Le dossier Seck

Le pouvoir semble avoir du mal à étayer les accusations portées contre l’ex-Premier ministre. Ce qui constitue son meilleur argument de défense et tient le pays en haleine. Enquête.

Publié le 1 août 2005 Lecture : 6 minutes.

C’est le dossier d’instruction le plus sensible, le plus brûlant et le plus protégé du Sénégal. La vingtaine de feuillets dactylographiés, rangés dans une chemise de couleur rose jalousement gardée dans le cabinet de la doyenne des juges d’instruction, Seynabou Ndiaye Diakhaté, réunit les premiers éléments sur la base desquels l’ex-Premier ministre Idrissa Seck devra être jugé. La consultation de ce dossier est strictement circonscrite aux protagonistes de l’affaire. Qui ne peuvent le parcourir que sur place. Il existe en effet en un exemplaire unique. Même les avocats de la défense n’en ont pas reçu copie. Depuis le 25 juillet, où ils ont commencé à y avoir accès, ils se contentent de le lire et de prendre note, sous l’oeil vigilant de gendarmes.
À en croire une source proche de l’enquête, le dossier comprend des procès-verbaux d’audition de Seck, de l’homme d’affaires libano-sénégalais Hassan Farez, ainsi que de sa femme et de sa secrétaire, mais aussi du journaliste et écrivain Elhadji Ndary Guéye, tous cinq détenus depuis le 23 juillet à la prison de Reubeuss, à Dakar. Il contient également le mandat de dépôt (en vertu duquel les prévenus ont été privés de liberté), et les résumés des perquisitions effectuées le 16 juillet dans les propriétés de l’ex-Premier ministre et de certains de ses proches.
On trouve enfin dans le dossier le réquisitoire introductif du procureur auprès du tribunal hors classe de Dakar, Lansana Diabé, un document d’une page et demie qui inculpe Seck d’atteinte à la sûreté de l’État et à la défense nationale sur la base des articles 61, 72 et 80 du Code pénal et requiert son placement sous mandat de dépôt. Signe de la précipitation dans la préparation de la poursuite engagée contre l’ex-Premier ministre, ce document a été tardivement versé dans le dossier. Alors que les avocats de la défense demandaient à le consulter en même temps que les autres pièces, le 25 juillet, on leur a répondu qu’il était encore… à la frappe.
Un élément essentiel du dossier d’instruction a mystérieusement disparu. La note confidentielle du procureur de la République, remise le 15 juillet à la Division des investigations criminelles (DIC), et sur la base de laquelle Seck a été convoqué, entendu et gardé à vue pendant huit jours, est introuvable. A-t-elle été soustraite ? Par qui ? Le 25 juillet, les avocats de la défense ont notifié l’absence de cette pièce au juge d’instruction, et exigé sa restitution sans délai. Pourquoi ce branle-bas de combat sur un acte de procédure a priori banal ? « La note confidentielle extraite du dossier est fondamentale, indique un avocat, partie prenante de ce procès. Sa disparition n’a rien de fortuit. Le procureur a demandé à la DIC, dans cette note, d’entendre l’ex-Premier ministre sur les malversations supposées autour des chantiers de Thiès. Ce qui pose deux problèmes. D’abord, la DIC n’est pas compétente pour entendre un ex-Premier ministre sur des actes supposés commis dans l’exercice de ses fonctions. Ensuite, on ne peut pas instruire une affaire d’atteinte à la sûreté de l’État sur la base d’une instruction du parquet qui vise des malversations financières. La note confidentielle a disparu parce qu’elle constitue un vice de forme qui annule toute la procédure. Nous userons de tous les moyens légaux pour la retrouver. »
Très peu épais, le dossier portant l’inscription « Ministère public contre Idrissa Seck/Objet : atteinte à la sûreté de l’État et à la défense nationale » ne comprend aucun élément qui établisse un fait précis, daté, circonstancié. À la différence des affaires de ce type, dans l’instruction desquelles des pièces dévoilent des rencontres, des transactions, des achats d’armes, des réunions, des lieux, des noms de comploteurs…
