Discrètement, mais sûrement

À sa nomination en novembre 2000, rares étaient les Burkinabè à parier sur la longévité de leur Premier ministre. Mais, depuis, Ernest Paramanga Yonli est à son poste. Quatrième volet de notre série consacrée aux chefs de gouvernement africains.

Publié le 31 juillet 2006 Lecture : 6 minutes.

Ernest Paramanga Yonli est un cumulard de records. Chef du gouvernement à la longévité la plus longue depuis l’instauration de la IVe République, seul Premier ministre reconduit trois fois dans ses fonctions, premier locataire non mossi de la primature : cinq ans et huit mois après sa nomination, Yonli a apporté un cinglant démenti à ceux de ses compatriotes burkinabè qui lui prédisaient un passage éclair. Et peut même se targuer d’avoir désamorcé plus d’un épineux dossier pour afficher un bilan dont il n’est pas peu fier : climat social apaisé, économie relancée, décentralisation achevée…
À son arrivée, le 7 novembre 2000, la partie est pourtant loin d’être gagnée. La tâche s’apparente davantage à une galère qu’à un parcours de santé. « Nous étions fiers, mais inquiets », confesse Amélie Tamboura, conseillère technique au ministère du Commerce, qui le connaît depuis la classe de seconde au lycée Philippe-Zinda-Kaboré de Ouagadougou. « On se demandait tous s’il serait à la hauteur. » Et pour cause… L’assassinat du journaliste Norbert Zongo, en décembre 1998, a fait descendre la population dans la rue. La mort du directeur de l’hebdomadaire L’Indépendant (dont le principal accusé, l’adjudant Marcel Kafando, a bénéficié d’un non-lieu le 18 juillet dernier) a déclenché, à l’époque, un vaste mouvement de contestation. Un énième appel à la grève est d’ailleurs lancé pour le 13 novembre 2000.
À ce climat insurrectionnel se greffe la défiance d’une partie du landernau politique. Pour faire face à la crise, beaucoup auraient préféré voir émerger un responsable chevronné. Le président de l’Assemblée nationale, Mélégué Maurice Traoré, qui avait déjà eu à affronter pareille situation au ministère des Enseignements secondaire et supérieur, semblait faire l’unanimité. Mais le président Blaise Compaoré lui préfère le discret Gourmantché, moins expérimenté. Ancien directeur de cabinet du Premier ministre Kadré Désiré Ouédraogo (1996-1998), puis ministre de la Fonction publique et du Développement institutionnel (1998-2000), Ernest Paramanga Yonli – qui aura aussi la haute main sur l’Économie et les Finances jusqu’en 2002 – ne totalise, à l’époque, que quatre ans d’expérience gouvernementale. Économiste de formation, spécialisé dans le développement agricole, l’homme est d’abord un chercheur. Même s’il a accepté, entre 1994 et 1996, de prendre la direction générale du Fonds national pour la promotion de l’emploi.
L’intéressé n’a pourtant jamais douté. « Je n’ai pas hésité une seconde à accepter la primature », se souvient-il aujourd’hui. « Il avait une vision claire de la façon de sortir de la crise : la fermeté », confirme Yahaya Zoungrana, un ami d’enfance connu sur les bancs de l’école à la fin des années 1960, à Zinda-Kaboré. De fait, Yonli a pour lui une bonne connaissance de l’affaire Zongo, sans avoir été au centre de la tempête qu’elle a déclenchée. Membre de la cellule de crise gouvernementale qui en est chargée, il n’a jamais occupé de poste exposé. Pour l’opinion, c’est un homme neuf qui a tout à prouver ; aux yeux des éléphants du Congrès pour le développement et le progrès (CDP), c’est un poids plume qui ne fait que passer…
Erreur. L’ex-militant maîtrise à fond les modes opératoires de l’agit-prop. Vingt ans plus tôt, il était du côté des opposants. En 1979, le jeune étudiant en économie fut l’un des leaders d’un mouvement de protestation contre la IIIe République du général Sangoulé Lamizana. Ce qui lui valut une interdiction d’inscription dans toutes les facultés ouest-africaines pendant un an. Parcours logique d’un collégien réputé turbulent ? « En classe comme à l’internat, il était un pagailleur de premier ordre. Il faisait toujours partie des meneurs dans les mauvais coups ! » se souvient Amélie Tamboura. « Ernest est taquin, il rit volontiers aux éclats. D’ailleurs, en gourmantché, paramanga signifie la joie », ajoute Zoungrana. « J’ai horreur de l’embrigadement, explique l’intéressé. Or nous avions toujours quelqu’un sur le dos : les professeurs à l’école, les chefs de table à la cantine et les surveillants dans les dortoirs. La rébellion était une forme d’émancipation. »
