Mamboundou à confesse

Dialogue politique, stratégie de conquête de l’opinion, rencontre avec le président Omar Bongo Ondimba Le chef de file de l’Union du peuple gabonais dévoile son plan de bataille pour les législatives de la fin de l’année. Interview.

Publié le 31 juillet 2006 Lecture : 5 minutes.

Pierre Mamboundou, 59 ans, le charismatique leader et fondateur de l’Union du peuple gabonais (UPG), est l’un des raresopposants à n’avoir jamais cédé à la tentation d’un portefeuille ou d’un poste. Rentré au Gabon en 1993, après un exil de trois et demi au Sénégal, ce Punu originaire de Ndendé, dont il est le maire, s’est présenté deux fois à la magistrature suprême. Crédité de 16,54 % des voix en 1998, et de 13,57 % en 2005, arrivé chaque fois en deuxième position, il jouit d’une certaine aura. A laquelle sa réputation d’intégrité n’est pas étrangère. Les troubles consécutifs à la proclamation des résultats de la présidentielle ont culminé avec une perquisition musclée au QG de l’UPG, a Awendjé, le 21 mars 2006. Mais la page est tournée. Mamboundou a été reçu par le président Omar Bongo Ondimba le 19 avril au Palais du bord de mer. Et les deux hommes qui ne s’étaient pas parlé depuis vingt ans, sont tombés d’accord pour entamer un dialogue politique entre majorité et opposition, afin que les législatives de décembre 2006 se déroulent dans un climat apaisé. Le processus connaît encore des ratés, et une hirondelle ne fait pas le printemps. Mais l’ambiance a changé. Le langage aussi.

Jeune Afrique : Vous considérez-vous toujours comme le vainqueur moral de la présidentielle de novembre 2005 ?
Pierre Mamboundou : Oui. Nous savions que les conditions pour une élection libre et transparente n’étaient pas réunies. Nous avions attiré l’attention de la communauté internationale et de l’opinion gabonaise sur ce point. Nous n’avons pas été entendus. On nous a volés en 2005 comme en 1998.

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Que s’est-il passé dans la nuit du 21 mars 2006, lorsque le siège de votre parti a été perquisitionné par la police, qui cherchait des armes de guerre ?
Vers 22 heures, j’apprends que notre siège va être encerclé et attaqué pendant la nuit. Je suis chrétien. Tous les lundis soirs, j’invite des pasteurs qui prient avec moi jusqu’au matin. Je ne change rien à mes habitudes. Le déploiement policier commence vers 4 heures du matin. À 6 heures, une automitrailleuse s’arrête devant le portail de notre siège, il y a des hommes en cagoule, armés jusqu’aux dents, ils n’ont pas de mandat. Je craignais pour ma vie, je me suis enfui et caché. J’ai été « exfiltré » par le conseiller militaire de l’ambassade des États-Unis, qui m’a placé en lieu sûr, à l’ambassade d’Afrique du Sud. Les policiers ont saccagé notre siège, et n’ont rien trouvé d’autre qu’un vieux calibre 12 rouillé appartenant au jardinier.

C’est alors qu’a émergé l’idée d’une entrevue avec le président Bongo Ondimba, que vous vous étiez obstinément refusé à rencontrer ces vingt dernières années…
Oui. Il fallait rapidement trouver une solution politique. L’activité de notre parti était paralysée. Nous n’avions plus de locaux, nos militants étaient pourchassés. Mon séjour chez mes amis sud-africains ne pouvait se prolonger indéfiniment. Je ne voulais pas me voir contraint, une seconde fois, à l’exil. Je savais que le processus était déjà enclenché. Rencontrer Omar Bongo Ondimba, ce n’était pas faire allégeance. D’ailleurs, j’ai gardé ma liberté de parole. L’occasion devait être saisie pour mettre les problèmes à plat. Dès lors que l’opposition est prise en considération dans son rôle, la démocratie existe. Or, on avait assisté ces dernières années à une dangereuse fuite en avant. J’étais réticent à l’idée d’aller à la présidence, l’Assemblée nationale me paraissait être un lieu plus approprié. Mais j’ai mis de l’eau dans mon vin

