Que peut l’Occident contre le djihad ?

Publié le 1 août 2005 Lecture : 4 minutes.

Il nous faut, impérativement, affronter les problèmes que pose la prolifération du terrorisme « djihadiste ». Nous devons trouver les moyens d’isoler sa minorité agissante avant qu’elle ne pénètre davantage le courant principal du monde musulman.
Le plus important consiste d’abord à comprendre comment la grande vague démocratique qui a libéré l’Europe centrale et orientale, puis l’Amérique latine et qui a balayé l’Afrique subsaharienne durant les deux dernières décennies s’est perdue dans les sables du Moyen-Orient, laissant les Arabes livrés à la tyrannie. Une part de responsabilité non négligeable en revient aux États-Unis et à ses principaux alliés. Ceux-ci ont toujours soutenu les despotes locaux afin de garantir la stabilité régionale et la fourniture de pétrole à bon marché.
Ces tyrans ont réduit à néant toute possibilité d’expression politique, ne laissant à leurs opposants d’autre choix que le retour à la mosquée. Ce qui servait leurs objectifs en permettant un chantage à l’encontre de leurs « patrons » occidentaux : « Continuez à nous soutenir, ou vous aurez affaire aux mollahs. » Il n’y a probablement pas de plus grande source de colère dans le monde arabe que cette collusion entre tyrannie et répression – pas même le conflit israélo-palestinien. Celui-ci étant d’ailleurs manipulé par les dirigeants arabes pour servir d’alibi au maintien artificiel sur le pied de guerre de leurs appareils de sécurité. L’immense majorité des musulmans ne nous haïssent pas pour nos libertés. Ils n’ont que mépris, en revanche, pour cette politique, qui conduit les plus frustrés d’entre eux à écouter le chant des sirènes des djihadistes.
La confirmation de cette analyse est venue en septembre dernier du Defense Science Board (DSB), un comité de conseil fédéral du secrétariat à la Défense des États-Unis. Les sondages effectués par le DSB donnent le frisson. En Égypte et en Arabie saoudite, par exemple, les principaux alliés régionaux de Washington, on enregistre des taux de 98 % et 94 % d’opinions « défavorables » aux États-Unis et à leur politique. Mais, dans le même temps, le DSB a trouvé que des majorités plus ou moins conséquentes dans les pays arabes approuvent des valeurs comme la liberté et la démocratie, adoptent la science et l’éducation occidentales, tout en appréciant les produits et les films américains. « En d’autres termes, ils ne nous haïssent pas pour nos valeurs, mais pour notre politique », conclut le DSB, non sans montrer à quel point cette détestation politique commence à ternir l’attractivité des valeurs.
Du coup, nombre d’Arabes restent sceptiques quant aux intentions américaines. Beaucoup croient que c’est Oussama Ben Laden qui a brisé le statu quo et non George W. Bush. Pourquoi ? Parce que les attaques du 11 Septembre ont fini par empêcher l’Occident et ses despotiques clients arabes de continuer à ignorer la rage aveugle montant contre eux. La décision ultérieure d’envahir l’Irak a détruit un peu plus le statu quo, mais pas comme le voulait l’administration Bush.
Les élections de janvier en Irak sont une remarquable manifestation d’héroïsme populaire et a joué sur une corde sensible dans les pays arabes. Pourtant, quoique les triomphalistes de Washington y voient une justification de leur déplorable stratégie, le scrutin n’a eu lieu que sur l’insistance du grand ayatollah Ali al-Sistani, opposé à trois schémas conçus par les autorités d’occupation, et qui en avait obtenu le démantèlement. Dans le même temps, l’Irak plonge dans une guerre entre communautés qui risque de contaminer ses voisins : l’Iran chiite d’un côté et les dirigeants sunnites terrifiés par une prise de pouvoir de la majorité chiite en Irak de l’autre.
La politique des États-Unis et de ses alliés apparaît souvent contradictoire alors que la période exigerait au contraire une grande clarté. Voilà deux ans, George Bush a critiqué, légitimement, la « condescendance culturelle » qui suggère que les Arabes et les musulmans sont inaptes à la démocratie. Plus récemment, au Caire, la secrétaire d’État Condoleezza Rice a déclaré qu’après avoir défendu la stabilité aux dépens de la démocratie, durant soixante ans, sans obtenir ni l’une ni l’autre, les États-Unis avaient appris la leçon. Qu’en est-il réellement ?
La réponse à cette question est vitale, parce que les djihadistes ont besoin de l’histoire des soixante dernières années pour persévérer. Ils ont besoin que les États-Unis continuent de choyer les tyrans et s’obstinent à jouer le statu quo. Bien sûr, la démocratie ne résoudra pas à elle seule tous les problèmes du Moyen-Orient. Elle pourra même, le cas échéant, paraître contraire à l’éthique lorsqu’il s’agira d’assurer la stabilité à court terme. Notamment lorsque ce sont les mouvements islamistes qui émergent comme centre de gravité politique de la région. Mais si l’Occident persiste dans sa collusion avec les despotes locaux pour refuser la liberté à leurs peuples, nous perdrons cette guerre idéologique. Les djihadistes submergeront le courant principal du monde musulman et continueront leur politique d’attentats suicides. Et les valeurs que l’Islam partage avec l’Occident se faneront.

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