« En dépit de son déficit d’image, le Tchad est mûr pour les investissements étrangers », assure le ministre de l’Économie

L’accord que N’Djamena a conclu avec Glencore en février pour restructurer sa dette doit permettre à l’économie tchadienne de reprendre du souffle. Privatisations, restructuration et diversification : le ministre de l’Économie Issa Doubragne présente son plan d’action.

Issa Doubragne (Tchad), ministre de l’Économie et de la Planification du développement. À Paris, le 25 avril 2018. © Vincent Fournier/JA

Issa Doubragne (Tchad), ministre de l’Économie et de la Planification du développement. À Paris, le 25 avril 2018. © Vincent Fournier/JA

NELLY-FUALDES_2024 CRETOIS Jules

Publié le 30 avril 2018 Lecture : 5 minutes.

Issa Doubragne, 48 ans, a été nommé le 24 décembre 2017 ministre de l’Économie et de la Planification du développement du Tchad. À ce titre, il préside actuellement le Conseil des ministres de l’Union économique de l’Afrique centrale (UEAC) et gère le dossier du G5 Sahel.

Géographe de formation, il enseignait avant cela à l’université de Moundou et a fait une partie de sa carrière dans l’humanitaire, au sein de l’ONG Africare Tchad puis à la tête de l’Initiative humanitaire pour le développement local, qu’il a créée.

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Fin avril, de retour des réunions annuelles du FMI et de la Banque mondiale, il a fait escale à Paris où il a rencontré les journalistes de Jeune Afrique. Entretien.

Jeune Afrique : Vous revenez tout juste des États-Unis, qui viennent de lever l’interdiction d’entrée des Tchadiens sur leur territoire

Issa Doubragne : Ce n’est pas tout à fait exact : il n’y a jamais eu d’interdiction complète de l’entrée des Tchadiens sur le territoire américain. D’ailleurs, de nombreuses missions diplomatiques ont eu lieu pendant ces quelques mois. Les étudiants et les malades nécessitant des soins ont aussi pu obtenir des Visas. En réalité, la mesure n’a concerné que des Visas de tourisme refusés à des hommes d’affaires tchadiens. Mais pour nous, c’est du passé, nous regardons vers l’avenir.

Il n’y a pas de limite à ce qu’un investisseur vienne au Tchad

Le 21 février dernier, le Tchad a signé un accord avec Glencore pour restructurer sa dette. Qu’est-ce qui a changé depuis pour vous ?

Non seulement cet accord a permis de faire revenir le FMI [qui a approuvé, le 13 avril, un décaissement de 51 millions de dollars (41,3 millions d’euros)], mais aussi de faire venir de nouveaux partenaires. Je citerais notamment l’Agence multilatérale de garantie des investissements (Miga, du groupe Banque mondiale), qui pourra apporter sa garantie souveraine sur certains investissements. Tout cela va aider le secteur privé tchadien à être plus attractif, et créer une atmosphère plus incitative pour de potentiels partenaires qui hésitent encore à venir au Tchad.

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Visez-vous certains États ou certaines entreprises en particulier ?

Non, absolument pas : il n’y a pas de limite à ce qu’un investisseur vienne au Tchad, surtout dans les secteurs structurants que sont l’agriculture, l’élevage, les infrastructures ou l’énergie. Nous pâtissons actuellement d’un déficit d’image : le Tchad est réputé incertain, alors les investisseurs ne viennent pas. Pourtant, nous ne sommes plus en guerre, il n’y a aucune rébellion, pas de bombe ni d’enlèvement. Même la zone du lac Tchad est désormais sécurisée. Nous devons communiquer pour le faire savoir.

Il reste encore 4 milliards d’euros à trouver pour le G5 Sahel

Vous avez aussi abordé la question énergétique à Washington ?

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Nous avons aussi rencontré des représentants de la Société financière internationale (IFC, groupe Banque mondiale), qui nous aidera en effet à diversifier notre approche du secteur de l’énergie, nous tourner vers le renouvelable… Notre but : remonter le taux de couverture énergétique, aujourd’hui aux alentours de 8 %, alors qu’il est de 20 % environ dans de nombreux pays du continent.

Comment évolue le financement du G5 Sahel, dont vous êtes le ministre de tutelle ?

L’Union européenne s’est engagée à hauteur de 6 milliards d’euros dans le Programme d’investissement prioritaire (PIP). Deux sont déjà trouvés. Il reste encore quatre milliards à trouver.

