Maroc : le Parlement rend public un rapport sur les prix des carburants sur fond de boycott commercial
Entamé depuis août dernier, ce document démontre une augmentation des marges engrangées par les distributeurs depuis la libéralisation des prix en 2015. L’État, quant à lui, reste le plus grand gagnant de cette libéralisation.
Alors que le Maroc connaît une campagne de boycott visant trois marques commerciales marocaines, dont le distributeur de carburant Afriquia, propriété de l’homme d’affaires Aziz Akhannouch, la mission d’information parlementaire sur les prix des hydrocarbures a présenté son rapport mardi 15 mai. En août dernier, 13 députés avaient été mandatés par le Parlement pour mener cette investigation, suite à des informations parues dans la presse soutenant que le processus de libéralisation des prix dans le secteur des hydrocarbures aurait profité aux opérateurs, au détriment des consommateurs. Son résultat tombe donc à pic.
Les 13 députés devaient répondre à des questions relatives à la fixation des prix et des conditions de concurrence dans ce secteur libéralisé depuis décembre 2015. Deux ministres ont représenté le gouvernement lors de cette réunion : le ministre de l’Énergie et des mines, Aziz Rabbah, et celui des Affaires générales et de la gouvernance, Lahcen Daoudi. En revanche, aucun opérateur pétrolier ne s’est présenté. Voici les principaux résultats :
Les prix ont augmenté…
Dans leur rapport, les parlementaires ont calculé la différence entre les tarifs à la pompe, incluant les marges réalisées avant la libéralisation, et ceux affichés actuellement, qui frôlent parfois un 1 dirham. Sur les 15 jours suivant le 2 novembre – les cours internationaux avaient amorcé leur hausse -, le litre d’essence se vendait en moyenne à 10,84 dirhams, alors que le prix théorique calculé par la mission est de 9,97 dirhams. Le député de la Fédération de la gauche démocratique, Omar Balafrej, estime pour sa part que les pétroliers ont encaissé 17 milliards de dirhams additionnels par rapport à ce qu’ils gagnaient avant le désengagement de l’État dans ce secteur.
…mais les investissements sont restés faibles
En parallèle, les pétroliers n’ont investi qu’un total de 2 milliards de dirhams durant les deux dernières années. Un niveau jugé très faible en comparaison avec les gains cumulés sur la même période. Le plus gros de cette enveloppe a servi à l’ouverture de 272 nouvelles stations d’essence, dont le chiffre global a atteint 2477 unités à la fin 2017. Pour les cinq prochaines années, la tendance devrait s’inverser et l’accent sera mis sur les capacités de stockage que le pays aimerait porter, à terme, à plus de 60 jours. Le ministère Aziz Rabbah a donc imposé un programme d’investissement autour de 10 milliards de dirhams à l’ensemble des acteurs du marché.
Une faible taxation
Le rapport explique aussi que les prix, hors taxes, pratiqués au Maroc depuis la libéralisation sont parmi les plus bas, en comparaison avec les autres pays non producteurs de pétrole. On apprend par ailleurs que la pression fiscale appliquée par l’administration marocaine entre TIC et TVA, et qui entre dans la composition des prix, est la plus faible, soit 42 % pour l’essence et 34,5 % pour le gasoil. En plus de ces taxes, les distributeurs ajoutent les frais du fret, les coûts liés au stockage, au port en plus des assurances et le prix du litre raffiné importé. « Ce n’est pas le consommateur final qui profite de cette pression fiscale jugée basse au Maroc. Les distributeurs cherchent continuellement à gagner davantage », ajoute notre source parlementaire.
Pas d’entente sur les prix
En moyenne annuelle, le Maroc consomme 12 millions de tonnes d’hydrocarbures, qui s’écoulent grâce aux 20 sociétés de distribution, dont trois multinationales et onze importatrices. Même si les tarifs affichés par ces derniers sont généralement identiques ou assez proches, la mission parlementaire n’a pas pu déduire une entente sur les prix. Pour eux, les obligations commerciales justifient cette situation. En d’autres termes, les pompistes préfèrent s’aligner avec la concurrence et afficher des prix pratiquement similaires.
L’État a fait des économies…
L’un des points du rapport que les deux ministres présents lors de la séance du 15 mai ont le plus retenu est celui au sujet du plus grand bénéficiaire depuis la libéralisation des prix, décidée par le gouvernement Benkirane. Car il s’agit de l’état et de ses caisses, qui ont économisé environ 35 milliards de dirhams chaque année. Entre 2002 et 2012, les dépenses liées à la caisse de compensation ont été multipliées par 14, dont 86 % concernaient les produits pétroliers en 2012. D’ailleurs, cette année-là, l’État avait déboursé plus de 56 milliards de dirhams comme subventions pour le carburant.
Mais le rapport déplore aussi l’absence totale de procédures accompagnant cette libéralisation des prix. Ce que préconisent les parlementaires, c’est un système de suivi des mouvements de prix internationaux et de leur impact au niveau interne, et qui pourrait déclencher une intervention, le cas échéant. Pour l’ensemble des députés de la commission parlementaire, l’État doit obligatoirement prendre au sérieux ce secteur qui pèse lourd dans le panier des ménages. « Le gouvernement travaille déjà sur un modèle d’intervention », répond Lahcen Daoudi, ministre des Affaires générales, sans donner plus de détails. « On attend de voir la réaction des pétroliers, dont on espère qu’elle ne tardera pas, et ainsi le débat sera constructif et non stérile comme il peut l’être si personne ne bouge après ce rapport », espère notre source.
…mais des zones d’ombre persistent
Malgré le diagnostic qu’il a établi, le rapport ne comporte aucun élément chiffré permettant d’évaluer précisément le surplus que le consommateur a payé depuis l’entrée en vigueur de la libéralisation. C’est d’autant plus étrange qu’une première version de ce rapport, plus fournie, avait fuité il y a quelques jours et déclenché un grand débat au Maroc. Le document parlait, selon nos sources, de 7 milliards de dirhams de marge annuelle et, dans certains cas, de progressions de 900 % entre 2015 et 2016 des résultats nets des pétroliers.
Même si le président de la commission, Abdellah Bouanou (PJD), a tenu à préciser que seul le rapport qu’il a présenté ce 15 mai est valable, cela n’a pas empêché la polémique. « Le rapport qui a été présenté est tronqué d’une bonne partie des recommandations et des conclusions faites par la commission, qui a connu d’énormes pressions au fil des mois de la part des différents lobbys. Ils ont même failli enlever la partie analyse », avoue un parlementaire.
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