Scandales pédophiles en série
Les nombreux délinquants sexuels jugés au cours des derniers mois n’ont été condamnés qu’à des peines légères.
Quel rapport entre le tsunami et la pédophilie ? Au lendemain du meurtrier raz-de-marée de décembre 2004, en Asie du Sud-Est, certains islamistes marocains en avaient trouvé un, fût-il tiré par les cheveux. Selon eux, il s’agissait d’un « châtiment divin » frappant un à un les pays « sexuellement touristiques ». Dans ces conditions, le royaume avait de bonnes chances d’être le prochain sur la liste. Cette vision apocalyptique prêterait à sourire si elle ne reflétait, malgré elle, une sordide réalité.
« À la suite du tsunami, une partie des touristes sexuels pédophiles se sont rabattus sur le Maroc et d’autres pays du Sud », déplore Aniko Boehler, la coordinatrice nationale de l’ONG marocaine Touche pas à mon enfant ! (TPME). Créée en 2004 par Najat Anwar, cette association est la première dans le pays à soutenir les jeunes victimes d’abus sexuels (viol, inceste, mariage de mineurs, prostitution, pédopornographie) et leurs familles. Un soutien psychologique, mais également juridique : en deux ans, TPME s’est portée partie civile dans trente affaires d’abus sur mineurs, dont dix sont toujours en cours d’instruction.
« Même si la pédophilie et l’inceste sont protégés par la hchouma (honte), de plus en plus de parents et de petites victimes osent nous contacter pour dénoncer ces crimes », explique Najat Anwar. Malgré cette petite victoire sur les tabous, la bataille qu’elle mène aux côtés d’une cinquantaine de bénévoles reste semée d’embûches. Et de déceptions.
27 juin 2006, tribunal de première instance de Marrakech. Après trois mois de suspension et un premier report, les juges s’apprêtent à rendre leur verdict dans l’affaire Jack-Henri Soumère. De nationalité française, l’accusé, âgé de 60 ans, est inculpé d’homosexualité (considérée comme un délit au Maroc), d’incitation d’un mineur de moins de 18 ans à la prostitution, de détention et de consommation de résine de cannabis, d’aménagement d’une résidence pour la prostitution et de détention d’objets et d’images pornographiques. L’affaire fait grand bruit, au Maroc comme en France, Soumère étant une figure du show-biz parisien, ancien patron du Théâtre Mogador, du Palace et de l’Opéra de Massy. Il a récemment été décoré de la Légion d’honneur. Depuis son inculpation, il ne cesse de crier au complot et soutient que l’adolescent de 16 ans avec lequel il a été surpris prétendait en avoir cinq de plus. Verdict du TPI : quatre mois d’emprisonnement avec sursis, assortis d’une amende de 5 000 dirhams (450 euros).
« Faute de preuves, la seule charge retenue est celle d’homosexualité, ce qui n’est pas l’objet de notre plainte, explique Moustapha Errachdi, l’avocat de TPME. En tant que militant des droits de l’homme, je m’interdis de juger quelqu’un en fonction de ses pratiques sexuelles. En revanche, dès qu’il s’agit d’un enfant, c’est incontestablement un crime qui doit être puni. » Une semaine auparavant, un touriste belge de 47 ans, Jean-Pierre Rollier, avait comparu, pour les mêmes motifs, devant le tribunal d’Agadir. Il avait écopé de six mois ferme et d’une amende de 3 000 dirhams. Depuis le début de l’année, trois Allemands et un Néerlandais ont également été traduits en justice pour abus sur mineur. Ils ont été condamnés à des peines allant de six mois à quatre ans d’emprisonnement.
Les pédophiles ne sont évidemment pas tous étrangers, mais les procès de ces derniers suscitent un intérêt plus vif dans les médias nationaux. Sauf cas exceptionnel, comme celui d’Abdelhafid Chichkli (45 ans), le « monstre de Marrakech », un vendeur ambulant qui, en novembre 2005, a violé et martyrisé deux fillettes de 5 ans et 10 ans. Et tenté de faire de même avec deux autres, dont une handicapée. Le 11 mai, il a été condamné à une peine ridicule : dix-huit mois ferme. Les articles 485, 486 et 487 du code pénal prévoient pourtant pour ce type de crime des peines de dix ans à vingt ans, voire, dans certains cas, trente ans d’emprisonnement.
Cette incompréhensible clémence désespère les – rares – travailleurs sociaux, qui, tous, n’attendent qu’une chose : « le » cas appelé à faire jurisprudence. « Le Maroc dispose de tout un arsenal juridique pour sanctionner les crimes de viol et d’abus sexuel sur mineur. Mais nous savons très bien que, dans certains cas, la légèreté des peines prononcées est tout simplement le fruit de la corruption, regrette Najat Anwar. Nous aimerions que tous ceux qui ont le pouvoir de rendre la justice prennent conscience que leurs verdicts sont le bouclier le plus efficace pour protéger nos enfants. »
Dans les affaires Soumère, Rollier et Chichkli, l’association Touche pas à mon enfant ! a fait appel. Elle garde espoir, car les textes changent plus vite que les mentalités. « Le Maroc est quand même le seul pays arabo-musulman qui tente de s’attaquer au problème, explique Aniko Boehler. Les termes de « tourisme sexuel » et de « pédocriminalité » ont d’ailleurs été introduits dans le code pénal, au mois d’avril. La mobilisation de la société civile, le soutien de la police et de certains médias commencent à faire bouger les choses. Mais, sur le terrain, nous sommes trop peu nombreux et disposons de trop peu de moyens pour faire face au fléau. »
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