Dossier pétrole & gaz : les juniors locales prennent le relais
Fini le temps où les multinationales régnaient sans partage sur l’or noir nigérian. Poussées par le gouvernement, les compagnies privées du pays rachètent des champs et commencent à compter sur l’échiquier pétrolier.
Hydrocarbures : les juniors locales au relais
Depuis le début de l’année, deux opérations ont prouvé qu’il fallait compter avec les compagnies pétrolières privées nigérianes. Fin juillet, Oando, piloté par Wale Tinubu, finalisait le rachat des champs pétrolifères nigérians de l’américain ConocoPhillips pour la bagatelle de 1,5 milliard de dollars (1,2 milliard d’euros).
Quatre mois plus tôt, Seplat, dirigé par le docteur Austin Avuru, avait réussi simultanément son entrée à la Bourse de Londres et à celle de Lagos, levant à cette occasion quelque 500 millions de dollars. Un montant qui va lui permettre de financer le développement de ses infrastructures – de pipelines gaziers notamment – sur les blocs qu’il possède déjà, mais aussi de récentes acquisitions pétrolières et gazières dans le delta du Niger.
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Oando et Seplat sont les plus emblématiques de ces nouvelles compagnies pétrolières, avec des productions respectives de 45 000 et 70 000 barils de brut par jour, qui, selon leurs fondateurs, devraient atteindre chacune 100 000 barils par jour d’ici à cinq ans. Mais derrière ces deux champions en herbe en arrivent une dizaine d’autres, plus petits mais tout aussi désireux de se faire un nom : Seven Energy, South Atlantic Petroleum (Sapetro), Shoreline Natural Resources, Niger Delta Petroleum Resources, Waltersmith, Famfa Oil, Conoil et First E&P, pour ne parler que des plus importants.
Wale Tinubu, le président d’Oando, estime que les compagnies pétrolières locales contrôleront un quart de la production du Nigeria dans les cinq ans, contre environ 10 % aujourd’hui.
Émergence
« Certains de ces groupes privés nigérians se sont développés en reprenant des champs pétroliers marginaux : des gisements découverts mais inexploités, présents sur des blocs détenus par les majors. Celles-ci les estimaient trop difficiles à opérer en raison de coûts de développement importants par rapport au retour sur investissement, ou parce qu’ils se situaient dans des zones difficiles », explique l’avocate Nina Bowyer, du cabinet Herbert Smith Freehills, qui travaille au Nigeria depuis une dizaine d’années.
L’insécurité et le détournement de brut dans le delta du Niger ont poussé à ce désengagement au profit des Nigérians, jugés plus à même de dialoguer avec les communautés et les autorités locales. La revente de champs marginaux a été suivie par celle de blocs OML (Oil Mining Lease) entiers, incluant des puits déjà en exploitation.
« En 2009, Seplat a été la première société à en acquérir dans le cadre de la première vague des cessions par Shell de ses actifs à terre. Il s’agissait des blocs OML 4, 38 et 41, qui ont préparé la voie aux autres opérations », note l’avocate britannique.
La compagnie publique, concurrente et partenaire
La rentabilité de Sonangol, la compagnie publique angolaise, suscite l’admiration d’Abuja. Afin de redynamiser sa propre compagnie, la National Petroleum Development Company (NPDC), l’État nigérian lui a accordé en 2010 un droit de préemption sur les contrats d’exploitation au moment des reventes de blocs pétroliers.
Résultat : lorsqu’un privé achète un gisement à une major, l’entité publique peut revendiquer de mener les opérations. Du coup, les jeunes compagnies nigérianes voient le personnel, et donc l’expertise technique des groupes internationaux, leur échapper.
