Vacances au bled

Chaque année, en juillet et en août, un million d’émigrés rentrent au pays pour les congés. Et partent presque aussitôt à l’assaut des plages.

Publié le 31 juillet 2006 Lecture : 4 minutes.

Stabilité politique, nette diminution de la violence islamiste, amélioration des conditions d’accueil Jamais les Algériens de l’étranger (plus d’un million de personnes, sans compter les binationaux) n’ont eu autant de raisons de rentrer au pays pour les vacances. Et ils ne s’en privent pas. Très majoritairement établis en France, les membres de la diaspora se heurtent pourtant à d’énormes difficultés pour trouver une place dans les dizaines d’appareils longs-courriers qui assurent les liaisons avec les huit aéroports internationaux que compte l’Algérie.
Plus d’un demi-million de passagers ont été recensés par les compagnies aériennes desservant les grandes villes algériennes à partir de Paris, Lyon, Marseille, Lille ou Nice. Air Algérie, la compagnie nationale, se taille la part du lion sur ce marché, mais deux autres compagnies, Air France et Aigle Azur, font également le plein de voyageurs. Et comme c’est encore insuffisant, les tour-opérateurs sont contraints d’affréter des vols charters.
Les vacanciers qui choisissent la capitale sont, à leur arrivée, surpris par la qualité des prestations fournies par le nouvel aéroport international. Agréable et fonctionnel avec ses deux terminaux et ses six passerelles, il permet une plus grande fluidité et diminue sensiblement le temps de traitement et d’acheminement des bagages. Les « Algériens du Nord » n’en sont pas peu fiers. « C’est aussi bien que la plate-forme de Francfort », s’émerveille l’un d’eux, qui n’avait pas remis les pieds en Algérie depuis quinze ans. Il n’en a pas fini avec les surprises.
Sortant de l’aéroport, il découvre, éberlué, un entrelacs d’échangeurs et de bretelles d’autoroute. Les tours et les centres commerciaux ont poussé comme des champignons. « Je ne reconnais plus grand-chose », dit-il. Les nostalgiques s’interrogent : les casbahs d’Alger et de Constantine, les médinas d’Oran et d’Annaba n’ont-elles pas été sacrifiées sur l’autel du développement tous azimuts ? Ils sont vite rassurés. L’« authenticité » est loin d’avoir disparu, avec son cortège de mauvaises odeurs et de bâtisses menaçant de s’effondrer au premier coup de vent À Alger, l’occupation de l’espace est toujours aussi irrationnelle.
Les dessertes aériennes ne suffisant pas à satisfaire la demande, le transport maritime est appelé à la rescousse. Chaque jour, près de 2 000 passagers et 800 véhicules débarquent dans le port d’Alger, venant de Marseille, Barcelone ou Alicante. La frontière terrestre avec le Maroc étant fermée depuis 1994, les « vacanciers du bled » qui ont choisi de venir avec leur véhicule sont contraints de passer par la mer. Les ports d’Oran et de Ghazaouet, dans l’Ouest, sont quotidiennement desservis par des ferries venant d’Espagne, afin de diminuer la pression sur le port de Marseille. Deux sociétés algériennes, la Compagnie nationale de navigation (Cnan) et l’Entreprise nationale maritime de transport des voyageurs (ENMTV), et une française, la SNCM, se partagent ce juteux marché. Les deux premières ont fait l’acquisition de nouveaux ferries qui permettent une traversée plus rapide (vingt heures au lieu de vingt-quatre) et plus confortable.
S’il n’a pas réservé plusieurs semaines à l’avance, le voyageur n’a aucune chance de trouver une place en cabine. Dans ce cas, il fera la traversée sur le pont, dans un fauteuil. Pour gagner du temps, les formalités administratives sont accomplies à bord. Les douaniers délivrent aux automobilistes une carte grise temporaire et une police d’assurance (30 euros pour un séjour d’un mois). Le prix de la traversée reste abordable : 200 euros, en moyenne, par passager et le double pour le véhicule.
Quelque deux mille véhicules débarquent ainsi quotidiennement dans les quatre ports assurant les liaisons Europe-Algérie. Ils viennent encombrer un peu plus les axes routiers du pays. Près de cent cinquante mille voitures neuves étant vendues chaque année, le parc automobile a pris un sérieux coup de jeune. Du coup, l’émigré en vacances n’impressionne plus par la puissance et le luxe de son véhicule. L’Algérie a décidément bien changé ! « Il y a encore quelques années, j’étais, avant mon départ, littéralement harcelé par mes nombreux cousins et cousines, qui m’adressaient d’interminables listes de produits à ramener, raconte un émigré. À Orly, ma facture pour excédent de bagages était, chaque fois, astronomique. Aujourd’hui, personne ne me demande plus rien. L’excédent de bagages, c’est plutôt au retour ! »
Le vacancier du bled découvre aussi – et ce n’est pas forcément une bonne surprise – que la monnaie locale, le dinar, s’est sensiblement appréciée depuis son dernier séjour. Naguère, profitant des congés à l’étranger des « autochtones » aisés, il parvenait à négocier ses euros au prix fort : environ 130 dinars pour 1 euro. Aujourd’hui, il n’y a plus guère de différence entre le cours réel et celui pratiqué par les banques locales (93 dinars pour 1 euro).
Le nombre des nouveaux hôtels construits dans les stations balnéaires est véritablement impressionnant. Du coup, les capacités d’accueil se sont nettement améliorées et les prix flambent. Aujourd’hui, un mois de vacances revient à environ 3 000 euros par famille, soit près de deux mois de salaire d’un ouvrier qualifié. Mais quand on aime, on ne compte pas.
Autre évolution notable : avant, l’émigré en vacances ne quittait guère la dechra (« hameau ») ou le village de sa famille, situé dans une région généralement enclavée. Aujourd’hui, il n’y passe plus qu’un jour ou deux, avant de partir à l’assaut des plages. Celles-ci son désormais gérées par des concessionnaires qui offrent des prestations, disons, acceptables.

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