Affaire Bolloré au Togo : Jacques Dupuydauby espère « rebattre les cartes »

L’ancien associé du magnat breton, qui gérait à travers son entreprise Progosa la concession du terminal à conteneurs du Port de Lomé avant son attribution à Africa Bolloré Logistics, en 2009, attend notamment de la mise en examen de Vincent Bolloré qu’elle lui évite, entre autres, la prison en Espagne.

Vincent Bolloré à Paris le 22 juin 2016. © Kamil Zihnioglu/AP/SIPA

Vincent Bolloré à Paris le 22 juin 2016. © Kamil Zihnioglu/AP/SIPA

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Publié le 29 avril 2018 Lecture : 5 minutes.

Vincent Bolloré, lors de l’assemblée générale des actionnaires de Vivendi, le 19 avril 2018. © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA
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Affaire Bolloré : l’onde de choc à Lomé et Conakry

Le 25 avril, Vincent Bolloré et deux de ses collaborateurs ont été mis en examen par la justice française pour « corruption d’agents étrangers dépositaires de l’autorité publique », « abus de biens sociaux » et « faux et usage de faux » dans le cadre d’une enquête portant sur les concessions portuaires à Conakry et Lomé. Depuis, la polémique enfle dans ces deux pays d’Afrique de l’Ouest…

Sommaire

Au Togo, Bolloré Africa Logistics (anciennement SDV), la filiale logistique du groupe, est présente depuis 2001. Elle y gère notamment le terminal conventionnel (RoRo & marchandises en vrac) du Port autonome de Lomé (PAL). En 2009, à la veille de la campagne qui allait aboutir à la réélection du président Faure Gnassingbé, elle obtenait, en sus, la gestion pour 35 ans ans du terminal à conteneurs (Togo Terminal).

Une concession attribuée au détriment de Progosa, un groupe franco-espagnol, basé à Séville, dont le président et fondateur est Jacques Dupuydauby. Si ce dernier est un ancien associé de Vincent Bolloré, entre les deux hommes, à cette époque, le contentieux est déjà lourd.

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D’après les premiers éléments de l’enquête, Vincent Bolloré et deux de ses collaborateurs mis en examen en même temps que lui – Jean-Philippe Dorent, directeur du pôle international de l’agence Havas, et Gilles Alix, DG du Groupe Bolloré – sont soupçonnés d’avoir sous-facturé les services de l’agence de communication Havas Worldwide (feu Euro RSCG), filiale à 60 % du groupe Bolloré, auprès du président Faure Gnassingbé. En échange, ce dernier leur aurait accordé la concession du terminal à conteneurs, géré jusqu’alors par Progosa.

Vue du port de Lomé. © Jacques TORREGANO pour Jeune Afrique

Vue du port de Lomé. © Jacques TORREGANO pour Jeune Afrique

Dès l’annonce du placement en garde à vue de Vincent Bolloré, l’entreprise contestait, dans un communiqué, l’hypothèse des magistrats parisiens : « La partie transport du Groupe Bolloré a investi en Afrique bien longtemps avant la prise de contrôle d’Havas pour des concessions portuaires dont le succès dépend d’investissements colossaux et nécessite une expertise de haut niveau. »

Concernant le volet togolais de l’enquête, le groupe ajoutait que « les concessions obtenues au Togo l’ont été en 2001, bien avant l’entrée du groupe dans Havas ».

Un demi-frère du président chez Havas Togo

Mais selon des documents dont la teneur a été révélée le 27 avril par le quotidien français Le Monde, les enquêteurs français sont intrigués par la « sous-facturation des prestations » de la campagne électorale du président togolais. Estimées à 800 000 euros, celles-ci auraient pourtant été facturées seulement 100 000 euros, sur « instructions données par Vincent Bolloré et Gilles Alix ».

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Le 24 mai 2010, deux mois après la victoire aux élections présidentielles de Faure Gnassingbé (avec 60,92 % des voix), un avenant au contrat de concession portuaire a été signé, « portant entre autres sur la construction d’un troisième quai » par Africa Bolloré Logistics.

>>> A LIRE – Affaire Bolloré : « La procédure pourrait durer dix ans »

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En juillet 2011, Patrick Kodjovi Senam Bolouvi, un demi-frère du président (il est le fils de la mère de Faure Gnassingbé, Séna Sabine Mensah), était quant à lui nommé directeur de Havas Média Togo. Autant d’éléments qui seraient susceptibles, pour la justice française, de constituer des contreparties constitutives de faits de corruption.

