Le message de Zawahiri
Échec des services de sécurité, vraies-fausses pistes et cafouillages dans la communication… Malgré tout, les attentats de Charm el-Cheikh renforcent la position de Moubarak à l’approche de l’élection présidentielle égyptienne.
Les six attentats terroristes simultanés qui ont ensanglanté la station balnéaire de Charm el-Cheikh, au sud du Sinaï, à l’aube du 23 juillet, faisant près de 90 morts, continuent de susciter des interrogations. D’abord pour leur timing : quelques heures avant la célébration officielle du 53e anniversaire de la Révolution des officiers libres, qui a marqué la chute de la monarchie et la naissance de la République égyptienne. Le président Hosni Moubarak, 77 ans, au pouvoir depuis 1981, s’apprêtait à annoncer à cette occasion sa candidature pour un cinquième mandat de six ans à l’élection du 7 septembre prochain. Le raïs a donc dû annuler les cérémonies prévues et improviser une intervention télévisée pour réitérer sa détermination à lutter contre le terrorisme.
Survenus neuf mois après le triple attentat perpétré dans le Sinaï contre l’hôtel Hilton de Taba et deux camps de vacances à Noueiba (34 morts), trois mois après l’attentat-suicide dans le bazar de Khan al-Khalili, au centre du Caire (2 morts), ces attaques mettent à mal la théorie selon laquelle l’Égypte a réussi à démanteler les groupes terroristes.
Avant l’attaque de Taba, le 7 octobre dernier, le dernier attentat dans le pays remontait à novembre 1997. Mais si le Djihad islamique et la Gamaa islamiya ont, entretemps, déposé les armes, rien n’indique que le pays des pharaons a éradiqué le phénomène de la violence islamiste. Au contraire : les derniers attentats démontrent que d’anciens membres de ces groupes ou de jeunes apprentis terroristes liés à des réseaux internationaux ont pu constituer de nouvelles cellules au Caire ou au Sinaï. Cette menace terroriste est d’autant plus inquiétante que les services de sécurité égyptiens ont été incapables de prévenir les récentes attaques, survenues dans des zones considérées comme très sensibles, donc théoriquement bien surveillées.
Pour avoir essayé de faire accréditer une vraie-fausse « piste pakistanaise » derrière les attentats, les autorités égyptiennes ont aggravé leur cas, donnant l’impression de vouloir fuir leurs responsabilités et surtout masquer leur échec. Les coupables sont donc des Égyptiens, vivant au Sinaï et disposant, dans cette région difficile d’accès, de complicités au sein la population bédouine. Youssef Mohamed Badrane Hanafi, le kamikaze qui s’est fait exploser à bord de sa voiture à l’entrée de l’hôtel Ghazala de Naâma Bay, serait même connu des services de police pour ses accointances avec des extrémistes islamistes.
Après avoir arrêté et interrogé plusieurs dizaines de personnes en quelques jours, la police égyptienne annonce avoir découvert l’identité de trois complices de ce dernier. Et la liste est loin d’être close.
Les attentats de Charm el-Cheikh ont été revendiqués, sur Internet, par trois groupes : les Brigades Abdullah al-Azzam de l’Organisation al-Qaïda au pays du Levant et en Égypte, les Moudjahidine d’Égypte et le Groupe Tawhid et Djihad en Égypte. Ce dernier, qui semble le plus crédible, avait déjà revendiqué les attentats de Taba. Dans son communiqué, il a affirmé avoir mené les deux séries d’attaques « par obéissance aux leaders de la guerre sainte d’al-Qaïda, cheikh Oussama Ben Laden et cheikh Ayman al-Zawahiri ».
La référence, ici, aux deux chefs d’al-Qaïda, et notamment à l’ancien chef du Djihad islamique, l’Égyptien Ayman al-Zawahiri, doit être prise au sérieux. Ce dernier, hors d’Égypte depuis 1986 et qui se cache actuellement dans la zone tribale située à la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan, a toujours désigné son pays comme l’une des cibles majeures du « djihad intérieur ».
Dans ses nombreux messages audio et vidéo diffusés par les chaînes satellitaires Al-Jazira et Al-Arabiya, au cours des deux dernières années, l’ancien médecin converti à l’islamisme radical n’a pas cessé de fustiger les dirigeants arabes et musulmans, notamment ceux d’Arabie saoudite et d’Égypte, « apostats, qui fournissent aux forces américaines des bases et des aides pour tuer les musulmans », et d’exhorter les soldats du Djihad à les prendre pour cibles.
Dans son dernier message, une cassette vidéo diffusée par Al-Jazira, le 17 juin, le numéro deux d’al-Qaïda – et son idéologue attitré – a stigmatisé « l’initiative de Grand Moyen-Orient » et le projet de démocratisation de la région préconisé par le président George Bush. Les manifestations de rue ne permettent pas d’induire des changements véritables, a-t-il dit. Et d’appeler ensuite les peuples arabes et musulmans à de « vraies réformes ». Celles-ci doivent commencer, selon lui, par « le remplacement des dirigeants », notamment ceux d’Arabie saoudite, du Pakistan et… d’Égypte, qualifiés de « marionnettes » des États-Unis.
Les éléments qui ont perpétré les attentats de Charm el-Cheikh n’ont peut-être pas de contacts, même indirects, avec le chef terroriste égyptien. Mais ils n’ont pas moins cherché à traduire ses paroles en actes. Croyaient-ils ainsi porter un coup au président Moubarak, à la veille d’une élection présidentielle qui s’annonce plus indécise que d’habitude ? En réalité, ils ont apporté de l’eau au moulin du raïs, en lui fournissant l’occasion d’appeler à l’unité sacrée face au terrorisme. Et de se porter garant de cette unité face à une opposition qui aura de mal, désormais, à investir de nouveau les rues.
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