[Tribune] Faut-il croire aux prévisions du FMI ?

Le 12 avril, le FMI a publié ses nouvelles prévisions pour la croissance mondiale. Faut-il en tenir compte ? Posée en ces termes, la question paraît au mieux provocatrice, au pire déplacée. Mais on ne peut que constater qu’il ne faut accorder qu’une importance relative aux projections de l’institution.

Christine Lagarde, directrice générale du FMI, en janvier 2015. © Alex Brandon/AP/SIPA

Christine Lagarde, directrice générale du FMI, en janvier 2015. © Alex Brandon/AP/SIPA

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Publié le 23 mai 2018 Lecture : 6 minutes.

En avril 2016, ses « Perspectives de l’économie mondiale » prévoyaient 4 % de croissance du PIB en 2017. Mais, un an plus tard, cette projection a été révisée à 2,6 %. Et les données d’avril 2018 révèlent que seulement 2,8 % ont finalement été atteints, grâce à la hausse du prix des produits de base, une croissance mondiale plus forte et un meilleur accès aux marchés.

Pour 2018, l’ajustement du FMI est beaucoup plus modeste (de 3,5 % en avril 2017 à 3,4 % le mois dernier). Mais cet outil est-il suffisamment fiable pour que tous les gouvernements, beaucoup d’institutions et d’investisseurs privés s’y réfèrent les yeux fermés et misent sur le retour d’une croissance plus forte cette année ?

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Un biais optimiste

C’est pourtant sur la base de ces travaux que tous les gouvernements ainsi que beaucoup d’institutions et d’investisseurs privés établissent leurs plans d’actions. Dans un document de travail publié par le FMI en novembre 2016, les économistes Sylwia Nowak, du Fonds, et Pratiti Chatterjee, de l’université de Californie à Irvine, montrent que les prévisions de croissance de l’institution « sont de manière persistante fortement optimistes ».

Ces erreurs de prévisions semblent principalement liées aux prix globaux des matières premières et à la demande sur les marchés des produits industriels » expliquent Sylwia Nowak et Pratiti Chatterjee

Pour la période 2011-2015, elles démontrent en comparant les données d’une année sur l’autre que l’écart moyen atteint 0,6 point de pourcentage pour les économies à faible revenu, et même 2,1 points lorsque ces prévisions sont optimistes (elles le sont à 56,8 %). « Ces erreurs de prévisions semblent principalement liées aux prix globaux des matières premières et à la demande sur les marchés des produits industriels », expliquent ces deux spécialistes en macroéconomie.

Que se passe-t-il au sein du FMI pour que de tels décalages se perpétuent ?

Que se passe-t-il au sein du FMI pour que de tels décalages se perpétuent ? « L’évolution des économies africaines est difficile à prévoir, explique Abdourahmane Sarr, qui fut économiste du Fonds pendant quatorze ans, notamment en tant que représentant résident au Togo et au Bénin. C’est plus un art qu’une science. Une équipe de trois ou quatre personnes se rend plusieurs fois par an dans le pays étudié pour collecter les données, qui sont ensuite insérées dans un modèle résumant les relations économiques de base au sein de l’économie. »

Ces prévisions sont ensuite confrontées aux conditions économiques globales, déterminées par les experts de l’institution sur la base d’un modèle économétrique mondial, explique un rapport du Bureau indépendant d’évaluation du FMI de 2014. « Elles font ensuite l’objet d’un dialogue avec les autorités gouvernementales », précise Abdourahmane Sarr, jusqu’à ce qu’elles fassent consensus.

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Critiques

Les critiques sur la qualité des prévisions du FMI ne sont pas nouvelles. Déjà, en 1996, dans le magazine trimestriel de l’institution, l’économiste maison Paula De Masi expliquait les difficultés à réaliser de telles estimations pour les économies en développement.

Pour de nombreux pays, les données sur lesquelles les prévisions sont basées ne sont pas fiables et à jour » explique Paula De Masi

« Pour de nombreux pays, les données sur lesquelles les prévisions sont basées ne sont pas fiables et à jour, explique-t-elle. De plus, beaucoup d’économies en développement connaissent une volatilité plus importante que les pays industrialisés, en particulier celles qui doivent composer avec des déséquilibres domestiques ou externes significatifs ainsi que celles qui sont sujettes aux fluctuations du prix des matières premières ou à des changements d’humeur majeurs de la part des investisseurs. »

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Pour cet économiste qui a longtemps travaillé pour l’administration française à l’étranger, les difficultés à réaliser des prévisions économiques pour les économies africaines sont liées aux structures de celles-ci, impliquant de fortes variations de croissance. « Les prévisions des prix des matières premières, et en particulier du pétrole, peuvent avoir un impact important sur les projections de croissance », détaille un autre économiste travaillant pour une organisation internationale.