Le voici émancipé et affichant une longévité que le seul contexte du début des années 2000 ne peut expliquer. Pour ses adversaires, c’est à son effacement qu’il doit désormais son maintien à la tête du gouvernement. Le Premier ministre ne compte effectivement pas parmi les barons du CDP. Il n’appartient pas non plus au cercle des intimes du président Compaoré. « Certes, nous n’avons pas fréquenté les mêmes écoles. Le chef de l’État est un militaire, moi un civil. Mais cela ne nous empêche pas d’avoir d’excellentes relations professionnelles. Nous nous voyons au moins deux fois par semaine », précise Yonli. Un argument qui fait sourire Hermann Yaméogo, le président de l’Union nationale pour la démocratie et le développement (UNDD) et fils aîné du père de l’indépendance. « Contrairement à certains de ses prédécesseurs, il ne cherche pas à s’affirmer. Tous les ordres qu’il donne viennent d’en haut, grince ce dernier. Il n’est que le cinquième personnage de l’État derrière Blaise Compaoré, Salif Diallo, le ministre d’État chargé de l’Agriculture, de l’Hydraulique et des Ressources halieutiques, Roch Marc Christian Kaboré, le président de l’Assemblée nationale, et Simon Compaoré, le maire de la capitale. »
Amis et partisans crient au dénigrement. Pour eux, le succès de Yonli tient d’abord à ses qualités : travail, respect, modestie, humilité. « Il a une grande estime pour le chef de l’État. Et il n’a que faire des titres honorifiques, il n’est pas carriériste. Il a la mentalité de l’élève qui veut rendre la meilleure copie possible à l’examen, avance Zoungrana. Il n’est jamais levé après 6 heures et ne se couche jamais avant 1 heure du matin. » Me Benewendé Sankara, président de l’Union pour la renaissance/Mouvement sankariste (Unir/MS), l’un des principaux partis d’opposition, va jusqu’à reconnaître : « Même si je pense qu’il a fait son temps, il n’en reste pas moins que c’est un bourreau de travail, qui a rempli sa mission. »
Ernest Paramanga Yonli jouirait aussi d’une mémoire hors norme. « En 2000, nous avions organisé une réunion des anciens élèves de la promo 1969-1976 du lycée Zinda-Kaboré. Nous étions trente-cinq environ. Chacun devait se lever, se présenter, puis retrouver qui étaient les présents. Ernest a cité tout le monde, alors qu’il n’avait pas vu certains d’entre nous depuis plus de vingt ans ! » poursuit Zoungrana. Des dossiers en cours, le Premier ministre mettrait un point d’honneur à connaître toutes les subtilités. « Même à la maison, il est au courant de tout, renchérit sa femme, Araba Kadidiatou Zerbo, la fille de l’ancien chef de l’État Sayé Zerbo. De nos quatre enfants, il sait toujours qui n’a pas fait ses devoirs, qui ne s’est pas lavé et qui n’est pas encore rentré ! »
Mais aucun de ses amis ou simples relations ne parle des ambitions supposées ou réelles de ce technocrate, qui s’assume sans complexe. Et Yonli semble leur donner raison. « Regardez mon itinéraire, je n’ai jamais construit aujourd’hui ce que je serai demain politiquement. Je n’ai pas changé », argumente-t-il. Du jour au lendemain, ce fils de paysan né en 1956 à Tansarga, dans l’est du Burkina, se voit très bien retourner au champ. « J’aimerais concilier mes deux amours, la production agricole et la recherche, pour montrer qu’on peut faire ici une agriculture moderne très productive. » Ce retour à la terre lui permettrait aussi de retrouver sa communauté et le terroir auxquels il est profondément attaché. « Il ne vous a pas fait écouter sa musique gourmantchée ? » ne manque pas de demander son épouse au visiteur de passage…
Yonli, qui affirme être entré en politique pour « faire changer les choses », avoue quand même ne rien exclure. « Président, c’est la fonction qui permet d’impulser un maximum de changement. Je suis membre du plus important organe de direction du CDP depuis sa création, j’ai été ministre puis Premier ministre : j’ai désormais une expérience de gestion des affaires de l’État. Qu’un jour mon parti me propose d’être candidat à la candidature n’étonnerait personne, je crois… », déclare-t-il. L’ex-boute-en-train se serait-il définitivement assagi, ou se laisse-t-il encore une fois rattraper par sa réputation ?

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