Boycott au Maroc : la société des Eaux minérales d’Oulmès sort du silence
La poursuite du boycott visant l’eau Sidi Ali, le lait de Centrale Danone et les stations-service Afriquia met en lumière les défaillances des entreprises en matière de communication de crise. La société des Eaux minérales d’Oulmès, dirigée par Miriem Bensalah, tente d’y remédier.
Trois semaines après son lancement, la campagne de boycott au Maroc contre l’eau Sidi Ali des Eaux minérales d’Oulmès, le lait de Centrale Danone et les stations-service Afriquia – filiale du goupe Akwa – ne s’essouffle pas. Au contraire, le mouvement prend de l’ampleur et se généralise sur l’ensemble du territoire marocain. Ses initiateurs restent toutefois anonymes, même si quelques pages Facebook en réclament la paternité depuis plusieurs jours.
Les boycotteurs incriminent la situation d’oligopole dans laquelle baignent les trois entreprises visées, qui ont chacune plus de 50 % des parts de marché dans leur secteur d’activité. Leur domination sans partage pousse d’ailleurs plusieurs observateurs à regretter la mort clinique du Conseil de la concurrence, dont le mandat n’a pas été renouvelé depuis fin 2013 et qui n’a plus aucune responsabilité.
Les consommateurs qui relaient les appels au boycott sur les réseaux sociaux mettent aussi en avant une augmentation des prix. Si cette affirmation est véridique pour le carburant, qui suit le récent rebond des cours du pétrole, ce n’est pas la cas pour l’eau en bouteille Sidi Ali et le lait de Centrale Danone, dont les prix sont restés inchangés depuis plusieurs années – ce que les deux entreprises ont pointé dans leur communication.
Une « marge à 7 % »
La société des Eaux minérales d’Oulmès, appartenant à Holmarcom et dirigée par Miriem Bensalah, la présidente sortante de la CGEM, a fini par sortir de son silence en diffusant ce 9 mai un communiqué pour apporter des explications et essayer de contenir la grogne populaire. « Nous avons souhaité prendre le temps d’écouter et d’analyser, avec la mesure et le recul nécessaires, les attentes de nos concitoyens […] Cette situation témoigne plus largement des difficultés rencontrées par les familles marocaines face à la cherté de la vie… C’est pourquoi nous avons pris la décision de ne pas augmenter nos prix de vente publics depuis 2010, et ce malgré l’inflation régulière qu’a connue le Maroc », précise le communiqué.
Dans une démarche pédagogique, l’entreprise a voulu clarifier des informations erronées qui ont circulé sur internet. « L’eau exploitée n’est pas gratuite mais assujettie à des taxes d’exploitation très importantes », précise le communiqué avant de dérouler toutes celles que la société a payées en 2017. Au total, la filiale d’Holmarcom dit s’être acquittée de plus de 657 millions de dirhams (58,66 millions d’euros) en impôts et taxes, dont 99 millions de dirhams pour la taxe communale payée à la commune d’Oulmès et 48 millions de dirhams pour la redevance d’exploitation des sources dues à l’État. « La marge réalisée sur Sidi Ali est de 7 %, soit 40 centimes par bouteille d’1,5 L », ajoute le communiqué.
Maladresses
Si la réaction de la société des Eaux minérales d’Oulmès s’est faite attendre trois semaines, c’est encore le silence radio du côté d’Afriquia. Ce que déplore le directeur d’une agence de conseil en communication que Jeune Afrique a rencontré : « Dans ce genre de situation, il faut être à l’écoute de la population, car le manque de communication peut amplifier l’irritation des gens. »
« Au début, les dirigeants avaient méjugé la portée que pouvait avoir l’appel au boycott sur les réseaux sociaux », nous explique le patron d’une grande entreprise, alors qu’un sondage mené par le cabinet d’études de marché Averty à travers les douze régions du pays a révélé que huit Marocains sur dix soutiennent activement ce boycott, voire y participent. Si notre interlocuteur assure observer une montée des inquiétudes au sein des trois sociétés, il est impossible de chiffrer précisément les conséquences de ce boycott avant la publication des résultats financiers du premier semestre de ces sociétés, ou une éventuelle communication de leur part.
Dans la culture des entreprises marocaines, la communication de crise n’est pas toujours la bienvenue », explique le directeur d’une agence de conseil en communication
De son côté, Centrale Danone, filiale du géant français de l’agroalimentaire, s’est illustrée par une première communication particulièrement maladroite, son responsable des achats ayant publiquement assuré que le fait de cesser d’acheter du lait s’apparentait à une trahison envers la nation. Un message que sa société a tenté de rectifier dans un communiqué, avant une séance d’excuse vidéo auprès de la population : « Centrale Danone présente ses excuses à tous les citoyens qui se sont sentis offensés par de tels propos qui ne reflètent pas la position de l’entreprise », a ainsi martelé Centrale Danone, précisant par la même occasion que ses prix n’ont pas augmenté depuis juillet 2013.
L’inquiétude de Lahcen Daoudi
« Dans la culture des entreprises marocaines, la communication de crise n’est pas toujours la bienvenue. Si le responsable de Centrale Danone n’avait pas parlé, l’entreprise n’aurait jamais donné ces précisions », regrette notre source à l’agence de conseil en communication.
Du côté des politiques, le débat s’est invité cette semaine au Parlement et les échanges ont été houleux entre les députés de l’opposition et le ministre délégué aux Affaires générales, Lahcen Daoudi. Ce dernier a expliqué craindre que le boycott n’ait un impact sur la présence de Danone au Maroc. « Nous nous battons pour que l’entreprise reste au Maroc. Ce ne sont pas des Marocains, mais des investisseurs étrangers, ils peuvent à tout moment mettre la clé sous la porte. Le Maroc ne représente qu’une petite partie dans leurs investissements à l’étranger », s’est inquiété le ministre.
Sur Facebook, les appels au boycott se poursuivent et quelques pages prévoient même d’élargir la liste à d’autres produits, comme l’huile, à la veille du mois de ramadan qui devrait commencer le 15 mai prochain. Si une partie des internautes semble convaincue du fait que les trois entreprises cèdent et baissent les prix suite à ce mouvement, d’autres craignent au contraire que cette échéance ne signe l’essoufflement du mouvement, notamment avec une reprise des achats de lait.
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