Qui perd, qui gagne ?

Au bout de deux semaines de guerre, Israël n’a pas écrasé le Hezbollah. Mais les jeux ne sont pas faits.

Publié le 31 juillet 2006 Lecture : 4 minutes.

« Les Arabes, aimait répéter Moshe Dayan, prévoient toujours la victoire et jamais la défaite. » Faut-il croire que ses lointains successeurs à la tête de l’armée israélienne se sont « arabisés » ? Forts en gueule, fanfarons et péremptoires, les généraux Dan Haloutz, Uri Adam et consorts ne doutaient pas une seconde, en déclenchant la sixième guerre du Moyen-Orient, de régler rapidement son compte au « gang » du Hezbollah. Visiblement, ils sont tombés sur un os.
« Ayant entrepris, il y a deux semaines, de défaire le Hezbollah, écrit Yoel Marcus dans Haaretz, l’armée n’a obtenu que résultats fort limités. Ce pays qui, pendant la guerre d’indépendance – ce triomphe « du petit nombre sur le grand nombre » -, fit face victorieusement à sept pays arabes et dont l’armée, vingt ans plus tard, ne mit pas plus de six jours pour écraser les forces d’invasion coalisées contre lui, assiste aujourd’hui à un bien embarrassant renversement des rôles. Les missiles lancés sur les villes du Nord à partir du Sud-Liban – Amir Peretz, le ministre de la Défense, en a recensé 2 200, le 23 juillet – illustrent son impuissance dans cette guerre pas comme les autres. Haïfa est désormais une ville morte, et sa population est condamnée à vivre dans les abris quand elle ne s’est pas réfugiée dans le Sud.
Le 26 juillet, une opération censée permettre à Tsahal de s’emparer de Bint Jbeil, un fief du Hezbollah, a tourné au désastre : 8 morts, dont 4 officiers. C’est assurément un tournant dans le conflit. À l’inévitable question : qui gagne, qui perd ? les réponses sont passablement floues. Aussi bien sur le terrain que dans l’opinion et même au sommet de l’État, en Israël.
Dès après la mésaventure de Bint Jbeil, une réunion du cabinet de sécurité a lieu, au cours de laquelle les généraux sont interpellés : « Où sont les résultats ? » La conduite de la guerre est critiquée et l’état-major réclame une mobilisation massive des réservistes, pendant deux mois, afin de « nettoyer » le Sud-Liban, suscitant les réserves expresses de Peretz, qui redoute l’entrée en guerre de la Syrie. À 1 h 30, Ehoud Olmert, le Premier ministre, veut lever la séance : « Je suis fatigué, je n’ai pas dormi la nuit dernière. » Les ministres se rebiffent : « Tu nous as convoqués, laisse-nous parler. » Shimon Pérès, le sage, résume le dilemme : « Soit on arrête l’offensive et on négocie pour obtenir la libération des deux soldats, soit on combat le Hezbollah avec toute notre puissance. » La décision sera prise le lendemain : intensification de l’offensive et rappel des réservistes, mais pas question d’une extension des opérations terrestres. Chat échaudé
Donc, la guerre à distance – et non « de proximité », trop périlleuse – pour écraser le Hezbollah. On prendra le temps qu’il faut. Le gouvernement affirme agir « avec l’assentiment de la communauté internationale ». Ce n’est pas faux : à Rome, Condoleezza Rice a écarté toute exigence de cessez-le-feu immédiat, et les alliés européens et arabes ont obtempéré. Reste à savoir si Israël peut parvenir à ses fins.
L’ennui est que, n’en déplaise aux Américains, le Hezbollah ne se réduit pas à une « organisation terroriste ». Fortement implanté parmi les chiites (40 % de la population), il est à la fois une armée, un parti et une structure de masse. Les coups durs ne font que l’aguerrir et il est capable de reconstituer rapidement ses forces. De plus, son alliance avec l’Iran et la Syrie lui assure, outre l’argent et les armes, un hinterland et des sanctuaires.
On dispose d’un instrument quasi météorologique pour mesurer les progrès de la nouvelle offensive de Tsahal : la pluie de Katioucha qui tombe chaque jour sur les cités du Nord. Cent cinquante, le 27 juillet ; combien demain ? L’arrêt des tirs de roquettes est essentiel. Ces engins capables d’atteindre Haïfa sont, dans l’ordre des symboles mais pas seulement, l’équivalent de la traversée du canal de Suez par l’armée égyptienne, en 1973. Toute la doctrine de dissuasion d’Israël est en cause. « Le Hezbollah et ce que cette organisation terroriste symbolise, écrit Ze’ev Schiff, doivent être détruits à tout prix. Il n’est pas question d’accepter une situation de parité stratégique entre Israël et le Hezbollah. Car ce serait la fin de notre stratégie de dissuasion. »
À défaut d’éliminer le Hezbollah, Israël peut éliminer son chef. Un raccourci. Aucun doute, le cheikh Hassan Nasrallah est en tête du hit-parade des assassinats ciblés potentiels. Sa disparition serait une victoire éclatante pour Israël. L’intéressé, qui n’est pas un enfant de chur, le sait fort bien.
Le gouvernement Olmert pense avoir tout son temps, mais le temps ne travaille pas nécessairement pour lui. L’opinion l’approuve à 80 %, mais des fissures sont perceptibles sur le front intérieur. Dans Haaretz, encore, Ari Shavit écrit, par exemple : « Lorsque la guerre sera finie, le Premier ministre devra rendre des comptes. Il s’est révélé léger et irresponsable, indigne d’occuper une haute fonction politique. »
Qui perd, qui gagne ? Dans cette guerre fondamentalement asymétrique, les critères d’appréciation varient d’un belligérant à l’autre. Il y a des victoires à la Pyrrhus et des défaites surmontables. Alors qu’on entame la troisième semaine de guerre, une chose est sûre : le Liban et les Libanais sont les principaux perdants. Pour les autres, les jeux ne sont pas faits.

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