Pourquoi les groupes africains préfèrent les Bourses étrangères

Les entreprises du continent sont de plus en plus nombreuses à imaginer se lancer à Londres, à Sydney ou à Toronto. Les places locales peuvent y voir une concurrence… ou des occasions de partenariats bénéfiques.

Le London Stock Exchange, deuxième Bourse ‘africaine’ de 273 milliards de dollars. © Reuters

Le London Stock Exchange, deuxième Bourse ‘africaine’ de 273 milliards de dollars. © Reuters

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Publié le 17 novembre 2014 Lecture : 6 minutes.

Le 22 octobre, le monde des affaires marocain était à Londres. Mostafa Terrab, président du groupe OCP, Said Ibrahimi, patron de Casablanca Finance City Authority, Karim Hajji, directeur général de la Bourse de Casablanca, Mohamed Boussaid, ministre de l’Économie et des Finances, ou encore Amina Benkhadra, directrice générale de l’Office national des hydrocarbures et des mines (Onhym), étaient officiellement attendus à la conférence « Morocco, Africa’s Business Gateway », organisée par le Moroccan British Business Leaders Forum et l’ambassade du Maroc au Royaume-Uni.

En marge du sommet, toutefois, c’est une autre bataille qui se jouait : le London Stock Exchange (LSE) accueillait quarante dirigeants et institutionnels.

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Objectif : les sensibiliser à la possibilité d’introduire quelques fleurons de leur pays sur le marché londonien. Au grand dam d’Euronext Paris. Le LSE a en effet doublé son confrère parisien en juin en signant un partenariat stratégique avec la place marocaine. À la clé, de nombreux projets communs, dont l’aide à la création à Casablanca d’un marché pour les PME. « C’est une opération mutuellement bénéficiaire », souligne Ibukun Adebayo, coresponsable des marchés émergents à la Bourse de Londres.

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« Partenariat », c’est le nouveau credo de la place britannique dans son rapport aux Bourses et aux entreprises du continent. « Nous amenons la liquidité, l’accès à un pool d’investisseurs plus vastes », ajoute Ibukun Adebayo. Pour convaincre les Africains en général, et les Marocains en particulier, Londres a un argument de poids : l’introduction en avril dernier de Seplat, simultanément à Londres et à Lagos. Une première qui a permis à la compagnie pétrolière nigériane de récolter près de 503 millions de dollars (environ 360 millions d’euros).

London Stcok-Exchange-capitalisations-entreprises-africaines-JA2807-2808p098infoborder: 0px solid #000000; float: left;" />« Pour lever un tel montant, il fallait que Seplat cible le plus grand nombre d’investisseurs possible », souligne Miguel Azevedo, dirigeant de la banque d’investissement pour l’Afrique de Citi.

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De fait, Londres est déjà devenue la deuxième « Bourse africaine », avec 125 entreprises du continent cotées (ou y ayant l’essentiel de leurs activités) pour une capitalisation de 273 milliards de dollars. Selon ses statistiques, ces compagnies y auraient levé depuis 2008 environ 17 milliards de dollars.

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Récolte

Année après année, les places internationales sont régulièrement choisies par des entreprises opérant en Afrique pour financer leur croissance. En 2013, les deux plus importantes introductions en Bourse africaines ont eu lieu à… Toronto et à Londres. Sur le marché canadien, Oryx Petroleum, une entreprise pétrolière active en Afrique de l’Ouest, a levé environ 406 millions de dollars.

En décembre 2013, Atlas Mara a récolté sur la place britannique 325 millions de dollars pour développer un groupe bancaire en Afrique. Quelques mois plus tard, ce véhicule financier rééditait l’opération en en levant 300 millions supplémentaires. « La demande internationale pour les entreprises venant de marchés frontières comme l’Afrique est immense », souligne Zoltan Szalai, directeur à la banque d’affaires Renaissance Capital, qui a notamment conseillé l’entrée de Seplat à Londres.

Même si elle est clairement la plus dynamique, la Bourse britannique n’est pas la seule place internationale à cibler ainsi les entreprises du continent. Considérée avec Londres et Sydney comme la référence mondiale pour les compagnies opérant dans le secteur des ressources naturelles, dont les mines, Toronto compte plusieurs dizaines de sociétés cotées actives essentiellement en Afrique. Paris en recense quatorze, pour une capitalisation totale légèrement supérieure à 12,1 milliards d’euros.

« À part Johannesburg ou Casablanca, les marchés du continent sont vraiment trop petits pour les plus prometteuses des entreprises africaines », lâche Miguel Azevedo, convaincu de voir « un nombre croissant d’entre elles se tourner vers les places internationales pour se financer ».

Ambitions

Toutefois, s’introduire sur une Bourse de cette envergure ne relève pas uniquement d’un besoin en capitaux. « Pour devenir des leaders dans le pétrole, nous avons décidé de mettre en accord nos ambitions de croissance et nos sources de financement, a souligné Bryant Orjiako, cofondateur et président de Seplat, au cours du Global African Investment Summit, qui s’est tenu dans la capitale anglaise les 20 et 21 octobre. Londres, c’est un moyen d’accéder aux bons investisseurs mais aussi de s’imposer comme une entité crédible, avec la bonne gouvernance et les structures appropriées. »

Se coter à Londres implique en effet de passer par un processus plus lourd, complexe et exigeant que pour s’introduire sur la plupart des Bourses du continent. Viennent ensuite des coûts associés à cette opération : adoption des normes comptables les plus exigeantes, publication régulière des comptes, animation du marché…

Même pour les plus grandes entreprises africianes, le succès n’est pas garanti.

« Ce n’est pas pour tout le monde, estime Zoltan Szalai. Pour aller sur une Bourse internationale, il faut pouvoir offrir un flottant de quelques centaines de millions de dollars. »

La preuve en a été donnée à Paris avec les introductions sur le marché libre de Petro Ivoire, Simat et Money Express. 

Depuis longtemps, il n’y a quasiment aucune activité autour de ces titres pourtant actifs sur une zone, l’Afrique de l’Ouest, dynamique économiquement.

Examen

Même pour les plus grandes entreprises, le succès n’est pas garanti. L’introduction à Londres de Mota-Engil Africa, filiale du groupe de construction portugais pour le continent, s’est ainsi soldée par un échec (temporaire, espèrent ces promoteurs) en juillet dernier, date à laquelle l’opération a été suspendue. D’une valeur globale de 1,2 milliard d’euros, l’ambitieuse entrée en Bourse semble avoir été compliquée par la faillite du groupe portugais Espírito Santo, lui-même très présent en Afrique, et dont l’une des filiales pilotait l’opération… Quant à l’introduction à Londres de Dangote Cement, principale capitalisation de la Bourse du Nigeria, elle est attendue maintenant depuis de longues années.

Se coter sur une place internationale, c’est aussi s’exposer à un examen minutieux de la part des investisseurs comme des médias. Un aspect qui gêne de nombreuses entreprises issues de pays émergents.

La descente aux enfers récente d’Afren, société pétrolière cotée à Londres et principalement active au Nigeria, le rappelle, tout comme les difficultés du groupe minier ENRC l’année dernière. Le 13 octobre, Afren a mis dehors plusieurs de ses dirigeants, dont les deux principaux, pour des paiements non autorisés. Quant à ENRC, objet d’une enquête sur des faits de corruption autour de contrats en Afrique, ses propriétaires principaux ont purement et simplement décidé de la retirer de la cote fin 2013.

Bourses LafargeDans les deux cas, la mauvaise gouvernance a fait trembler les deux sociétés et la communauté financière. Jusqu’à détourner les investisseurs des entreprises africaines cotées ?

« Non, ceux qui misent sur des entreprises opérant dans des marchés frontières savent gérer ce type de crise », affirme Zoltan Szalai. « Cela ne va pas tarir l’intérêt pour les titres africains », assure Ibukun Adebayo, qui précise avoir une longue liste d’entreprises africaines désireuses de venir sur la Bourse britannique.

Et pas seulement dans le pétrole et les mines ! Pourtant, il serait faux de voir Londres, Toronto, Paris ou même Sydney comme des concurrents pour les places du continent. Londres entend ainsi mettre l’accent sur les cotations simultanées à Londres et sur une Bourse africaine. Après Lagos, celles de Nairobi et de Casablanca pourraient en profiter. « Avant que Seplat soit coté, nous avons travaillé afin que différentes fonctions soient harmonisées entre Lagos et Londres », insiste Ibukun Adebayo, qui ajoute : « 60 % des échanges autour de Seplat ont lieu au Nigeria. »

Coopération

Entre Bourses internationales et africaines, la coopération technique est d’ailleurs au menu. Paris Europlace, qui défend les intérêts de la place financière parisienne, travaille ainsi avec Casablanca Finance City Authority autour de la structuration d’une véritable place financière marocaine. Selon nos informations, Abidjan et Nouakchott étudieraient également de près ce sujet.

« L’idée est de créer de véritables places financières ayant des moyens de mobiliser l’épargne, de développer un tissu d’intermédiaires, décrypte Karim Zine-Eddine, directeur des études à Paris Europlace. Derrière la coopération stratégique, il y a la mise en place de méthodes de travail communes. »

Paris Europlace a également passé un accord avec la Commission d’organisation et de surveillance des opérations de Bourse (Cosob) en Algérie, en novembre 2013. Et Euronext, qui travaille de longue date avec la Bourse de Tunis, équipera prochainement cette dernière d’une nouvelle plate-forme boursière.

L’organisation à Paris, les 30 septembre et 1er octobre, des premiers BRVM Investment Days (forum de la Bourse régionale des valeurs mobilières, basée à Abidjan) témoigne aussi de la carte qu’entend jouer la France vis-à-vis des places financières d’Afrique francophone. D’autant qu’elle travaille en parallèle à s’établir en hub financier entre les institutions chinoises et le continent. Mais à travers son rapprochement récent avec Casablanca, Londres a marqué un peu plus son intention de sortir de la seule zone anglophone.

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