« C’est comme s’il y avait une concurrence déloyale pour attirer les compétences, observe un professionnel du secteur. Plutôt que de se porter acquéreur de blocs sans en avoir la maîtrise, certaines compagnies locales, comme Seven Energy, choisissent du coup de devenir prestataire de services – financiers et techniques – de la compagnie publique. Une solution qui peut se révéler intéressante, puisque cette dernière traite bien ses partenaires et ne connaît pas de problème de solvabilité. »
Cette émergence de groupes privés provient d’une volonté du gouvernement, qui a poussé, via sa réglementation, les majors à se retirer. La revente obligatoire de champs marginaux inexploités pendant dix ans a été introduite par la loi pétrolière de 1993. Après les premiers programmes d’attribution de concessions locales des années 1990, l’État a tiré les leçons des déboires des compagnies locales, qui avaient repris seules de nouveaux gisements sans parvenir à les exploiter, faute d’une expertise technique suffisante.
Désormais, les autorités étudient davantage les compétences des différents candidats nigérians au rachat d’un bloc. Et quand les majors revendent un champ marginal ou un bloc entier, elles doivent prouver aux autorités qu’elles s’assurent du transfert des compétences opérationnelles au partenaire nigérian public ou privé qui le rachète.
En 2010, la mise à jour de la loi sur le contenu local, qui vise à renforcer la présence des Nigérians, a favorisé l’essor des groupes privés locaux.
Réseau
Déjà présents en aval de la filière, plusieurs groupes nigérians distributeurs de produits pétroliers, tels Oando et Conoil, ont saisi l’opportunité de créer des compagnies couvrant toute la chaîne de valeur, du champ de pétrole jusqu’aux stations-service, à l’image de Total. « C’est grâce à son réseau de distribution implanté au Nigeria, au Ghana, au Bénin et au Togo, et à sa présence sur les Bourses de Lagos, Jo’burg et Toronto qu’Oando a pu lever 450 millions de dollars pour conclure la transaction avec ConocoPhillips », observe Rolake Akinkugbe, analyste chargée du secteur pétrolier à la First Bank of Nigeria.
Pour Conoil, en revanche, tout reste à faire. L’entreprise, qui a hérité des anciennes stations-service de Shell, n’a pas réussi à rassembler les 1,29 milliard de dollars nécessaires pour concrétiser son offre de reprise du champ OML 30 de Shell, finalement raflé par une autre compagnie nigériane, Shoreline Natural Resources, pour 800 millions de dollars.
Dans leur essor, plusieurs groupes nigérians s’appuient sur un partenariat financier et technologique avec une compagnie internationale de taille moyenne. C’est le cas de Shoreline Natural Resources, qui est en partie détenu par la junior britannique Heritage, de Waltersmith, fondée avec le canadien Petroman, et de Seplat, créé avec l’appui financier et technique du français Maurel et Prom.
« Nous sommes entrés en contact avec eux dès la fondation du groupe, en 2009, lors de notre première levée de fonds, par l’intermédiaire de notre banquier BNP Paribas, raconte Austin Avuru, le patron de Seplat. Maurel et Prom était présent en Afrique, surtout dans des pays francophones [au Congo et au Gabon notamment], mais pas au Nigeria. Il s’est montré intéressé par le défi que représentait la création d’un groupe local… Et, bien sûr, par un retour sur investissement attractif. »
Cinq ans après, Austin Avuru se réjouit d’une relation mutuellement fructueuse qui a évolué au fil du temps : « À la fondation de l’entreprise, Maurel et Prom était le premier actionnaire, avec 45 % des parts, mais l’indépendance de Seplat était déjà programmée. L’aide des Français a été cruciale à notre démarrage : après le rachat de blocs de Shell, les cadres de Seplat sont venus à Paris pour une formation de six mois. Mais aujourd’hui nous avons suffisamment mûri pour voler de nos propres ailes. Après notre entrée à la Bourse de Londres, en avril, les parts de notre partenaire se sont diluées et sont aujourd’hui à 17 %. » compétences disparates.
Selon qu’elles sont accompagnées ou pas par un partenaire international, provenant de l’amont ou de l’aval de la filière, que leurs dirigeants sont issus du secteur pétrolier, financier ou d’un tout autre univers, le niveau de compétences extractives des différentes compagnies privées nigérianes est extrêmement disparate.