Ce qui manque, ce sont des PPP pour développer les chaînes de valeur

Dans le cadre du Plan national de développement (PND) que vous pilotez, vous accordez une large place au développement de la filière élevage. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Avec 100 millions de têtes de bétail, le Tchad pourrait nourrir toute l’Afrique centrale. En réalité, de manière informelle, le Tchad exporte déjà beaucoup de têtes. Ce qui manque, ce sont des PPP pour développer la chaîne de valeur autour de cette filière, qui ne peut être seulement le fait du public. Nous devons faire pour ce secteur la même chose que ce que nous venons de faire avec le coton.

Justement, vous venez de privatiser partiellement CotonTchad, dont 60 % des parts ont été cédées à Olam. Quel était le but de cette transaction ?

Avec cette cession, très encadrée, Olam s’est engagé sur l’augmentation du revenu des paysans, sur des délais de paiement plus courts, mais aussi sur l’augmentation de la production et le développement de la chaîne de valeur. Enfin, nous aspirons à créer des emplois. Certains secteurs, l’humanitaire et le pétrole notamment, ont beaucoup fait appel à de la main-d’oeuvre étrangère. Nous voulons cette fois-là parier sur la formation locale.

L’État se prépare aussi à un audit de la dette interne…

Oui, le cabinet appelé à mener l’audit est d’ailleurs identifié : il s’agit de PricewaterhouseCoopers. L’audit commencera d’ici un mois et prendra environ 120 jours. Ce sera une vraie bouffée d’oxygène et un bon moyen de prendre un nouveau départ.

Le Tchad a connu récemment un vaste mouvement de grève des fonctionnaires, suite à la décision de l’État, fin janvier, de réduire leurs indemnités. Un accord a finalement été trouvé mi-mars. Mais une de ses clauses, le moratoire imposé aux banques sur les emprunts contractés par les fonctionnaires, n’est pas appliquée. Où en est ce dossier ?

Vous savez, ce débat ne m’intéresse pas beaucoup, c’est le ministre de la Fonction publique qui est le plus au fait de ce dossier. Les banques sont des opérateurs privés avec qui l’État est actuellement en discussion sur cette question. Je pense que ça va se faire. Ce qui est certain, c’est que les récentes annonces ont facilité le dialogue social : tout à chacun peut avoir plus d’espoir dans l’avenir.

Accord avec Glencore : le satisfecit du FMI

Report de l’échéance de la dette, réduction du taux d’intérêt et des frais de restructuration, possibilité d’accélérer ou de ralentir le paiement du service de la dette en fonction de la disponibilité des ressources pétrolières…

L’accord conclu avec Glencore, le 21 février dernier, a non seulement permis au FMI de procéder au décaissement des 51 millions de dollars correspondant à la deuxième tranche de l’accord signé en juin 2017 (pour un montant global de 312,1 millions de dollars sur trois ans), mais aussi de revoir à la hausse ses perspectives de croissance.

3,5 % de croissance en 2018

En effet, l’organisation financière internationale, qui a rendu publique le 27 avril son rapport pays sur le Tchad, comparant ses projections avec et sans l’accord avec Glencore. Le constat est sans appel : en 2018, la croissance devrait être de 3,5 %, alors qu’elle n’aurait été que de 2,4 % sans un rééchelonnement de cette facture de 1,488 milliard de dollars, conséquence de différents prêts contractés en 2013 et 2014.

Le service de cette dette, directement prélevé sur les exportations de pétrole opérées par Glencore, représentait 90 % du brut exporté en 2016 et 2017. Un taux qui serait passé à 95 % en 2018 et 2019 sans accord, selon le FMI.

Mitsuhiro Furusawa, président par intérim et directeur général adjoint de l’institution, a souligné dans un communiqué les « performances satisfaisantes du pays » et le « fort engagement » des autorités. « Tous les critères prévus pour fin juin et la plupart de ceux planifiés pour fin septembre ont été respectés, même s’il reste quelques arriérés de paiement extérieurs [pour lesquels le Tchad a obtenu une dérogation de l’institution financière internationale] », explique-t-il.

En outre, « la plupart des repères structurels pour les réformes à venir ont été posés », estime le directeur adjoint, qui juge cependant que les autorités « devraient accélérer la phase d’exécution ».

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