Tunisie-UE : « Les listes noires ont eu le mérite de sortir la relation d’une certaine complaisance »

Quel bilan tirer des derniers mois houleux qui ont marqué la relation entre l’Union européenne et la Tunisie ? Quel est l’avenir du « partenariat privilégié » revendiqué de part et d’autre de la Méditerranée ? Emmanuel Cohen-Hadria, qui a participé à un rapport sur la question pour le réseau euro-méditerranéen de think tanks EuroMesCo, fait le point pour Jeune Afrique.

Emmanuel Macron et Youssef Chahed, au forum économique franco-tunisien, le 1er février 2018. © Hassene Dridi/AP/SIPA

Emmanuel Macron et Youssef Chahed, au forum économique franco-tunisien, le 1er février 2018. © Hassene Dridi/AP/SIPA

CRETOIS Jules

Publié le 7 mai 2018 Lecture : 4 minutes.

Ces derniers mois, après l’inscription de la Tunisie sur une liste de juridictions non coopératives en matière fiscale en décembre 2017 puis sur la liste des pays exposés au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme, la relation avec l’Europe a été au centre des discussions, d’autant plus que les négociations autour de l’accord de libre-échange complet et approfondi (Aleca) ne sont toujours pas terminées.

Ce 15 mai, des diplomates tunisiens sont par ailleurs attendus à Bruxelles. Le but : adopter les priorités du partenariat à venir entre les deux parties. Pour certains, c’est l’occasion de l’élargir au maximum. C’est en tout cas le point de vue d’Emmanuel Cohen-Hadria, qui a coordonné le rapport d’EuroMeSCo sur le partenariat privilégié entre l’Union européenne et la Tunisie, co-écrit par des chercheurs tunisiens et européens, parmi lesquels Youssef Cherfi, Hamza Meddeb, Tasnim Abderrahim et Elyes Ghanmi.

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jeune Afrique : Tout en analysant la complexité du positionnement de la Tunisie et des Tunisiens vis-à-vis de l’Union européenne (UE), le rapport d’EuroMesCo laisse entendre qu’il y a en Tunisie une attente réelle pour un partenariat plus ambitieux encore avec l’Europe…

Emmanuel Cohen-Hadria : Dès l’automne 2017, Tunis a formulé le souhait qu’une réflexion soit engagée sur un partenariat plus ambitieux avec l’UE, allant au-delà de la politique européenne de voisinage et du « partenariat privilégié » adopté en 2012.

Mais ces derniers mois, les relations entre les deux partenaires se sont refroidies et ont ralenti cette réflexion. Cependant, lors de son récent déplacement à Bruxelles, Youssef Chahed a de nouveau émis le souhait de voir la Tunisie continuer à approfondir ses relations avec l’UE.

Qu’en est-il de la position des Européens ? 

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La révision de la politique de voisinage en 2015 pousse l’UE à privilégier des relations « à la carte » avec chacun de ses voisins. La Tunisie reste le partenaire idéal pour que l’UE explore tout le potentiel de cette nouvelle orientation. C’est un partenaire volontaire, que l’UE accompagne de près depuis la révolution et qui ne fait l’objet d’aucune division fondamentale parmi les 27, contrairement à d’autres pays de la région où l’UE peine à parler d’une même voix. Il en va de la crédibilité de la politique européenne de voisinage.

Y a-t-il un décalage entre les attentes de la société civile tunisienne et celles du gouvernement ?

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De façon générale, le décalage est réel entre la société civile et l’élite politique tunisienne. Sur le dossier européen, c’est surtout au sein de la société civile que prévaut une certaine méfiance vis-à-vis de l’ancien colonisateur et de ses intentions. Certaines préoccupations sont d’ailleurs légitimes. La société civile attend des progrès significatifs sur les questions de mobilité, notamment, et continue à être sceptique s’agissant de « l’accord de libre-échange complet et approfondi » (Aleca).

Le gouvernement se doit de prendre en compte ces préoccupations et attend de l’UE qu’elle propose un horizon attractif qu’il pourra dès lors utiliser auprès de la population pour justifier des réformes difficiles. La Tunisie a certes des mécanismes de dialogue qui permettent à des représentants de la société civile d’avoir un rôle consultatif, mais son rôle pourrait être encore accru. C’est d’ailleurs tout l’enjeu d’un partenariat renouvelé entre l’UE et la Tunisie que d’être le plus inclusif possible.

Que révèle, selon vous, l’inscription de la Tunisie sur les deux « listes noires » européennes ?

Il n’est pas rare d’entendre des diplomates européens se plaindre de retards accumulés par l’administration tunisienne dans des négociations ou sur des dossiers spécifiques. Il en va ainsi de l’Aleca, ou des négociations pour la facilitation des visas, dans lesquelles les services de la Commission européenne en charge se plaignent de façon chronique de ne pas voir leur partenaire tunisien exprimer clairement sa position et formuler ses priorités.

Dans le cas des « listes noires », il s’agit avant tout d’erreurs d’appréciation des deux côtés, plus que d’une volonté de l’UE de nuire ou de renforcer sa position dans le cadre des négociations en cours, comme certains observateurs l’ont prétendu.

Les « listes noires » ont peut-être eu le mérite de faire sortir la relation d’une certaine complaisance. Par ailleurs, à la faveur de ces listes, la Tunisie a commencé à renforcer ses capacités de lobbying auprès des institutions européennes et des capitales.

Tous les pays européens sont réellement engagés dans le dialogue avec Tunis ?

Oui. Certains ont probablement plus de poids que d’autres. Par ailleurs, il y a bien sûr eu des levées de boucliers de la part de certains pays européens ces dernières années, sur les questions agricoles notamment, mais ces tensions ont toujours été dépassées et sont plutôt venues donner la preuve que les blocages ne sont pas du tout insurmontables. Encore une fois, il n’y a pas de divisions significatives parmi les 27 s’agissant de la Tunisie. Le problème se situe davantage dans la tendance de certains Etats membres à faire cavalier seul et dans leur manque de coopération quand il s’agit de mettre en œuvre la politique européenne de voisinage que certains considèrent comme une machine trop contraignante et bureaucratique.

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