Que le meilleur gagne

Aucun port de la côte ouest-africaine ne peut accueillir les cargos modernes emportant 8 500 conteneurs. Un handicap que les autorités portuaires veulent combler en multipliant les investissements. Pour rester dans la course.

Publié le 1 août 2005 Lecture : 5 minutes.

Le trafic maritime mondial est aujourd’hui en forte croissance. Pour réaliser des économies d’échelle, les armateurs internationaux affrètent des bateaux toujours plus grands, qui exigent des tirants d’eau toujours plus importants. Ceux-ci ne peuvent donc plus faire escale dans tous les ports, mais desservent un nombre limité de plates-formes à partir desquelles les marchandises sont emportées vers les ports voisins via des navires nommés feeders. L’Afrique subsaharienne occupe encore une place marginale sur ce marché, mais les ports du continent tentent d’adapter leurs infrastructures aux nouvelles exigences du transport en conteneurs. Sur la côte ouest-africaine, aucun site ne peut accueillir les nouveaux cargos de 8 500 EVP (équivalent vingt pieds, désignant la taille normalisée du conteneur). Mais, qu’il s’agisse de Dakar, Abidjan ou Douala, tous n’en font pas moins le même rêve : en être capable à terme, pour redistribuer les marchandises des gros navires vers les petits grâce à une plate-forme logistique performante, bref, devenir le hub de la sous-région.
Dans cette perspective, tous ont privatisé une grande partie de la gestion de leurs activités et de leurs infrastructures. Le groupe français Bolloré se taille ici la part du lion. En 2004, ce dernier a obtenu, non sans polémiques, la concession pour quinze ans du terminal à conteneurs d’Abidjan et celle du terminal de Douala (en partenariat avec AP Moller). Négocié de gré à gré, sans appel d’offres, le contrat d’Abidjan dote le groupe français de la maîtrise de 70 % de la structure privée du port (manutention, consignation, gestion et exploitation des quais et des terminaux, portiques compris). Largement présent dans la manutention à Dakar et ailleurs, le groupe français met patiemment en oeuvre son concept de chaîne de transport, en s’assurant le contrôle des infrastructures de liaison vers l’hinterland. S’il est en négociation pour vendre sa branche maritime (voir J.A.I. n° 2320), il contrôle toujours la société de chemin de fer Sitarail, qui relie Abidjan au Burkina (concession jusqu’en 2030), et Camrail au Cameroun. Le chemin de fer Dakar-Bamako lui a toutefois échappé en 2003, au profit du consortium franco-canadien Canac-Getma.
Ne pouvant compter sur leur seul arrière-pays pour prospérer, Dakar, Abidjan et Douala affichent tous une vocation régionale. La crise ivoirienne, qui affaiblit le premier port de la sous-région, permet aux autres de reprendre espoir. Depuis le début des affrontements, en septembre 2002, le volume d’activité à Abidjan a chuté de 60 %, favorisant temporairement l’essor des ports de Tema (Ghana), Lomé (Togo) et Cotonou (Bénin), tous rapidement engorgés.
Le trafic marchandises à Abidjan a repris en 2004, avant de fléchir à nouveau après les violences de novembre dernier. Mais, pour le transit, les délais à rallonge, l’insécurité et les coûts liés aux nombreux barrages dressés par les différentes milices actives sur le territoire ivoirien découragent les opérateurs. Abidjan a vu son trafic de transit chuter de 1,5 million de tonnes (Mt) en 2001 à 201 000 tonnes en 2003, avant de revenir péniblement à 492 000 tonnes en 2004. C’est la part du Mali qui subit la perte la plus douloureuse. Sur les 915 000 tonnes de marchandises échangées en 2002, il n’en reste plus que 256 000 en 2004, à peine plus qu’avec le Burkina.
Et c’est Dakar qui récupère le marché, malgré sa congestion actuelle. Avec la finalisation de la route Dakar-Bamako et la privatisation du chemin de fer sur cet axe, Abidjan ne pourra plus compter très longtemps sur la légendaire mauvaise qualité des voies de communication entre le Sénégal et ses voisins. Le trafic avec le Mali transitant par le port de Dakar a donc augmenté de 28 % en 2004 par rapport à l’année précédente, pour atteindre le volume de total de 734 000 tonnes. Sa situation géographique est avantageuse, sur la pointe la plus avancée de la côte, avec une rade naturelle bien protégée. Deuxième port de la région, il dispose d’un wharf pétrolier, d’un port de pêche et d’ateliers de réparation navale. La capacité annuelle de son terminal à conteneurs reste toutefois largement inférieure à celle d’Abidjan.
Aussi les projets de modernisation se multiplient-ils. Douala, qui constitue le principal port d’accès en Afrique centrale, notamment pour le Tchad, la Centrafrique et le nord du Congo, a lancé sa réforme portuaire en 1998. Les délais de passage des marchandises ont été réduits : seize jours pour les importations, contre plus de vingt-cinq jours auparavant. Mais l’objectif de sept jours est encore bien loin. L’informatisation du guichet unique, qui tarde à se concrétiser, devrait remédier au problème. En 2003, des travaux ont également été lancés pour réhabiliter les ouvrages d’accostage et les terre-pleins. Financés en partie par les agences de coopération française et allemande, ils devraient se terminer fin 2006 et prolonger de vingt-cinq ans la durée de vie de ces infrastructures.
« Le port de Douala a encore une dizaine d’années d’exploitation devant lui », nuance un diplomate. Ses principaux concurrents, tels Pointe-Noire au Congo-Brazzaville, Matadi en RD Congo et Luanda en Angola, ne se sont pas encore remis des dernières guerres civiles, et ceux du Nigeria peinent à satisfaire les besoins locaux. Les axes routiers vers Yaoundé, le Nigeria et le Tchad au nord, la Centrafrique à l’est, le Gabon et la Guinée équatoriale au sud sont aujourd’hui bitumés.
Mais les volumes traités par Douala sont encore loin de ceux de Dakar et Abidjan, et les tarifs pratiqués plus élevés, malgré les bonnes cadences des opérations de transbordement. « Le problème, c’est que Douala peut difficilement s’étendre au-delà de 65 hectares à cause de ses réserves foncières limitées », poursuit le diplomate. Ensuite, le délabrement de la voirie de Douala handicape sérieusement la liaison entre le port et les deux zones industrielles de la commune, un souci qui devrait perdurer encore cinq bonnes années. Enfin, le long chenal qui conduit au port doit constamment être dragué pour empêcher l’ensablement. Parmi les solutions envisagées, celle du développement du port de Limbé, dont le tirant d’eau est près de deux fois plus élevé (12 m). L’implantation d’un chantier naval à Limbé, la présence d’une cimenterie, de la Société nationale de raffinage (Sonara) et d’une centrale électrique justifieraient la transformation de ce site en un complexe maritime, industriel et pétrolier.
Dakar, pour sa part, compte sur la construction d’un troisième poste à quai pour les conteneurs, pour devenir un port d’éclatement dans la région. Il a également un projet de terminal céréalier et de plate-forme de distribution s’étendant sur 20 hectares. Coût total des investissements : 30 milliards de F CFA. Sans compter la vétusté du chemin de fer, qui nécessite de la part de ses concessionnaires de lourds investissements.
Aujourd’hui, Abidjan garde donc la plus grande capacité d’accueil de la côte ouest-africaine, avec le plus grand terminal de conteneurs, plus de 5 kilomètres de quais, 380 000 m2 de terre-pleins, une zone industrielle de 800 hectares à Vridi (60 % des entreprises industrielles du trielles du pays) et un chantier naval. Son port fruitier a été rénové en 2003 et son port de pêche est aussi le premier port thonier d’Afrique.
Une fois la crise terminée, Abidjan devrait recouvrer son trafic perdu, mais la durée du conflit bouscule les certitudes. Les ports environnants n’ont eu ni le temps ni les moyens d’en tirer vraiment parti, mais ils ont tous engagé des investissements pour se moderniser. Il leur faudra cependant plusieurs années avant de pouvoir jouer d’égal à égal avec ceux de Côte d’Ivoire. Même si le port d’Abidjan, qui ne manque pas de place pour s’agrandir, est obligé de remettre à plus tard ses projets d’extension.

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