivent multiplier les escales avant de mettre le cap vers les aéroports européens. Et, avec la flambée des cours du pétrole, ce type de déplacement est devenu très coûteux et les transporteurs hésitent désormais à se poser s’ils ne remplissent pas au moins la moitié de leurs soutes. « Les calculs se font autrement qu’il y a dix ans ; aujourd’hui, le cours du pétrole peut faire « tomber » des marchés », assure George Biwer, responsable des ventes chez Cargolux, premier transporteur exclusivement dédié au fret et huitième transporteur mondial, dont les Boeing 747 possèdent une capacité maximale de 120 tonnes.
Avec leurs maigres 8 tonnes de fleurs coupées par semaine, les horticulteurs tanzaniens doivent envoyer leur production à l’aéroport international de Nairobi par voie routière. Les produits de petites exploitations et les produits saisonniers ont bien peu de chances de prendre l’avion. « Les aéroports qui nous intéressent sont liés à une production qui s’étend sur toute l’année : un marché sain et stable », ajoute George Biwer. On ne s’étonnera donc pas d’entendre les transporteurs parler politique agricole lorsqu’ils déclinent les principaux facteurs de succès d’un aéroport désireux d’attirer leurs avions. Pour Pier Luigi Vigada, responsable commercial de KLM Cargo pour l’Afrique de l’Est et de l’Ouest, « un aéroport doit remplir trois conditions pour être attractif : être bien fourni en produits d’exportation, avoir une logistique efficace et une bonne politique agraire ».
Dans un secteur dominé par une poignée de compagnies européennes – Air France, Lufthansa, British Airways, mais aussi Federal Express et DHL, qui complètent leur activité de courrier express avec le fret -, « il est presque impossible pour une entreprise locale de faire le poids face aux géants du transport et de la logistique », estime Dirk Steiger. Quelques entreprises de taille moyenne ont cependant réussi à se faire une place en s’établissant en Afrique et en maintenant des liens privilégiés avec les producteurs. C’est le cas de la société britannique MK Airlines et de la néerlandaise DAS Airlines. Plusieurs gouvernements africains aimeraient également que leurs compagnies nationales prennent le relais et n’hésitent pas à bloquer le travail des grands transporteurs. « Nous sommes constamment en négociation avec des gouvernements qui limitent le tonnage ou la fréquence de nos vols. Il s’agit généralement de réflexes protectionnistes. Mais il faut admettre que les lignes africaines sont en très mauvais état », explique George Biwer.
Les États africains peinent par ailleurs à établir une plate-forme politique commune dans le secteur aérien. La décision de Yamoussoukro, prise en 2000, qui visait la libéralisation et l’homogénéisation de la réglementation aérienne pour stimuler le transport intra-africain n’est toujours pas entrée en vigueur. De plus, la vétusté de l’équipement inquiète. « Avec seulement 3 % des mouvements dans le monde, l’Afrique concentre 27 % des accidents mortels », constatait le président sud-africain Thabo Mbeki lors de la dernière réunion continentale des ministres de l’Aviation. De nombreux avions doivent être mis à la retraite, particulièrement dans le secteur du cargo. L’état du matériel nécessaire au déchargement n’est pas toujours satisfaisant : « Cela nous pose fréquemment des problèmes. L’équipement est souvent victime de dégradations lorsqu’il y a des crises politiques, explique Biwer. Lorsqu’Air Afrique a disparu, beaucoup d’équipements sont restés au sol et se sont détériorés. » Pour l’administrateur de l’aéroport de Cape Town, George Uriesi, le développement du trafic aérien dépend d’une véritable volonté politique : « Avec un marché domestique virtuellement inexistant et un besoin criant d’investissement dans le développement d’infrastructures, le transport africain a un énorme potentiel de croissance. » Il appelle les administrateurs d’aéroport à agir en entrepreneurs : « Il faut stimuler le commerce plutôt que de procéder à une extension du service public. »
Avec une croissance du trafic cargo entre l’Afrique et l’Europe prévue à 5,2 %, légèrement inférieure à la croissance mondiale de l’industrie de 6,3 %, les poids lourds du cargo comptent bien accroître leurs activités africaines. « Les exportations croissent régulièrement et le continent est sur une bonne voie. Le monde a oublié l’Afrique, mais c’est un continent qui détient des richesses importantes et qui peut se transformer en jardin de l’Europe », conclut George Biwer.

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