Tribune : Sérénité à court terme
Stable depuis plus de deux ans, le brut a perdu plus de 20 % de sa valeur ces quatre derniers mois. Il s’échange depuis une semaine à moins de 85 dollars (62 euros).
Sur le continent, l’Angola, le Nigeria, l’Algérie ou la Libye sont directement concernés. Aucun n’équilibrera son budget si le baril est vendu à moins de 90 dollars. Mais on est encore loin d’une crise majeure pour les grands pays producteurs africains.
« Si certaines sociétés comme Seplat ont acquis une expérience en qualité d’opérateur, d’autres groupes n’ont pas pu obtenir ce rôle à la suite de leurs acquisitions auprès des majors. Dans ce cas, ils doivent alors se contenter d’une simple participation dans ces projets, l’exploitation des puits étant confiée à la société Nigerian Petroleum Development Company [NPDC], qui elle aussi en profite pour monter en puissance [lire encadré p. 104] », note l’avocate Nina Bowyer.
« La milliardaire Folorunsho Alakija, fondatrice de Famfa Oil, et qui vient e du secteur de la mode, a pu arracher le bloc offshore OML 127 grâce à sa pugnacité et à son lobbying auprès des autorités nigérianes. Mais son groupe joue essentiellement un rôle d’actionnaire-rentier plutôt que celui d’un véritable opérateur pétrolier », estime un Nigérian bon connaisseur du secteur pétrolier.
Professionnalisation
Après le temps des acquisitions devrait donc venir celui de la consolidation et de la professionnalisation des compagnies privées nigérianes. D’autant que certaines parmi elles sont sur plusieurs fronts. En plus de l’extraction, elles cherchent à investir le secteur gazier, rendu attractif par le programme gouvernemental de production électrique Gas to Power (voir l’encadré ci-dessous).
Gas to power, un marché sur mesure
Pour les compagnies nigérianes privées, la croissance des besoins domestiques en hydrocarbures pour produire de l’électricité représente une double opportunité.
En plus d’être un nouveau marché, c’est aussi une façon de valoriser des gaz qui, auparavant, étaient brûlés. Une pratique néfaste pour l’environnement donnant lieu au paiement de pénalités financières.
Seven Energy fait partie des groupes les plus à la pointe dans ce secteur en développant un gigantesque projet gazier autour de son champ pétrolier d’Uquo (OML 13), pour approvisionner par pipeline des centrales électriques privées et publiques des régions de Calabar et de Port Harcourt.
Ce marché a aussi été investi avec succès par Conoil et Oando, actifs dans la construction de pipelines reliant les nouvelles centrales construites par des industriels comme Dangote »
Chez Seplat, on reconnaît la nécessité de prendre le temps de « digérer » les achats de blocs. « Après notre introduction à Londres, nous voulons d’abord nous concentrer sur notre croissance interne. Nous ne nous positionnerons pas sur tous les appels d’offres », indique Austin Avuru. La même stratégie devrait prévaloir chez Oando, qui, après son rachat des blocs de ConocoPhillips, cherche maintenant à bâtir son fameux modèle intégré, le premier du genre pour un groupe africain.
« Ces deux dernières années, on a assisté à une véritable boulimie d’achats pétroliers et gaziers au Nigeria, avec pas loin de 7 milliards de dollars d’opérations de ce genre, ce qui a diminué le crédit disponible localement. Désormais, les compagnies qui veulent se développer doivent aller sur les marchés internationaux, comme Oando et Seplat. Tous n’y parviendront pas », prédit Rolake Akinkugbe. Une fois leur modèle stabilisé, les compagnies nigérianes pourront partir à l’assaut d’autres pays africains.
Pour le moment, seul Sapetro, qui a pour singularité d’avoir commencé dans l’extraction sous-marine, s’est aventuré à l’étranger, avec des permis d’exploration à Madagascar et au Bénin. Seplat, qui s’appuie là encore sur Maurel et Prom, devrait faire partie de ces pionnières.
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