Quand la CIA joue à la mafia

Berlusconi a-t-il couvert le kidnapping d’un islamiste égyptien en pleine rue de Milan

Publié le 31 juillet 2006 Lecture : 2 minutes.

L’Italie, fidèle allié des États-Unis, sera le premier pays où des agents des services secrets américains seront jugés pour des crimes liés à la croisade antiterroriste de George W. Bush. Mercredi 5 juillet, la justice italienne a en effet placé en résidence surveillée trois espions de la CIA, après avoir lancé des mandats d’arrêt internationaux contre vingt-deux autres dont Jeffrey Castelli, l’ancien patron de la centrale américaine de renseignements en Italie. Le parquet de Milan les soupçonne d’avoir trempé, il y a trois ans, dans l’enlèvement d’un islamiste égyptien dans la capitale lombarde. Sont également accusés d’avoir participé à cette opération ou de l’avoir couverte Marco Mancini, numéro deux des services militaires italiens (Sismi), et le général Gustavo Pignero, qui en est le responsable pour le Nord. Le premier a été incarcéré, ce même 5 juillet, à la prison San Vittore de Milan, tandis que le second a été assigné à résidence.
Longuement interrogé par les juges, le général Nicolo Pollari – patron du Sismi a laissé entendre qu’il avait essayé de s’opposer à l’opération et que celle-ci avait reçu le feu vert du gouvernement de Silvio Berlusconi. Pis : ce dernier aurait prêté main forte, via le Sismi, aux agents de la CIA. Embarrassé, l’ancien chef de l’État Francesco Cossiga, connu pour ses liens étroits avec Berlusconi, a ironisé : « Attendons-nous à ce qu’Oussama Ben Laden nous adresse sous peu ses remerciements et ses félicitations. »
Le 17 février 2001, Hassan Moustapha Oussama Nasr, alias Abou Omar, un réfugié politique de 46 ans devenu imam d’une petite mosquée de Milan, est abordé, en plein jour, par un commando de la CIA. Les Américains laissent d’abord à un membre du Sismi le soin de vérifier l’identité du dissident égyptien, avant de l’embarquer de force dans une camionnette banalisée. Abou Omar est transféré dans un camp militaire en Allemagne, puis livré aux services secrets du Caire. Après avoir refusé de collaborer avec les redoutables Moukhabarat, les services intérieurs égyptiens, l’ancien exilé politique est torturé dans la prison d’al-Tora. Il tente, à trois reprises, de se suicider.
En Italie, la CIA « informe » officiellement les autorités qu’Abou Omar – qui faisait l’objet d’une enquête relative à son rôle présumé dans le recrutement des volontaires pour le djihad en Irak – a trouvé refuge en Bosnie. Elle laisse entendre que le fondamentaliste a réussi à fuir l’Italie Affaire classée ? Non, car, en avril 2004, c’est le coup de théâtre : l’Égyptien parvient à téléphoner à sa femme, restée à Milan, et lui raconte ses tragiques péripéties. Saisie, la justice italienne identifie vite les ravisseurs, qui, pendant l’opération, se sont servis de téléphones portables appartenant au personnel du consulat américain à Milan et ont payé leurs factures d’hôtels, de restaurants et de locations de voiture avec leurs propres cartes de crédit. Mais entre le forfait et l’ouverture de l’enquête, les Américains inculpés – dont les membres du commando et l’ex-consul américain à Milan – ont quitté la péninsule. Depuis novembre 2005, le parquet de Milan tente d’obtenir leur extradition. En vain. Le cabinet Berlusconi s’y opposait avec énergie. Celui du socialiste Romano Prodi, revenu aux affaires en mai dernier, sera-t-il plus audacieux ? Quoi qu’il en soit, tous les accusés seront jugés l’automne prochain. La plupart, sans doute, par contumace.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires