Privatisations à la Kadhafi

Voilà cinq ans qu’on en parle pour relever une économie tombée en ruine depuis l’instauration du pouvoir populaire en 1978. Mais quel investisseur se hasarderait à acquérir une usine dont les employés sont censés être les propriétaires ?

Publié le 1 août 2005 Lecture : 3 minutes.

La vente et la consommation d’alcool sont prohibées en Libye. Mais en cet été où le thermomètre flirte avec les 50 degrés, on peut tout de même boire une bière bien fraîche. Du moins une boisson qui ressemble à de la bière, qui a le goût de la bière, mais qui n’est pas de la bière, parce que sans alcool. On pourrait dire la même chose du programme libyen de privatisations qui entre dans une phase accélérée. Cela ressemble à de la privatisation, mais ce n’est pas vraiment de la privatisation.
Voilà cinq ans qu’on en parle pour redresser une économie tombée en ruine depuis 1978 lorsque les « Comités révolutionnaires » de Kadhafi ont dépossédé les propriétaires de leurs biens et entreprises et instauré la gestion collectiviste de l’ensemble de l’économie.
Dans les faits, ces intentions sont restées lettre morte, et il a fallu l’arrivée de Chokri Ghanem, un Premier ministre libéral nommé en 2003 afin de favoriser la normalisation des relations de la Libye avec le monde occidental, pour qu’une liste de 360 entreprises publiques à privatiser entre 2004 et 2008 soit établie. Le programme prend un bon départ avec la cession de 160 parmi les 241 petites unités, même si la vente est réservée en priorité aux travailleurs et aux organismes communaux.
Il aura encore fallu attendre l’été 2005 pour que soit publiée la liste d’une centaine de grandes entreprises publiques prêtes pour la privatisation. On y compte de grandes unités qui faisaient partie des industries appelées « stratégiques ». Il s’agit, entre autres, du complexe sidérurgique de Misrata, des sept cimenteries dont le processus de privatisation a commencé en 2004 pour l’une d’elles, du complexe pétrochimique d’Abou Kammach, du complexe de construction automobile de Tajoura, de la compagnie générale des pipelines et de la compagnie de montage d’équipements électroniques de Gar Younes. Par ailleurs, le capital d’au moins deux banques étatiques, Sahari Bank et Wehda Bank, devrait être partiellement cédé à des investisseurs étrangers.
Quand toutes ces privatisations auront-elles lieu ? Le processus se heurte à un écueil d’ordre idéologique et – ici plus qu’ailleurs – à un environnement économique des plus défavorables. Selon le principe « l’usine à ceux qui y travaillent » cher à Kadhafi depuis l’instauration du pouvoir populaire en 1978, ces entreprises publiques ou nationalisées appartiennent aux travailleurs. La législation libyenne a été adaptée en conséquence, faisant des employés des « associés et non des salariés ». Quel investisseur, libyen ou étranger, se hasarderait à acquérir une usine dont les travailleurs sont censés être les propriétaires ?
C’est ce casse-tête que Kadhafi s’est évertué à tenter de résoudre lors d’une rencontre organisée le 17 juillet avec les représentants des syndicats de producteurs. Ceux-ci étaient venus exprimer leur colère contre le programme de privatisation, sur lequel ils n’ont pas été consultés, et les risques de licenciements qu’il comporte. Réaffirmant le principe de la propriété socialiste, Kadhafi leur a répondu : « Avant de donner congé aux travailleurs d’une usine, il faudra créer une autre usine pour les faire travailler. Autrement, ils ne partiront pas. » Avant d’avancer une autre solution : « C’est à vous, associés et producteurs, d’acheter l’entreprise privatisable ! »
Ainsi, donc, les associés à la manière socialiste deviendront des associés à la manière capitaliste. Il y a un hic, toutefois : alors que le prix des grandes entreprises à céder se chiffre par centaines de millions d’euros, le salaire moyen en Libye ne dépasse pas 180 euros.
On a beau chercher, on voit mal la « logique » de Kadhafi, empêtré entre les contraintes idéologiques et celles découlant de l’économie de marché. Les hommes d’affaires libyens qui auraient aimé étendre au secteur productif leurs activités actuelles limitées au négoce ne savent plus sur quel pied danser. « On tourne tout simplement en rond », résume l’un d’eux.

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