Comment s’est déroulée la rencontre ?
Le compagnon de route d’Omar Bongo Ondimba, Georges Rawiri, venait de décéder. Mes camarades et moi avons présenté nos condoléances. Nous avons discuté un petit peu, tous ensemble, puis j’ai demandé le huis clos. Le tête-à-tête a duré 1 heure et 57 minutes. Nous avions beaucoup de choses à nous dire Ensuite, ce jour-là, en présence du Premier ministre, du ministre d’État chargé de l’Intérieur et de la Sécurité, de son collègue de la Communication, et de mes collaborateurs, nous avons décidé d’entamer immédiatement des négociations pour faire en sorte que les lendemains électoraux ne soient plus tumultueux. Nous avons posé les problèmes du fichier électoral, du mode de scrutin, du bulletin unique et du fonctionnement de la commission électorale.

Vous avez aussi évoqué le principe d’une indemnisation pour le préjudice subi par votre parti ?
Contrairement à ceux qui se rendent nuitamment au Palais du bord de mer pour solliciter les faveurs d’Omar Bongo Ondimba, nous ne sommes pas allés mendier, mais demander réparation pour un préjudice subi ! Et nous l’avons fait en toute transparence. Il n’est pas normal qu’un parti politique soit agressé dans ses locaux par des forces de sécurité sans aucune raison. Le parti et son président doivent être indemnisés. Toutes nos archives ont été saisies. Elles se trouvent encore au ministère de l’Intérieur, sur les disques durs de nos ordinateurs. Nous avons commis un huissier de justice, qui a évalué les dégâts. Nos militants seront informés, et nous communiquerons sur les chiffres quand l’affaire sera bouclée. Au sortir du Palais, on m’a proposé de loger à l’hôtel Méridien Ré-Ndama, dans une suite au 5e étage. J’y vais de temps en temps.

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La concertation majorité-opposition a achoppé sur l’introduction de données biométriques et sur la mise en place d’une commission électorale autonome et permanente. Aujourd’hui, il y a blocage
Lorsque les négociations ont débuté, la majorité est venue les mains vides, sans aucune proposition. Elle s’est cramponnée au statu quo. Elle n’a rien formulé de constructif, n’a pas voulu bouger. Le chef de l’exécutif a tranché dans le sens de l’intérêt général en procédant à des arbitrages. Aujourd’hui, nous défendrons notre position bec et ongles pour que le Gabon devienne enfin un pays où les élections sont transparentes. Ces arbitrages doivent s’appliquer, ils sont clairs, ne souffrent aucune ambiguïté.

Qu’est-ce qui a pu motiver Bongo Ondimba pour rendre ces arbitrages ? Prépare-t-il sa sortie ?
Non, je ne crois pas. Je pense qu’il veut marquer cette nouvelle période de la gestion de l’État par la transparence électorale. Et couper l’herbe sous le pied aux mauvais perdants, pour essayer de continuer dans la logique du dégel, qui a été amorcé depuis le 19 avril [date de sa rencontre avec Pierre Mamboundou, NDLR].

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Si le blocage persiste ?
Le chef de l’exécutif devra alors prendre ses responsabilités. Il a le choix entre se dédire, montrer qu’il n’est plus réellement à la barre ou, au contraire, que c’est lui le chef et qu’il agit en fonction de l’intérêt national. L’article 52 de la Constitution lui offre la possibilité de légiférer par ordonnance.

Et s’il n’en faisait rien ?
Omar Bongo Ondimba a le sens des responsabilités. Il a parlé devant les Gabonais. Il est désormais comptable de ses déclarations. Il ne peut pas ne pas trancher, sauf à accréditer la thèse selon laquelle il est l’otage de sa majorité. Je ne pense pas que l’homme que j’ai rencontré a cette inclination-là.

Et si, malgré tout
Alors, nous aviserons

Pourriez-vous aller jusqu’à boycotter les prochaines législatives ?
Je répète, nous aviserons. Mais le dialogue, même s’il est difficile en ce moment, n’est pas rompu.

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