« Mauvaise qualité » des statistiques

L’exactitude des données pose aussi problème. Souvent, celles-ci reflètent mal la réalité, à cause de faibles capacités administratives et de l’importance du secteur informel, qui peut représenter jusqu’à 80 % de certaines économies. « Ces “intrants” de mauvaise qualité ont une forte incidence sur la qualité des prévisions », nous explique-t-il.

En l’absence de comptes nationaux fiables, de statistiques démographiques suffisantes – plus de la moitié des naissances ne sont pas enregistrées en Afrique – et d’un système de cadastre solide, la tâche n’est pas aisée » indique Carlos Lopes

« En l’absence de comptes nationaux fiables, de statistiques démographiques suffisantes – plus de la moitié des naissances ne sont pas enregistrées en Afrique – et d’un système de cadastre solide, la tâche n’est pas aisée », nous indique l’ancien secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies Carlos Lopes.

L’ancien économiste en chef de la Banque mondiale pour le continent Shanta Devarajan est allé jusqu’à qualifier cette situation de « tragédie statistique de l’Afrique » dans un article universitaire publié en 2013, qui a fait date.

Certaines erreurs de prévisions pour les pays en développement sont liées au fait que les projections publiées doivent être cohérentes avec les programmes de réforme soutenus par le FMI » affirme Paula De Masi

« Scénarios de travail »

Dans son article, Paula De Masi affirme également que certaines « erreurs de prévisions pour les pays en développement sont liées au fait que les projections publiées doivent être cohérentes avec les programmes de réforme soutenus par le FMI, qui sont naturellement basés sur l’hypothèse que ces plans seront mis en place et réussiront ».

Une analyse partagée par Abdourahmane Sarr : « Il ne s’agit pas à proprement parler de prévisions, mais plutôt de scénarios de travail. Quand nous les réalisons, nous partons du principe que les politiques planifiées par les gouvernements seront mises en place et que les financements seront au rendez-vous. Dès lors que les mesures prévues ne sont pas appliquées ou que les apports financiers sont insuffisants, le taux de croissance anticipé n’est pas réalisé. »

L’économiste tunisien Hakim Ben Hammouda – qui a été ministre des Finances et a longtemps travaillé sur l’Afrique au sein de différentes institutions internationales – met également en avant l’imprévisibilité entourant les grandeurs économiques (des indicateurs tels que le PIB), dont l’évolution en réaction à certains changements politiques est difficile à anticiper.

« Ces dernières années, le monde donne l’impression qu’il est devenu plus incertain. Ces facteurs géopolitiques ont une forte incidence sur certains marchés clés, tel celui du pétrole », affirme-t-il. Avant de souligner également la dimension autoréalisatrice de ces prévisions : « Vous choisissez entre plusieurs scénarios de croissance, et en général vous sélectionnez le plus élevé », car les agents économiques vont adapter leurs comportements en fonction de ces chiffres.

Quel crédit accorder à ces statistiques ?

Mais, dès lors, quel crédit accorder à ces statistiques ? « Faute de mieux, il faut s’en contenter, estime Abdourahmane Sarr. Lorsqu’on travaille sur ces chiffres et qu’on essaie de reproduire le cadrage macroéconomique du Fonds, on se rend compte qu’ils sont basés sur des hypothèses plutôt raisonnables. Il s’agit des meilleures informations disponibles. »

Les chiffres du FMI sont la meilleure approximation que nous avons à notre disposition » assure Carlos Lopes

Même son de cloche du côté de Carlos Lopes : « Les chiffres du FMI sont la meilleure approximation que nous avons à notre disposition », assure-t-il. Comparant les prévisions de l’institution avec celles réalisées par d’autres organisations internationales, ou par rapport au consensus des économistes, le Bureau indépendant d’évaluation du FMI montre d’ailleurs que les projections du Fonds sont au moins aussi bonnes.

Il existe en tout cas un véritable enjeu de politique économique autour des statistiques économiques. « Comment voulez-vous proposer des mesures alternatives à celles proposées par le FMI si vous n’êtes pas capable de venir contredire le Fonds sur son chiffrage ? » remarque Carlos Lopes.

Pour lui, cette situation de dépendance de certains pays aux chiffres du FMI réduit leur espace de décision en matière de politique économique, même s’il souligne que de nombreux efforts ont été faits ces dernières années pour améliorer leurs systèmes statistiques.

Une question d’autant plus pressante pour les économies africaines que le Fonds y fait son grand retour, avec une multiplication des programmes ces dernières années, notamment en Afrique centrale.

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