Tout au plus trouve-t-on, dans la présente affaire, les procès-verbaux de longs interrogatoires de Seck. De simples paroles qui ne manquent toutefois pas de piquant, comme en témoigne cette repartie de l’inculpé au patron de la DIC, Assane Ndoye, lorsqu’il l’interroge sur l’état de sa fortune : « Je n’ai aucune obligation de faire le moindre commentaire sur ce que je possède. Je ferai une déclaration sur mon patrimoine le jour où je serai candidat à la présidence de la République. » Ambiance. « Détenez-vous, à votre domicile, comme certaines informations semblent le révéler, des équipements sophistiqués et de l’argent d’origine frauduleuse ? » poursuit le commissaire Ndoye. Réponse : « Je ne suis ni un espion, ni un mercenaire, ni un terroriste pour détenir du matériel capable d’engendrer la peur. En ce qui concerne l’argent, je dispose chez moi d’une somme de 1,5 million de F CFA. Je prends soin, chaque fois que je me rends à la banque, de noter les numéros des billets qu’on me remet. Si on place chez moi des sommes importantes pour m’éclabousser, j’ai les moyens de prouver que je ne les ai jamais détenues. »
Les procès-verbaux d’audition sont une compilation d’accusations, suivies de dénégations. Contrairement à un bruit qui a couru dans les sphères du pouvoir, l’homme d’affaires proche de l’ex-Premier ministre, Hassan Farez, n’a pas « parlé ».
Les perquisitions n’ont rien donné, à l’exception d’un manuscrit trouvé sur l’écrivain et journaliste Elhadji Ndary Guéye, interpellé alors qu’il s’apprêtait à quitter le pays, le 24 juillet. Intitulé Le Magicien, le livre en gestation est un portrait au vitriol du chef de l’État sénégalais, Abdoulaye Wade. Est-il délictuel, même si on estime que son auteur écrivait au nom et pour le compte d’Idrissa Seck ? Rien n’est moins sûr.
Concoctée à la va-vite, devant la difficulté de mettre en place la Haute Cour de justice pour statuer sur les chantiers de Thiès, l’accusation d’atteinte à la sûreté de l’État et à la défense nationale n’est, de l’avis de tous ceux qui ont eu connaissance du dossier, pas étayée. À moins que d’autres éléments ne viennent alourdir le dossier.
Les protagonistes de l’affaire semblent l’avoir compris, qui prouvent tous les jours par leurs actes que la véritable bataille se passe sur le terrain politique et non judiciaire. Chacune des forces en présence cherche à porter des coups à l’image de son adversaire, à la ternir aux yeux de l’opinion publique. Le chef du gouvernement, Macky Sall, s’est ainsi livré, le 26 juillet, à une descente en flammes de son prédécesseur, en faisant une communication publique sur les seuls aspects du rapport de l’Inspection générale d’État – relatif à la gestion des chantiers de Thiès – qui épinglent Idrissa Seck. Après un premier CD de « révélations » sur le chef de l’État et certains membres de sa famille, diffusé le 22 juillet par les radios privées, l’ex-Premier ministre compte continuer à user de l’arme du déballage. « Alors que je suis en prison, donc dans l’impossibilité de répondre, on lit publiquement un rapport qui m’incrimine en sautant les réponses aux questions qui m’ont été posées, a-t-il confié à l’un de ses avocats. Comment pourrais-je me taire ? Peut-on, dans ces conditions, fustiger la diffusion de mes CD, ou plutôt de mes bombes à fragmentation graduelle ? devrais-je dire. »
C’est également sur le terrain politique, sous l’arbitrage de la représentation nationale, que se déroulera une autre grande bataille autour du vote de la résolution qui doit envoyer Idrissa Seck devant la Haute Cour de justice.
Saisie par le ministre de la Justice, Cheikh Tidiane Sy, le 26 juillet, l’Assemblée nationale a prévu de se réunir en séance plénière le 2 août, pour plancher sur la mise en accusation de l’ex-Premier ministre.
Mais la bagarre s’annonce rude. Devant être adopté par un vote à bulletins secrets de 104 des 120 députés (les 16 restants, juges titulaires et suppléants de la HCJ, ne sont pas électeurs), l’acte d’accusation court des risques sérieux d’être rejeté.
Après avoir commis l’erreur de se priver des suffrages de ses membres dont elle a fait des juges, la majorité aura du mal à obtenir les voix des trois cinquièmes de l’Hémicycle, face au vote négatif annoncé de la trentaine de députés de l’opposition, et de la vingtaine de « frondeurs » affichés et dormants du parti au pouvoir.
Si la mise en accusation arrive à être votée à la faveur d’un compromis politique, la commission qui instruira le dossier des chantiers de Thiès sera dirigée par le président de la cour d’appel, Cheikh Tidiane Diakhaté, époux dans la vie civile de Seynabou Ndiaye Diakhaté.
Sur le chef des chantiers de Thiès comme sur celui de l’atteinte à la sûreté de l’État, le sort de Seck n’échappe pas aux mains d’un couple réputé dans le monde judiciaire sénégalais.

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