Nino le caméléon

Publié le 1 août 2005 Lecture : 3 minutes.

« Nino » a-t-il changé ? C’est la question que se posent beaucoup de Bissauguinéens depuis le second tour de la présidentielle du 24 juillet. En effet, sauf retournement de dernière minute, João Bernardo Vieira, dit « Nino » « le petit », est en passe de revenir au pouvoir. Selon les résultats provisoires, il a remporté 55,25 % des voix. Il faudrait une énorme surprise dans le recomptage pour que son adversaire, Malam Bacai Sanha, le coiffe au poteau.
Lors de sa campagne, Nino Vieira a presque réussi à faire oublier la brutalité avec laquelle il a gouverné de 1980 à 1999. « Je demande pardon, mais, moi, j’ai déjà pardonné », déclarait-il à son retour d’exil le 7 avril dernier. Il pouvait difficilement faire moins après les multiples tortures et exécutions sommaires que ses hommes de main ont commises sous son règne de fer. Vêtu de l’habit du pénitent, l’ancien révolutionnaire a su également jouer sur le désir de paix de ses compatriotes. « Je souhaite que les erreurs du passé servent à garantir la stabilité », a-t-il lancé. Il est vrai que, depuis sa chute, le pays a battu tous les records de putschs. De son temps, le régime était stable.

Ce que Nino Vieira ne dit pas, c’est qu’il a bénéficié d’un formidable soutien dans la sous-région. À Conakry, le président Lansana Conté n’a pas hésité à lui prêter un hélicoptère militaire pour l’aider à rentrer à Bissau. À Dakar, quelques hommes d’affaires proches du pouvoir sénégalais ont mis la main à la poche. Le candidat Nino n’a manqué de rien. Avec un parc de plus de trente véhicules – dont une dizaine de 4×4 immatriculés au Sénégal -, l’ancien guérillero marxiste a fait une campagne à gros budget. Environ 5 millions d’euros. Trois fois plus que ses adversaires directs.
Maintenant, Nino Vieira doit montrer s’il a retenu les leçons du passé et s’il est capable de négocier avec ses adversaires. Premier interlocuteur obligé, Kumba Yala. Avec 25 % des voix, l’ancien président a fait un score honorable au premier tour. Dans un premier temps, il a essayé de se hisser au second tour par tous les moyens. Puis, sous la pression « amicale » du Sénégal et de la sous-région, il s’est ravisé et a choisi de soutenir Nino Vieira. Aujourd’hui, il peut faire remarquer à ce dernier que son apport de voix a été décisif. Et négocier au prix fort des places dans le futur gouvernement.
Mais Nino Vieira ne disposera pas si facilement des ministères. Il doit composer avec le Premier ministre Carlos Gomes. Cet allié de Malam Bacai Sanha est soutenu par l’Assemblée nationale issue des législatives de mars 2004. Soit Nino dissout, soit il cohabite… en attendant un congrès extraordinaire du PAIGC (Parti africain pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert), où il essaiera de chasser les partisans de Bacai Sanha et de reprendre la main, six ans après son exclusion de l’ancien parti unique.

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Autre interlocuteur difficile, l’armée. Le chef d’état-major, le général Tagmé Na Wai, ne porte pas Nino Vieira dans son coeur. En 1985, il a été arrêté par sa police pour complot présumé. Torturé, il a été enfermé pendant dix ans dans un bagne de l’archipel des Bijagos. En 1999, il a pleuré de rage en apprenant que le président déchu avait réussi à s’enfuir et à échapper à son bras vengeur. Leurs relations risquent fort d’être orageuses. Certes, en mars dernier, les deux hommes se sont rencontrés discrètement chez Lansana Conté pour vider l’abcès et faciliter le retour de Nino l’exilé. Mais si Malam Bacai Sanha refuse de reconnaître la victoire de son adversaire, et si des troubles éclatent, l’armée sera tentée, une nouvelle fois, de jouer les arbitres.
Nino Vieira n’est pas aussi simple et austère qu’il en a l’air. En 1990, c’est le même homme qui affirmait : « Je suis le seul chef d’État au monde à gagner moins de 100 dollars par mois », et qui faisait bloquer la route entre l’aéroport et le centre-ville de Bissau tous les dimanches matin pour essayer sa Ferrari. Pour beaucoup de ses compatriotes, c’est un caméléon. Après le maquisard et l’autocrate, va-t-il se glisser dans les habits du démocrate ?

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