Dans la Tunisie intérieure, rares sont ceux qui ont assez d’espoir pour voter
Etudiant issu d’une famille modeste, Karim, 20 ans, veut croire à la volonté de certains candidats aux municipales du 6 mai de « servir » sa ville de Kasserine. Mais dans la Tunisie intérieure délaissée, rares sont ceux qui partagent son optimisme.
« Je n’ai que 20 ans et je veux garder l’espoir, même si ce n’est pas sûr à 100% que l’avenir sera meilleur! », confie Karim à l’AFP, avant les premières élections municipales organisées depuis la révolution qui mit fin à des décennies de dictature en 2011.
Le soulèvement était né à Sidi Bouzid, une ville proche elle aussi marquée par la pauvreté. La Tunisie centrale où se trouvent Kasserine et Sidi Bouzid a été délaissée de longue date par le pouvoir central, plus intéressé par le développement de ses fiefs dans les zones côtières touristiques et de la capitale Tunis. Et peu de choses ont changé.
Dans le gouvernorat de Kasserine, où vit Karim, plus d’un travailleur sur quatre est au chômage, contre 15% au niveau national, un foyer sur trois n’a pas accès à l’eau potable et le taux d’analphabétisme atteint 32%, contre 12% à Tunis, selon le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES).
Karim, qui travaille la nuit comme chauffeur de camions pour payer ses études, compte sur « la bonne volonté de certains candidats aux municipales » pour changer les choses.
Mais, autour de lui, sur un marché de la cité Ennour, l’un des quartiers les plus pauvres de Kasserine, les gens sont moqueurs.
« Tu rêves! »
« Tu rêves mon petit! Ces candidats, même originaires de Kasserine, ne serviront que leurs intérêts. Ils vont remplir leurs poches puis partir! », s’emporte Sami Khadraoui, un chômeur de 31 ans.
« La première chose que les futurs élus vont faire est de faire des aménagements juste devant chez eux! », raille un autre voisin.
Paradoxalement, dans cette cité qui a été parmi les premières à se soulever fin 2010, certains disent même « regretter » le départ du dictateur Zine el Abidine Ben Ali.
Sept ans après la révolution, peu de choses ont changé dans cette ville de 90.000 habitants qui vit principalement du commerce informel et d’agriculture.
En dépit d’aides au développement, les projets peinent à se concrétiser face à la corruption et au manque d’infrastructures, preuve que la Tunisie de l’intérieur n’est toujours pas une priorité pour les élites politiques majoritairement issues de la côte.
À Kasserine, malgré sept ans de transition démocratique, les mêmes rues poussiéreuses dépourvues d’asphalte desservent des quartiers surpeuplées au développement anarchique, où des poubelles s’entassent dans certains coins.
Les massifs montagneux environnants demeurent l’un des principaux repaires de groupes extrémistes armés, qui recrutent parmi une jeunesse désœuvrée. Nombre de jeunes de la région ont aussi tenté de traverser la Méditerranée clandestinement vers l’Europe.
« L’espoir s’est éteint »
En 2016, le plus important mouvement de contestation sociale depuis la chute de Ben Ali avait éclaté à Kasserine et la ville a connu de nouvelles manifestations début janvier pour protester contre des mesures inflationnistes du gouvernement.
« L’espoir s’est éteint chez la majorité des gens », explique Jamel Ben Mohamed, 61 ans, juriste de formation devenu vendeur de légumes depuis plus de 25 ans à défaut d’autre emploi.
« Envahis par un fort pessimisme, ils ont perdu toute confiance envers les politiciens et ne sont intéressés ni par les municipales, ni par les législatives ou la présidentielle » de 2019, poursuit-il.
« Ces élections municipales ne vont rien changer pour nous. Nous serons toujours sur la même charrette sans roues ni cheval », lance Hlima, femme au foyer de 34 ans.
« Incompréhension »
Si sept listes ont réussi à se constituer pour la ville de Kasserine, la campagne électorale n’a pas passionné.
Dans le gouvernorat, environ 224.000 des 439.000 habitants sont inscrits pour élire les 19 conseils municipaux, indique Zouhair Gharsalli, président du bureau régional de l’Instance chargée des élections (Isie).
Reconnaissant un début de campagne « faible et froid », il déplore « une incompréhension du travail municipal ».
Mais il reste difficile de se faire une idée de ce que pourront réellement faire les municipalités.
Sous Ben Ali, elles n’avaient que très peu d’autonomie. Après la révolution, les « délégations spéciales » désignées pour gérer les villes ont souvent été défaillantes et la loi définissant leurs nouvelles prérogatives n’a été adoptée que dix jours avant le scrutin.
Imed Khadraoui, 30 ans, ira voter malgré tout. « Non pas parce que j’ai de l’espoir que notre situation s’améliore, mais pour montrer que nous existons malgré tout ce que nous subissons! »
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