C’est grave, docteur ?

C’est en Afrique que le taux de couverture médicale est le plus bas. Cela n’empêche pas de très nombreux médecins de choisir l’exil !

Publié le 1 août 2005 Lecture : 5 minutes.

O originaire de Popenguine, au Sénégal, Élimane (35 ans) est médecin urgentiste dans un hôpital de la banlieue parisienne. Contrairement à ses collègues, il n’a pas fait ses études dans la région, mais à Dakar, où il s’est également spécialisé en pneumologie. Pour quelles raisons a-t-il abandonné sa patrie ensoleillée pour la grisaille parisienne ? C’est d’autant plus curieux qu’il est, en France, confronté à l’impossibilité administrative d’exercer sa spécialité.
« Il y a peu de postes à pourvoir dans mon pays, explique-t-il. J’avais donc toutes les chances de finir dans un hôpital manquant de tout, avec un bistouri et un rouleau de sparadrap pour tout matériel. Or je n’ai pas fait toutes ces années d’études pour végéter de cette façon ! Ici, c’est dur, bien sûr, mais le salaire est incomparablement plus élevé. Et j’ai des perspectives d’évolution de carrière. »
Ce n’est pas un cas isolé. L’Afrique, presque dans son ensemble, se vide peu à peu de ses compétences. Deux rapports de la Banque mondiale (voir J.A.I. n° 2310) publiés au mois d’avril dressent du phénomène un diagnostic alarmant. Depuis dix ans, par exemple, sur les 489 diplômés de la faculté de médecine d’Accra, 298 (soit plus de 60 %) sont partis à l’étranger. Du coup, le Ghana a dû faire appel à 200 médecins cubains.
L’Organisation internationale des migrations (OIM) s’est pour sa part attachée aux cas de la Zambie et de l’Angola, dont l’histoire contemporaine est très différente mais qui souffrent l’un et l’autre de la fuite de leurs diplômés. La dégradation du niveau socio-économique est tel que, sur les 600 médecins zambiens formés depuis 1964, seuls 50 travaillent encore au pays. Quant à l’Angola, il est clair que vingt-cinq ans de guerre civile ont dramatiquement contribué à l’exil des élites.
Rapporteur, en 2001, d’une étude (« De l’exode à la mobilisation des compétences dans le cadre d’un véritable codéveloppement ») destinée au Conseil économique et social, Mireille Raunet, ancien membre de l’Assemblée des Français de l’étranger, estime que, d’une façon générale, « le chômage est la première raison du départ, suivie de près par la recherche d’un meilleur niveau de vie, le désir d’assurer une formation et un avenir aux enfants et, éventuellement, le souhait de revenir au pays nanti d’une expérience et de qualifications supérieures ». Elle tente aussi d’attirer l’attention des pouvoirs publics français sur l’effet « cascade » induit par ce phénomène : « Les Africains viennent combler les vides laissés par les chercheurs français et, plus largement, européens, partis vers l’Amérique du Nord. »
Depuis quelques années, l’Europe souffre d’une pénurie de médecins hospitaliers suffisamment grave pour qu’elle accueille désormais à bras ouverts des praticiens diplômés venus d’ailleurs. Ce qui permet de faire des économies à la fois sur la formation et sur les salaires. Selon l’Association des médecins français à diplôme extracommunautaire (AMFDEC), trois mille médecins exercent actuellement dans les hôpitaux en situation précaire. Ils y occupent des postes dont les nationaux ne veulent pas, c’est-à-dire souvent sans rapport direct avec leur spécialité.
Sous-payés, ces derniers sont contraints de multiplier les gardes et les remplacements pour « joindre les deux bouts » et acquérir l’expérience qui leur permettra de se présenter à l’examen de reconnaissance de leur diplôme. Instauré par la loi du 27 juillet 1999, celui-ci aurait dû permettre de régler en partie le problème du recrutement. Hélas ! seuls 200 postes sont proposés chaque année à plus de 2 000 candidats. Et les épreuves de contrôle ne correspondent pas toujours à la réalité de la pratique quotidienne. Le taux d’échec est donc important. Paradoxalement, alors que leur niveau de vie est sensiblement inférieur à celui de leurs confrères français, rares sont ceux qui décident de rentrer chez eux.
Avec 5 % de ses praticiens formés à l’étranger, la France n’est pas le pays le plus mal loti. Une étude de l’Association des médecins britanniques (BMA) fait état de chiffres alarmants. Apparemment, le système de santé du royaume serait totalement paralysé s’il ne recrutait plus à l’étranger. D’après la BMA, les deux tiers des médecins et 40 % des infirmières arrivés sur le marché du travail en 2004 ont été formés hors du pays, en Afrique notamment. L’Afrique du Sud est la principale pourvoyeuse de personnel médical qualifié avec 5 880 permis de travail délivrés en 2003, auxquels il faut ajouter 2 825 ressortissants du Zimbabwe, 1 510 du Nigeria et 850 du Ghana.
Une véritable saignée. Susan Sikaneta, responsable du Bureau régional pour l’Afrique australe de l’Union africaine, estime qu’il faut désormais légiférer pour mettre un frein à cette « fuite des cerveaux ». Pas question pour autant de refuser un visa aux professionnels de la santé, « ce qui serait considéré, à juste raison, comme une mesure discriminatoire et une atteinte aux libertés individuelles », explique-t-on à la BMA.
Ce problème du recrutement à l’étranger concerne davantage le secteur privé, qui agit naturellement à sa guise, que le public. Contrairement à la France ou à l’Allemagne, il n’existe pas en Grande-Bretagne de code de déontologie médicale susceptible de freiner les envies de recrutement des cliniques et des cabinets médicaux.
Dans le cadre de l’aide au développement, le gouvernement britannique va investir d’ici à 2015 dans la formation d’un million de travailleurs médicaux africains. Reste à veiller à ce que soit le continent qui en récolte les fruits. En accord avec les puissants syndicats professionnels, les dirigeants sud-africains se sont entendus avec leurs collègues britanniques sur un mémorandum destiné à prévenir « le pillage des ressources médicales ». Des possibilités de formation spécifiques sont mises en place pour le personnel africain. Une fois formés, on les encourage à repartir dans leur pays et à mettre leurs compétences au service de leurs compatriotes.
Dans le même temps, donateurs et gouvernements doivent s’assurer qu’ils disposent de suffisamment d’argent pour prévenir le manque d’équipements dans les hôpitaux et les cliniques. Les prix des antirétroviraux et des médicaments antipaludéens peuvent baiser dans des proportions importantes, le bénéfice de l’opération sera largement compromis s’il n’y a pas assez de médecins bien formés pour les prescrire aux malades.
Compléter les salaires des agents de santé pour les retenir dans leur pays d’origine n’entre pas, pour l’instant, dans les objectifs des ONG et des institutions d’aide internationales. Peut-être est-il temps d’y songer.

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