Des échanges plus justes

Le commerce équitable fait recette en Europe. Le système pourra-t-il sauver à long terme les producteurs africains ?

Publié le 31 juillet 2006 Lecture : 4 minutes.

Le commerce équitable a le vent en poupe. Dans les pays occidentaux, les ventes de produits affichant sur l’emballage la petite vague noire sur fond bleu et vert – désormais fort reconnaissable – ont augmenté de 40 % à 60 % ces trois dernières années.
Né aux Pays-Bas en 1988, le principe du commerce équitable est assez simple. Des producteurs, généralement réunis au sein de coopératives de petite taille dans les pays en développement, se voient garantir un prix d’achat au-dessus du cours mondial, ce qui leur permet de se mettre à l’abri des fluctuations des tarifs des matières premières sur les marchés.
Les prix sont fixés à l’avance par la Fairtrade Labelling Organisation (FLO), une ONG basée à Berlin, et une autorisation est délivrée pour l’utilisation du logo « commerce équitable ». Pour obtenir le précieux sésame, moyennant une légère redevance, une coopérative doit montrer aux inspecteurs de la FLO qu’elle respecte bien les recommandations essentielles en ce qui concerne la protection de l’environnement et le droit du travail. En échange, elle aura également le droit de recevoir une prime collective.
Au Royaume-Uni, la démocratisation des produits issus du commerce équitable s’est confirmée quand Marks & Spencer, la célèbre chaîne de supermarchés emblématique de la classe moyenne britannique, en a généralisé le concept. Après avoir décidé de ne plus vendre que du thé et du café équitables dans ses magasins, M&S s’est mis à s’approvisionner en tee-shirts fabriqués avec du coton lui aussi certifié, au début 2006. Mais là, la tâche est plus rude.
Dans le cas du café, produit équitable le plus populaire, la certification est facile à délivrer, puisque la filière s’organise autour d’un nombre restreint d’intermédiaires entre le producteur et le consommateur. Le coton en revanche, dont la production a été labellisée pour la première fois en 2005, nécessite davantage de transformation et donc d’intervenants.
Si le coton équitable connaît le même succès que le café, la victoire sera double. Elle représentera une revanche sur les échanges commerciaux biaisés par les subventions agricoles occidentales, tout autant qu’un symbole fort. La culture du coton a en effet autrefois fait couler beaucoup de sang. Dans les États du sud des États-Unis, des esclaves africains ont été déportés par milliers pour ramasser la fibre à main nue sous une chaleur suffocante.
Aujourd’hui, les cotonculteurs sont plus de 11 millions en Afrique de l’Ouest, notamment au Bénin, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Mali et au Sénégal. Mais un effet pervers les a conduits à dépendre de 35 000 agriculteurs texans et d’autres États américains. Les quelque 4 milliards de dollars qui sont versés aux producteurs américains par le gouvernement fédéral chaque année leur permettent, malgré des coûts de production élevés, d’inonder le marché mondial de fibres subventionnées.
La visite de n’importe quel village africain produisant du coton équitable permet de se rendre compte des revenus exceptionnels que procure cette activité. Et pour cause : un kilo de coton brut labellisé équitable rapporte au minimum 238 F CFA (36 centimes d’euros) au producteur, contre 157 F CFA pour le conventionnel.
Mamadou Keita, le président de la coopérative du village malien de Batimakana, dans la région de Kayes, explique que les habitants tirent un double bénéfice du commerce équitable : « des revenus plus élevés pour les familles d’une part, une prime pour le village de l’autre ». Ces rentrées financières permettent aux parents d’envoyer leurs enfants à l’école. Elles leur donnent aussi la possibilité d’acheter des graines pour faire pousser des légumes ainsi qu’une charrue pour labourer le champ. Quant à la prime collective, elle a permis de construire un grenier en béton. Non loin de Batimakana, le village de Dougourakoroni a pu enfin construire sa propre école, évitant ainsi aux enfants d’avoir à marcher sept kilomètres pour se rendre en classe.
À long terme pourtant, l’avenir du coton malien reste flou. Même avec un prix garanti, les produits agricoles équitables ne permettront probablement pas au pays de s’enrichir.
Sans compter que le commerce équitable fait l’objet de plusieurs critiques. En novembre dernier, dans le magazine conservateur britannique Spectator, l’ancien ministre du Trésor, Philip Oppenheim, lançait une virulente attaque contre les « richards du commerce équitable » – les supermarchés et les grossistes qui, disait-il, fixent un prix particulièrement élevé pour les produits labellisés. Au risque d’en dégoûter les consommateurs.
Mais c’est surtout le modèle même de ce type d’échange qui demeure intrinsèquement fragile. Il pourrait en effet disparaître si le nombre de consommateurs acceptant de payer un produit, certes éthique mais plus cher, s’épuisait. Ses promoteurs seraient alors obligés de refuser leur certification à des cultivateurs, justifiant ainsi le principal reproche fait au commerce équitable : la création d’une classe d’agriculteurs privilégiés qui s’enrichit aux dépens des autres.

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