À l’époque, déjà, existait une « affaire Dupuydauby ». Depuis 2005, ce dernier est en effet accusé par son ancien associé, Vincent Bolloré, d’avoir siphonné les actifs des sociétés togolaise et gabonaise qu’il dirigeait pour le compte du groupe et de les avoir transférés vers des structures au Luxembourg.

Dans cette affaire, des procédures judiciaires ont été engagées à son encontre en Espagne puis au Togo. En mai 2009, craignant une incarcération, Jacques Dupuydauby quittait le Togo pour la France.

Partie civile

Le 7 septembre 2011, le tribunal de Lomé le condamnait à 20 ans de prison et 31 milliards de FCFA d’amende pour des faits de fraude fiscale, de complicité de fraude et d’escroquerie. En Espagne, en mai 2016, après dix années de procédure, la Cour suprême confirmait une décision du Tribunal de Séville qui condamnait Jacques Dupuydauby à 3 ans et 9 mois de prison ferme, ainsi qu’à 10 millions d’euros de dommages intérêts au profit du groupe Bolloré.

Comme nous l’a confirmé son avocat français, Me William Bourdon, Jacques Dupuydauby, sous le coup d’un mandat d’arrêt européen lancé par la justice espagnole en 2017, réside actuellement à Paris. Une audience est d’ailleurs prévue à Paris à ce sujet en mai. Pour Me Bourdon, « la mise en examen de M. Bolloré rebat les cartes, notamment concernant la procédure en Espagne ».

L’avocat a d’ailleurs annoncé à Jeune Afrique qu’il comptait se « constituer partie civile, le 3 mai, par une déclaration au greffe du juge parisien compétent ». Son client espère ainsi « avoir accès au dossier, demander des investigations supplémentaires et réclamer des dommages intérêts pour le préjudice subi ».

En juillet 2012, dans le cadre d’une enquête préliminaire ordonnée par le parquet de Paris, Jacques Dupuydauby avait longuement été entendu dans les locaux de la brigade financière. Lors de cette audition, il avait notamment dénoncé, sans en apporter les preuves, des faits de corruption, de trafic d’influence ou encore de ventes d’armes illicites qu’il attribuait à ses deux « bêtes noires » : Vincent Bolloré et l’ancien président français Nicolas Sarkozy (2007-2012).

« L’affaire de tous les Togolais »

Le 26 avril, Nathaniel Olympio, président du Parti des Togolais (opposition), déclarait à la BBC qu’il fallait désormais « rendre publique » le contrat signé entre le groupe Bolloré et l’État togolais. De son côté, la coordinatrice de la coalition des 14 partis de l’opposition, Brigitte Adjamagbo, estime que « l’affaire Bolloré » est devenue « l’affaire de tous les Togolais ».

« Le peuple doit connaître la suite car on parle de l’élection d’un président de la République », ajoute-t-elle. L’opposition reste toutefois prudente, manifestement sceptique quant au fait que l’assistance de Havas à Faure Gassingbé ait pu jouer un rôle déterminant dans sa réélection.

En octobre 2017, la présence du chef de l’État aux côtés de Vincent Bolloré pour l’inauguration d’une salle de cinéma et de spectacles à Lomé, le Canal Olympia, avait déjà fait polémique. Puis la censure présumée de la rediffusion d’un reportage sur l’opposition togolaise par Canal +, suivie de la mise à l’écart de deux responsables de la chaîne, avait conduit l’opposition à s’interroger sur les liens privilégiés entretenus par le régime avec l’homme d’affaires français.

En privé, un proche conseiller du chef de l’État tient néanmoins à rappeler que « l’État togolais n’a pas à se mêler des affaires judiciaires françaises », ajoutant que l’affaire Bolloré « n’en est encore qu’au stade des soupçons ».

Selon la même source, « le groupe Bolloré n’a en rien le monopole du port de Lomé puisqu’il y est en concurrence avec le groupe LCT [Lomé Container Terminal] », l’entreprise, issue d’un partenariat sino-européen, qui a construit et exploite le troisième quai du Port de la capitale.

Enfin, glisse notre interlocuteur, « les relations d’affaires entre le groupe Bolloré et l’État togolais ne ressemblent en rien à la lune de miel que décrivent les médias français, en raison de l’existence d’un certain nombre de désaccords ».

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